Intervention de Alain Milon

Réunion du 30 juillet 2018 à 14h30
Liberté de choisir son avenir professionnel — Question préalable

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Madame la présidente, madame la ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen au Sénat d’un projet de loi sur lequel la navette parlementaire aurait tout à fait pu aboutir.

Nous en partageons les objectifs ; nous en approuvons les grandes lignes ; nous avons souhaité en améliorer les modalités.

Les rapporteurs et moi-même nous sommes fortement engagés dans ce sens, tentant de rapprocher les points de vue et de faire œuvre utile.

Pourtant, lors de sa réunion du 26 juillet dernier, notre commission a approuvé, sur proposition de ses quatre rapporteurs, le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable.

L’utilisation de cette procédure n’est jamais anodine, mais le comportement de l’Assemblée nationale et de l’exécutif, autant que le calendrier parlementaire, ne nous donne d’autre choix.

Compte tenu de la méthode retenue par le Gouvernement et par vous-même, madame la ministre, pour l’élaboration du texte, son examen n’était pas placé sous les meilleurs auspices.

Je pense à cette annonce, déjà évoquée, d’un big-bang réformant le financement et la gouvernance de la formation professionnelle le jour même de la signature par les partenaires sociaux de deux accords nationaux interprofessionnels. Ces décisions unilatérales ont heurté la sensibilité des partenaires sociaux et la conception que nous nous faisons, au Sénat, du dialogue social.

Le dépôt d’un grand nombre d’amendements gouvernementaux issus de concertations menées parallèlement à l’examen du projet de loi, sur l’emploi des travailleurs handicapés, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou la fonction publique, n’a pas contribué à la clarté des débats. Il aurait fallu mener ces concertations bien avant l’adoption du projet de loi en conseil des ministres, afin que le Parlement puisse disposer d’un texte stabilisé.

En dépit de ces difficultés, le Sénat a examiné ce projet de loi de manière approfondie, grâce au travail conduit très en amont par ses rapporteurs, auxquels je souhaite en cet instant rendre hommage. La commission s’est réunie le 27 juin, soit une semaine seulement après l’adoption de ce texte par l’Assemblée nationale, et elle a adopté un texte assorti de 215 amendements. Nous avons ensuite examiné 771 amendements en séance publique, pendant quatre jours et demi de travaux, au cours desquels 169 amendements ont été adoptés.

Les débats ont été à la fois sereins et efficaces sur l’ensemble des sujets. Chacun a pu s’exprimer, et pas seulement, à la différence de ce que nous avons observé à l’Assemblée nationale, sur le titre Ier.

Je ne reviendrai pas en détail sur les apports du Sénat, rappelés par le rapporteur. J’indiquerai seulement que notre assemblée a rééquilibré le texte sans remettre en cause sa philosophie générale : rééquilibrage en matière d’apprentissage, afin que les régions conservent plusieurs prérogatives découlant de leur compétence en matière économique et d’aménagement du territoire ; rééquilibrage en matière de formation professionnelle, pour que les régions, encore, et les partenaires sociaux disposent d’une juste représentation au sein de France compétences ; rééquilibrage en matière d’assurance chômage, afin que le renforcement des prérogatives du Gouvernement s’accompagne d’un nouveau rôle du Parlement dans l’élaboration du document de cadrage qui sera remis aux partenaires sociaux.

Je pourrais ainsi continuer l’énumération des apports du Sénat qui témoignent, une fois encore, que notre assemblée a travaillé dans un état d’esprit de tempérance, afin de corriger, comme c’est son rôle, les excès du texte adopté par l’Assemblée nationale.

L’annonce intempestive du Président de la République, le 9 juillet dernier, devant le Congrès, de la renégociation de la convention d’assurance a suffi à vouer à l’échec la CMP organisée le 16 juillet. Une demi-heure, seulement, pour constater le désaccord entre nos deux assemblées, sans examen au fond des dispositifs !

Le texte adopté en nouvelle lecture par les députés s’inscrit dans la lignée de la CMP : il rétablit quasiment à l’identique la version adoptée en première lecture, ne retenant que quelques amendements issus du Sénat.

Presque tous les apports du Sénat ont de fait été rejetés d’un revers de main par les députés en nouvelle lecture, avec parfois des justifications lapidaires, erronées, voire biaisées.

Alors que le Président de la République a été élu sur un programme de rassemblement, dans lequel le dialogue, le respect, le travail étaient promus au rang de vertus cardinales, force est de constater que la pratique n’est pas au rendez-vous de ces valeurs. Le Président de la République décide, l’Assemblée nationale vote et le Sénat n’est pas entendu !

Pour l’avenir des jeunes de ce pays, bien maltraités alors qu’ils sont notre richesse, nous avons besoin de la mobilisation de tous, des entreprises, des régions, des partenaires sociaux. Tous doivent être embarqués dans les réformes.

Madame la ministre, vous comprendrez aisément les raisons qui nous conduisent à ne pas soumettre ce projet de loi à une nouvelle lecture : la position du Sénat a été largement développée en première lecture, et nous ne sommes pas en mesure de faire évoluer davantage un texte auquel l’Assemblée nationale a opposé une fin de non-recevoir.

Le Conseil constitutionnel sera amené à se prononcer, tant sur la procédure que sur le fond.

Je constate avec regret que, en nous imposant un amendement de dernière minute, le Gouvernement a bousculé, sur sa propre initiative, la relation de confiance que nous avions tissée depuis un an, à l’occasion des ordonnances réformant le code du travail. Nous devrons en tirer les conséquences dans les mois à venir, lorsque le Sénat examinera la réforme constitutionnelle, afin de défendre les vertus du bicamérisme et, plus globalement, les prérogatives d’un Parlement rénové et renforcé.

Goethe a été cité à deux reprises. Permettez-moi de citer René Char qui écrivait dans les Feuillets d ’ Hypnos : « Ne t’attarde pas à l’ornière des résultats. » Nous faisons nôtre cette injonction, afin de conserver, par-delà les vicissitudes de l’actualité politique, l’indépendance et la liberté d’esprit du Sénat.

Dans cet esprit, mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous demande de bien vouloir adopter la motion tendant à opposer la question préalable, prenant acte qu’il n’y a plus lieu de poursuivre la discussion de ce texte.

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