Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous vivons une période formidablement surréaliste !
Le Président de la République et ses collaborateurs rivalisent de déclarations pour s’accuser de tout, après avoir affirmé n’être responsables de rien.
Le texte sur l’avenir professionnel revient devant nous dans son état initial, comme si le Sénat n’existait pas. Il est débarrassé, certes, des coercitions plus dures pour les chômeurs, décidées par la droite sénatoriale, mais il était des améliorations que le Gouvernement aurait dû utilement conserver.
Le plus ubuesque, le plus inconvenant est atteint avec le renvoi de l’examen des modalités de l’assurance chômage à la négociation des partenaires sociaux.
Quatre termes, madame la ministre, me semblent caractériser votre texte : supercherie, régression, autoritarisme et amateurisme.
Commençons par la supercherie.
Les titres retenus apparaissent comme autant de slogans publicitaires destinés à mystifier : C hoisir son avenir professionnel ; Favoriser l ’ entreprise inclusive ; Moderniser la gouvernance ; Une indemnisation […] plus universelle et plus juste. C’est « beau comme du Verlaine » et nous aurions aimé y croire… Hélas, c’est parfaitement illusoire !
La réalité est effectivement moins reluisante. Nous sommes face à un texte de vraie régression sociale, et quelques exemples le montrent.
Malgré les grandes envolées du candidat Macron, l’universalité de l’assurance chômage ne concernera qu’une infime minorité de démissionnaires et de travailleurs indépendants. Un nouvel oxymore vient d’être inventé : l’universalité sélective…
Le transfert des cotisations salariales sur la contribution sociale généralisée – la CSG – introduit une rupture grave. Au droit acquis par ses propres cotisations, se substituent le devoir et la soumission qu’implique le bénéfice de la solidarité fiscalisée.
C’est la fin du paritarisme, qui élevait les partenaires sociaux au rang d’acteurs de leur avenir collectif, nourrissait le dialogue et assurait une gestion sérieuse et responsable. Il n’en restera qu’une apparence, une coquille vide, un alibi enfermé dans une lettre annuelle de cadrage.
La différence entre nous, madame la ministre, ne réside pas, comme vous le caricaturez parfois, entre ceux qui veulent bouger et ceux que l’idée même révulse. Changer, oui, mais pour adapter, pour améliorer, ce que nous avons montré et dont vous profitez aujourd’hui ! Pas le changement qui relève de l’agitation, qui est destructeur des fondements mêmes de notre cohésion sociale et qui s’oppose à la croissance et à la réduction du chômage !
À tout cela s’ajoutent des atteintes répétées aux droits et aux revenus des travailleurs, ce que relève, d’ailleurs, le New York Times.
Je citerai l’article 33 et la remise en cause du cumul entre travail réduit et allocation. Sont concernées 800 000 personnes, en majorité des femmes.
Les crédits en faveur de l’égalité entre femmes et hommes sont squelettiques, loin des déclarations sur la « grande cause nationale ».
La prime d’activité est supprimée aux travailleurs titulaires d’une pension d’invalidité, après la réduction du revenu des ménages bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH.
L’obligation d’emploi de 6 % de personnes handicapées n’est pas modifiée, mais vous en facilitez l’atteinte par quelques artifices, notamment l’intégration dans le calcul des stages et des périodes de mise en situation.
Voilà, enfin, le pantouflage encouragé, récompensé pour favoriser, dit-on, l’enrichissement personnel. Je ne sais dans quel sens il faut l’entendre… Vive les futurs conflits d’intérêts !
J’en viens à l’autoritarisme et au mépris des engagements.
Le texte a trahi l’accord des syndicats signataires conclu au mois de février. Pas étonnant qu’un sondage réalisé par le Centre de recherches politiques de Sciences Po, le CEVIPOF, relève que 90 % des salariés hors cadres considèrent que le dialogue social n’existe pas. C’est le nouvel effet « nouveau monde » !
Il s’accompagne du fait du prince, l’abandon du projet relatif à l’assurance chômage ! Une déclaration un lundi après-midi, et le mardi, un amendement flou, juste avant la discussion générale, vient anéantir tous nos travaux. Quelle désinvolture et quel mépris pour le travail du Parlement !
Enfin, notons l’amateurisme et l’impréparation.
Ainsi le Gouvernement a-t-il déposé moult amendements sur son propre texte, signe d’une grande précipitation.
Ainsi l’article 66 prévoit-il de procéder par ordonnance pour corriger toutes les imprécisions, les approximations du projet actuel. Quel aveu !
Ainsi l’élargissement de l’assurance chômage coûtera-t-il aux alentours de 500 millions d’euros, mais vous ne savez pas où trouver le premier euro, alors que votre budget pour 2019 baissera de 2 milliards d’euros. Pourtant, Bruxelles réclame des précisions et de la sincérité sur la trajectoire budgétaire de la France…
N’auriez-vous pas, par hasard, le secret espoir que le renvoi de la négociation devant les partenaires sociaux puisse les conduire à accepter de porter l’impopularité de la baisse des prestations ? Quel soulagement ce serait !
Un proverbe chinois dit : « Quand le sage montre la Lune, l’imbécile regarde le doigt ». Vous avez évoqué la Lune comme un objectif, madame la ministre ; j’espère que vous n’avez pas considéré que nous avons regardé le doigt !
Nous avons là le concentré d’une attitude qu’un nombre croissant de nos concitoyens rejettent : pouvoir personnel, mépris du Parlement et des corps intermédiaires, arrogance et suffisance qu’adopte, par contagion, une cour faisant écran à la réalité.
Vous comprendrez, dès lors, qu’il nous soit impossible d’apporter le moindre soutien à votre texte.