directeur de cabinet de M. Gérard Colomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Je reviendrai rapidement sur la chronologie des 1er, 2 et 3 mai derniers ainsi que sur celle des 18 et 19 juillet, avant de formuler quelques considérations générales, liées notamment au rapport remis par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) au ministre ce vendredi 27 juillet.
Le 1er mai, j'ai consacré ma journée - avec une partie du cabinet du ministre - au suivi des différentes manifestations qui se déroulaient en France et à Paris, en relation régulière avec le préfet de police et les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales (DGPN et DGGN). S'il n'est pas dans les habitudes du directeur de cabinet de se déplacer sur le terrain, j'ai fait une exception à cette règle ce soir-là pour participer, vers 23 heures, à la visite du Premier ministre, avec le ministre de l'intérieur et le préfet de police, au commissariat du 13ème arrondissement, à la rencontre d'unités engagées ce jour-là dans des opérations de maintien de l'ordre spécialement difficiles.
Le 2 mai au matin, je me suis rendu à 8 h 30 à la réunion dite d'état-major, qui rassemble autour du ministre d'État, et de son directeur de cabinet, les directeurs des forces de sécurité intérieure et des représentants de la préfecture de police. Le ministre a ouvert cette réunion et s'est fait préciser le bilan des événements du 1re mai sur l'ensemble du territoire. Après cette réunion d'état-major, vers dix heures, je me suis rapproché du chef de cabinet du ministre pour visionner une vidéo qu'il m'avait signalée plus tôt ce matin-là. J'en ai pris connaissance et celui-ci m'a indiqué que l'auteur de l'interpellation violente qu'on y voyait était un collaborateur de la présidence de la République, M. Benalla. Il a ajouté qu'il avait eu connaissance de cette vidéo par un chargé de mission de la présidence de la République.
J'en profite pour préciser que je connaissais peu M. Benalla. J'avais eu l'occasion de le rencontrer à plusieurs reprises au cours de l'année, toujours courtoisement, essentiellement à l'Élysée, notamment à l'occasion de réceptions officielles. J'ai souvenir également de sa présence à l'occasion d'une réunion au ministère de l'intérieur, lorsque le Président de la République avait présidé une réunion de la cellule de crise après l'attentat de Trèbes. J'ai rencontré M. Benalla pour la dernière fois le 16 juillet dernier, devant la place Beauvau, en me rendant à la réception organisée dans les jardins de l'Élysée en l'honneur de l'équipe de France de football. Sur la base de ces rares contacts, je n'aurais pas été en mesure d'identifier spontanément M. Benalla sur la vidéo.
Après avoir regardé cette vidéo, je me suis mis en relation avec le directeur de cabinet du Président de la République pour m'assurer qu'il avait bien eu connaissance de cette information, ce qu'il m'a confirmé. C'est à ce moment-là, et alors que je m'apprêtais à appeler le préfet de police pour partager avec lui cette information, puisqu'il s'agissait d'un événement survenu à l'occasion d'une opération de maintien de l'ordre placée sous sa responsabilité, que celui-ci m'a contacté au sujet de cette vidéo. Dans mon échange avec lui, je me suis naturellement référé aux termes de ma conversation avec le directeur de cabinet du Président de la République. J'ai également fait part au préfet de police du souhait du ministre de se déplacer dès la fin de la matinée sur l'itinéraire de la manifestation de la veille, et lui ai indiqué la nécessité pour lui de se rendre à Beauvau pour accompagner le ministre.
Le ministre est parti pour ce déplacement sans que nous puissions faire un point d'actualité avec lui comme nous en avons l'habitude. Lorsqu'il est rentré au ministère en milieu d'après-midi, le chef de cabinet et moi-même avons immédiatement fait un point avec lui et lui avons présenté la vidéo, en la visionnant. Il a considéré lui-même que le comportement de l'intéressé était inacceptable, et nous lui avons indiqué qu'il s'agissait d'un collaborateur de la présidence de la République, M. Benalla, et que la présidence de la République était informée.
Plus tard dans la journée, ce 2 mai, ayant à nouveau échangé avec le directeur de cabinet du Président de la République, je me suis assuré que l'autorité hiérarchique de M. Benalla était en mesure de donner toutes les suites appropriées. En toute fin de journée, j'ai de nouveau échangé avec le directeur de cabinet du Président de la République pour lui demander quelles étaient les suites envisagées au vu du comportement de l'intéressé. S'étant peu de temps auparavant entretenu avec M. Benalla, il m'a alors répondu que celui-ci s'était rendu dans cette opération de maintien de l'ordre avec son autorisation mais sans être missionné par la présidence ; qu'il avait été doté par la préfecture de police d'un équipement de protection, conformément à la pratique pour l'accompagnement des personnes admises comme observateurs ; que les actes de violence commis par M. Benalla étaient inacceptables ; et que des sanctions disciplinaires seraient prises. Estimant la situation prise en compte, j'en ai rendu compte au ministre le 3 mai au matin. Après cela, nous n'avons plus évoqué la situation de M. Benalla.
Le 18 juillet, j'ai été informé dans l'après-midi par la conseillère communication et par le chef de cabinet que le journal Le Monde allait publier un article sur le comportement de M. Benalla montré par la vidéo. Le ministre en a été également informé. Le jour même, à l'issue de la réunion dite de police, que je tiens trois fois par semaine vers 19 heures avec le préfet de police, le DGPN et le DGGN, j'ai signalé au préfet de police la prochaine publication de cet article.
Au vu de la parution de nouvelles images montrant M. Benalla pourvu d'un brassard de police et d'un équipement radio, le ministre nous a demandé de préparer une saisine de l'IGPN pour préciser les conditions dans lesquelles M. Benalla avait été autorisé par la préfecture de police à assister à des opérations de maintien de l'ordre, formuler toutes les recommandations nécessaires sur les conditions dans lesquelles des observateurs pouvaient être accueillis dans le cadre d'opérations de police et remédier aux éventuels dysfonctionnements. Le rapport a été remis au ministre ce vendredi 27 juillet et vous a été transmis le jour même.
Avant de conclure mon propos, je souhaiterais formuler trois remarques d'ordre général. Première remarque : le rôle du directeur de cabinet d'un ministre est de s'assurer de la meilleure consolidation possible des informations recueillies avant leur transmission au ministre. Par construction, le ministère de l'intérieur brasse une quantité considérable d'informations de toute nature, certaines anecdotiques, d'autres de grande ampleur, allant de la bulle d'informations médiatiques aux renseignements classifiés. Pour d'évidentes raisons de confidentialité, les informations les plus sensibles peuvent remonter directement au directeur adjoint ou au directeur du cabinet du ministre, auxquels il incombe fréquemment de les confirmer, de s'assurer de leur exactitude et de les mettre en perspective avant leur communication. Dans un ministère qui est celui de l'urgence et de l'action, ce rôle implique une priorisation de chaque instant, dans l'urgence mais sans précipitation.
Par ailleurs, le directeur de cabinet joue un rôle tout particulier d'interlocuteur des autres représentants de l'exécutif : il est l'interlocuteur habituel du directeur de cabinet du Président de la République, de celui du Premier ministre et des autres directeurs de cabinet des autres ministères. Il est évidemment un interlocuteur privilégié des préfets partout sur le territoire national et, bien sûr, du préfet de police. À ce titre, les échanges entre le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur, le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République sont naturels et fréquents compte tenu du rôle de la préfecture de police vis-à-vis des autorités gouvernementales et de la présidence de la République dans la capitale : la préfecture de police est en charge de l'organisation et du bon déroulement en matière de sécurité de toutes les grandes manifestations qui surviennent à Paris, mais aussi des déplacements du Chef de l'État à Paris et de la sécurité du périmètre de proximité de la présidence de la République. Les grands événements d'ordre public ayant le plus souvent lieu à Paris, il est normal que chacun de nous dispose d'une bonne information.
Ma seconde remarque portera sur les leçons à tirer de ces événements pour préciser et consolider les conditions d'accueil d'observateurs au sein des services de police et de gendarmerie. Le rapport remis par l'IGPN, dans le cadre de la mission que lui a confiée le ministre, énonce sur ce point des recommandations qui seront mises en oeuvre dès cette semaine. L'IGPN acte la nécessité de poursuivre et de développer l'accueil d'observateurs au sein de la police et de la gendarmerie ; elle souligne la variété des profils et centres d'intérêt des personnes accueillies, que ce soit dans le cadre de leurs études ou de leur formation professionnelle, au titre de leurs fonctions qui les conduisent à travailler avec les forces de sécurité intérieure, ou même dans le cas de missions générales d'information ou de contrôle. Cette pratique contribue à une meilleure connaissance de l'action des forces de l'ordre et au lien de confiance qui doit exister entre elles et la population.
Néanmoins, à la lumière des événements du 1er mai, l'IGPN recommande de mieux l'encadrer.
Elle invite tout d'abord à ce que l'autorisation d'accueil de l'observateur soit formalisée à un niveau hiérarchique élevé, même si elle doit rester déconcentrée, et à ce qu'une plus grande attention soit apportée au niveau hiérarchique du référent de l'observateur en cas de déplacement sur le terrain pour qu'il puisse s'assurer du respect du cadre de l'observation. Le responsable opérationnel de police devrait aussi pouvoir mettre un terme à tout moment à l'observation. Il est également conseillé la rédaction d'une charte rappelant les grands principes qui doivent présider à l'accueil des observateurs et les droits et devoirs de l'observateur ainsi que la place du référent. Cette charte devra être signée par l'observateur. L'IGPN recommande enfin le port d'un signe distinctif par l'observateur, qui soit différent de ceux des personnels directement engagés dans la mission sans faire pour autant de l'observateur une sorte de cible privilégiée au sein des forces de l'ordre.
Enfin, je souhaite insister sur ce qu'était le contexte et rendre solennellement hommage aux forces de sécurité intérieure, au regard de leur engagement des semaines passées, qu'il s'agisse d'opérations de maintien de l'ordre, d'évacuations complexes comme celles de la zone de Notre-Dame-des-Landes ou de Bure, ou encore d'opérations de prévention et de lutte contre le terrorisme. Ce contexte évident de tension, de violence, de forte mobilisation de l'ensemble du ministère est celui dans lequel l'urgence de notre journée du 2 mai fut d'établir le bilan des événements du 1er, d'assurer le contact avec les entrepreneurs victime de graves dégâts et, dans le même temps, de se plonger dans la préparation de journées d'action et de manifestations qui s'annonçaient dans les jours à venir : manifestation du 5 mai, préparation de la deuxième phase d'évacuation de Notre-Dame-des-Landes, évacuation projetée de sites universitaires, le tout alors que continuait et continue de peser sur la France une menace terroriste qu'on ne peut que qualifier d'intense.
Nous avions subi un attentat à Trèbes à la fin du mois de mars et, dix jours après cette manifestation du 1er mai, Paris était à nouveau victime d'un attentat, qui a de nouveau réclamé une réaction de l'ensemble des services de police. Nous étions donc, et nous sommes toujours, dans un contexte où l'attention du ministre et de ses proches collaborateurs sont tournées vers la protection des Français. C'est également le sens principal de la mobilisation des forces de l'ordre, dont je souhaite saluer le niveau d'engagement au moment où elles sont elles-mêmes éprouvées par les effets pour leur image du débat public de ces derniers jours.