Intervention de Jean-Marie Girier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 30 juillet 2018 à 10h35
Audition de M. Jean-Marie Girier chef de cabinet de M. Gérard Collomb ministre d'état ministre de l'intérieur et ancien directeur de la campagne de M. Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle

Jean-Marie Girier, ministre de l'intérieur, et ancien directeur de la campagne de M. Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle :

chef de cabinet de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, et ancien directeur de la campagne de M. Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle. - Mon propos liminaire sera concis, tout en étant le plus précis possible pour contribuer à vos travaux.

Je commencerai par la chronologie des faits tels que je les ai vécus, sans revenir sur ce que le ministre d'État, M. Gérard Collomb, vous a exposé sur le climat de violence du printemps dernier.

Le 1er mai, je travaillais place Beauvau - comme une grande partie du cabinet ministériel - afin de suivre le déroulement d'une journée qui s'annonçait délicate et s'est avérée d'une grande brutalité.

À 19 h 45, j'ai accompagné le ministre d'État à la préfecture de police ; il s'est d'abord entretenu avec le préfet dans le bureau de ce dernier, avant de tenir un point presse dans la cour de la préfecture. La délégation s'est ensuite rendue dans la salle de commandement afin de saluer l'ensemble des fonctionnaires de police. Le préfet a présenté les images de vidéoprotection, illustrant la tension encore palpable en fin de journée. Alors que nous étions présents depuis cinq minutes environ, une tape sur l'épaule m'a fait découvrir la présence de M. Benalla ainsi que celle de M. Crase, que je connais tous deux. J'ai été étonné de les voir en ces lieux, de surcroît dans une tenue qui m'a semblé inappropriée parce que trop décontractée. Le ministre d'État se tenait au centre de la salle de commandement, à environ une dizaine de mètres de nous. Je précise que le ministre d'État n'a pas fait d'accolade à M. Benalla, il l'a salué comme toutes les personnes présentes ; le ministre, que je connais de longue date - comme nombre d'entre vous - n'est pas familier des accolades, et salue de manière très courtoise, tant les personnes qu'il connaît que celles qu'il ne connaît pas.

À 23 heures, j'accompagnais le ministre d'État sur le parvis du commissariat du treizième arrondissement. Il était présent aux côtés du Premier ministre venu saluer et remercier les forces de sécurité durement éprouvées.

Le lendemain matin, mercredi 2 mai, précisément à 8 h 02, j'ai reçu un message d'un chargé de mission de l'Élysée, qui comportait un lien vers un réseau social où était présentée la fameuse vidéo sur laquelle apparaissait MM. Benalla et Crase. Je les reconnaissais : ils portaient une tenue identique à celle portée la veille en salle de commandement. Les faits m'ont semblé suffisamment graves pour que je transmette immédiatement le lien vers cette vidéo à mon directeur de cabinet, à 8 h 12 très exactement.

Vers 10 heures, à l'issue de la réunion d'état-major qu'il présidait, nous avons visionné tous les deux cette vidéo. Dès lors, le directeur de cabinet du ministre d'État a pris l'attache du directeur de cabinet du Président de la République. Il a été contacté par le préfet de police de Paris. Il m'a confirmé s'être assuré que l'autorité hiérarchique comme l'autorité préfectorale étaient alertées.

Concernant l'information du ministre d'État de ces faits, je ne reviens pas sur son agenda, qu'il vous a présenté lors de son audition, mais vous confirme que dès son retour de déjeuner, le directeur de cabinet et moi-même lui avons expliqué l'événement et montré la vidéo - qu'il a immédiatement qualifié d'inacceptable. Nous lui avons exposé les démarches entreprises par son directeur de cabinet auprès du directeur de cabinet de la Présidence. Aux alentours de 23 heures, mon directeur de cabinet et moi-même avons fait un point. Il m'a fait part de l'échange qu'il venait d'avoir avec le directeur de cabinet du Président. Celui-ci lui a indiqué que M. Benalla s'était rendu sur place avec son autorisation, mais sans être missionné par l'Élysée ; qu'il avait été doté par la préfecture de police d'un équipement de protection ; que les actes de violence étaient inacceptables, et qu'ils donneraient lieu à des sanctions. Nous avons dès lors considéré que la situation était prise en compte, et avons informé le ministre d'État dès le lendemain matin.

S'agissant des 18 et 19 juillet, j'ai été informé le 18 juillet à 13 h 30 par le service presse de la Présidence qu'un journaliste allait publier un article relatif à la vidéo. J'ai immédiatement transmis cette information à mon directeur de cabinet, puis nous avons évoqué ce sujet ensemble, avec le ministre, aux alentours de 15 heures. La parution de l'article révèlera de nouvelles informations, en particulier le port d'un brassard de police et l'équipement radio. Le ministre d'État vous a exposé les conséquences de celles-ci, à savoir une saisine de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) le 19 juillet, dont le rapport vous a été transmis vendredi dernier.

Venons-en à mes relations avec les deux protagonistes, que je connais, à des degrés différents, mais tous deux depuis la campagne du candidat Emmanuel Macron, dont j'ai assuré la direction à partir de janvier 2017.

J'ai fait la connaissance de M. Benalla dans ce cadre. Il assurait, à titre salarié, les fonctions de directeur de la sûreté et de la sécurité. J'ai appris à le connaître au cours de cette campagne. Notre relation est tout à fait cordiale, et je n'ai eu aucune remarque négative à formuler, ni sur son engagement, ni sur son comportement, ni sur la qualité de son travail. Depuis son entrée en fonctions au palais de l'Élysée, j'ai eu des contacts réguliers avec lui - même si mon interlocuteur quotidien reste le chef de cabinet. M. Benalla a aussi été l'un des interlocuteurs entre les deux chefs de cabinet, selon les dossiers qu'il suivait. Il était donc parfois présent lors de réunions ou de visites préparatoires aux déplacements du Président auxquels participait mon ministre.

J'ai croisé M. Crase à de nombreuses reprises durant la campagne présidentielle, puisqu'il occupait les fonctions de veilleur de nuit pour la surveillance du siège et de sécurisation de certains meetings. Depuis, je l'ai rencontré lors d'événements politiques dont il assurait la sécurité, dans le cadre de son emploi à La République en Marche.

Les différentes auditions ou la presse ont laissé sous-entendre que M. Benalla aurait pu bénéficier de passe-droits auprès du ministère de l'intérieur, et notamment à la faveur de notre relation. Je le rappelle, M. Benalla n'a bénéficié d'aucun traitement privilégié par mon intermédiaire ; je respecte profondément mes fonctions et l'institution que je sers. J'affirme donc simplement, mais très catégoriquement, que M. Benalla ne m'a jamais sollicité pour un équipement de police, ni pour un appui pour un poste de sous-préfet au tour extérieur, ni pour l'obtention d'un grade de lieutenant-colonel en qualité de gendarme réserviste. S'il m'a effectivement parlé d'une demande de port d'arme qu'il avait formulée auprès du ministre de l'intérieur, je n'ai donné aucune suite à cette demande - à laquelle le ministère n'a pas réservé de suite favorable. Enfin, M. Benalla ne m'a jamais sollicité pour faciliter l'obtention d'un permis de port d'arme auprès de la préfecture de police de Paris, autorisation qu'il obtiendra ultérieurement - ce dont ni le ministre, ni son cabinet, ni moi-même n'avons eu connaissance avant la semaine dernière. Voici les quelques éléments qu'il me semblait nécessaire de porter à votre connaissance, afin de concourir à l'indispensable établissement de la vérité sur cette affaire, dont tout le monde se serait bien passé...

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