Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 30 juillet 2018 à 14h30
Liberté de choisir son avenir professionnel — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi, amendements 750 33 14 2017

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture, après l’Assemblée nationale, le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le constat à cet instant est sévère : une commission mixte paritaire pour la forme, vite expédiée, aucune considération pour le travail du Sénat, absence de toute volonté de dialogue et de compromis.

Ni le renforcement de la place des régions en matière d’apprentissage et de formation professionnelle, ni la préservation du rôle des partenaires sociaux, ni les propositions faites en faveur d’une meilleure orientation, ni la modernisation des statuts du maître et de l’apprenti n’ont trouvé grâce aux yeux de la majorité gouvernementale, alors que de nombreux points avaient fait l’objet de larges accords dans notre assemblée.

Et que dire de la méthode, sorte de tourbillon des amendements, signe d’une réforme mal préparée, précipitée sinon improvisée, ou encore d’une méthode politique ne laissant que peu de place à un débat de fond posé et de bon sens ?

C’était dès le début mal engagé : big-bang et remise en cause du contenu de l’accord national interprofessionnel du 22 février ; absence d’évaluation des récentes et nombreuses réformes en la matière ; étude d’impact incomplète et absences d’avis du Conseil d’État du fait de l’introduction de plus d’une centaine d’amendements, à l’image de la gouvernance de France compétences précisée en nouvelle lecture ; une impréparation manifeste sur des points importants comme l’a illustré en première lecture en commission à l’Assemblée nationale la réécriture globale de l’article 17 relatif à la contribution unique – rien que cela ! –, qui perd d’ailleurs son unicité, à la formation professionnelle et à l’alternance.

Enfin, stupéfaction et colère atteignent leur paroxysme avec le dépôt, par le Gouvernement, de l’amendement n° 750 à l’article 33, dans la suite du discours présidentiel devant le Congrès à Versailles, amendement qui appelle, avant que ne débute la discussion sur le titre II, à renvoyer à la négociation les règles de l’assurance chômage, sans la moindre considération pour la convention d’assurance chômage signée le 14 avril 2017. Quel mépris, je ne trouve pas d’autre mot, pour le travail parlementaire ! Quelle considération pour les partenaires sociaux !

S’il est pourtant un sujet, madame la ministre, mes chers collègues, sur lequel nous aurions aimé contribuer à un consensus, c’est bien celui-là. J’ai déjà souligné l’importance centrale dans notre société du triptyque éducation-formation-culture, de la nécessité d’adaptation des femmes et des hommes à l’évolution de la société, aux mutations technologiques et aux nouveaux métiers, de l’urgence de réduire les inégalités d’accès à la formation, mais aussi de la compétitivité de nos entreprises.

Selon une étude de Bpifrance publiée lundi dernier, 41 % des entreprises de moins de 250 salariés déclarent « d’importantes difficultés de recrutement », soit dix points de plus en un an. Ces difficultés de recrutement tiennent d’abord aux manques de main-d’œuvre correspondant à la demande. Pôle emploi évalue les embauches abandonnées entre 200 000 et 330 000 en 2017. Pourtant, selon les données publiées dans le même temps, le chômage, hélas ! ne décroît toujours pas et touche 8, 9 % de la population active.

En refusant toute pertinence aux contributions fondées sur de longues expériences, vous allez détruire des architectures certes perfectibles, pour les remplacer par des dispositifs imaginés sur des bases idéologiques. Des paris bien risqués ! Il en est ainsi de la privatisation du conseil en évolution professionnelle, le CEP, et de l’introduction d’un CPF monétisé, très largement sous-évalué, de la transformation du congé individuel de formation, le CIF, en CPF de transition à budgets envisagés étranglés. Il en est ainsi d’un paritarisme devenu résiduel, d’une remise en cause de la décentralisation aux dépens des régions en matière tant de formation que d’apprentissage. Il en est ainsi d’une vision hyperindividualiste de la formation que nous ne partageons pas.

L’accompagnement professionnel est un enjeu stratégique. Le texte proposé repose sur la conception d’un individu seul responsable de son employabilité, doté de ressources qu’il utilisera librement sur un marché de la formation où seront mis en concurrence des prestataires certifiés. Cette responsabilisation de l’individu conduit à considérer tout sujet social en problème individuel. L’individualisation sans l’accompagnement ne fait pas l’autonomie.

Mes chers collègues, dans l’histoire de la formation professionnelle construite dans notre pays marche après marche depuis 1970, ce texte, dont la majorité gouvernementale assumera seule la responsabilité, est, à nos yeux, un rendez-vous manqué. Le plus grave serait, sera qu’il contribue à aggraver les inégalités sociales et territoriales qui fragilisent la cohésion sociale et minent notre démocratie.

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