Le réseau de l'enseignement français à l'étranger compte 350 000 élèves environ, dont un tiers sont français, et deux tiers n'ont pas la nationalité française. Ces élèves sont répartis dans 492 établissements présents dans 150 pays. La colonne vertébrale de ce réseau est assurée par un opérateur de l'État, l'AEFE. Cet organisme public a été créé par la loi en 1990. Il a été placé sous la tutelle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
D'autres organes associatifs sont aussi parties prenantes du réseau, comme la Mission laïque française. Toutefois, l'AEFE reste le principal opérateur. Le ministère de l'éducation nationale est associé aux missions de l'AEFE. Il participe au conseil d'administration. Surtout, il homologue les établissements, pour s'assurer du respect des programmes scolaires et des critères de scolarisation. En outre, il valide les détachements des enseignants issus de l'éducation nationale auprès de l'AEFE. Cela en fait un système complexe à appréhender. Il nous a fallu du temps pour rencontrer tous les acteurs. Les établissements du réseau ne constituent pas un ensemble uniforme. Ils sont régis par trois statuts très différents : les établissements en gestion directe, qui sont au nombre de 74 et qui sont gérés avec un pilotage resserré de l'AEFE. Nous avons aussi les établissements conventionnés avec l'AEFE, et enfin, il y a les établissements partenaires. À ces trois différents statuts correspondent des degrés d'autonomie divers avec l'Agence, ce qui se traduit par des relations financières et juridiques plus ou moins étroites. Seuls les deux premiers statuts permettent de bénéficier de personnels détachés, essentiellement du ministère de l'éducation nationale, et seuls les établissements en gestion directe voient leurs frais de scolarité fixés directement par l'AEFE.
Il existe également une grande diversité des statuts du personnel : il y a d'abord les personnels détachés de l'éducation nationale, qu'ils soient enseignants ou personnels administratifs. Ils sont répartis entre deux catégories : les expatriés qui ont une durée de contrat limitée, et qui pour la plupart sont proviseurs ou directeurs administratifs et financiers des établissements en gestion directe. Ils peuvent aussi être des enseignants à mission de conseil pédagogique pour le second degré. L'autre statut est celui des résidents, dont le contrat est en général tacitement renouvelé. Ils bénéficient de l'indemnité de vie locale. Ils sont censés être recrutés par les établissements au niveau local. Mais l'usage veut qu'ils soient recrutés avant d'être détachés dans le pays où ils vont aller travailler. Enfin, les autres personnels sont les recrutés de droit local. Ils bénéficient d'un contrat de droit privé local dans chacun des pays. Cela implique par conséquent des rémunérations extrêmement différentes d'un pays à un autre.
Nous nous sommes attachés à analyser la soutenabilité de l'AEFE qui a été très fragilisée par l'annulation de 33 millions d'euros sur sa subvention en 2017, en tenant compte de la complexité du système actuel, qui résulte d'une construction historique par strates administratives.
Nous avons d'abord constaté, et cela fait l'objet de la plus importante contestation des usagers de l'enseignement du français à l'étranger, que la contribution des familles s'est beaucoup accrue. Aujourd'hui, elles contribuent à hauteur de 60 % au frais de l'ensemble du système, alors que les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » dédiés ne représentent plus que 39 % des recettes de l'Agence en 2017, en comptant la subvention pour charges de service public versée à l'AEFE et l'aide à la scolarité. C'est une baisse de 14 % depuis 2012.
Les frais de scolarité versés par les familles sont différents selon les établissements. En moyenne, ils sont de 5 300 euros par an, soit une augmentation de 25 % depuis 2012. Cela montre bien la contribution accrue des familles. Plusieurs raisons expliquent cette augmentation : la hausse structurelle des dépenses, en raison de la croissance des effectifs (+ 11,4 % depuis 2012), une augmentation de la masse salariale (+ 15 % pour les dépenses de personnel de l'Agence depuis 2012). Nous estimons que cette hausse de la masse salariale pourrait être limitée en privilégiant le recrutement local, plutôt que les personnels détachés de l'éducation nationale. Une deuxième explication de l'augmentation des frais se trouve dans la prise en charge des pensions civiles des fonctionnaires détachés depuis 2009. C'est le cas pour l'ensemble des opérateurs de l'État - toutefois, contrairement à l'engagement de départ, cela n'est plus compensée pour l'AEFE. Ainsi, dans les faits, cela s'apparente à une diminution de 50 millions d'euros des ressources de l'Agence.
Par ailleurs, le parc immobilier est vieillissant. Il nécessite d'importantes dépenses de modernisation et de sécurisation. À cela s'ajoutent des facteurs venant complexifier le système, comme la difficulté de remonter des financements des établissements vers l'Agence à Paris, pour des raisons juridiques ou fiscales liées à chacun des pays où l'établissement est implanté. Enfin, le mécénat et les partenariats avec le secteur privé restent faibles, comme pour l'ensemble de l'enseignement français.
C'est dans ce contexte qu'est intervenue l'annulation de crédits en 2017. Elle s'est traduite par des suppressions de postes d'enseignants, prévues pour la rentrée 2018, une participation financière accrue des établissements au financement de l'Agence, et derrière une augmentation de la participation des familles. Cela a conduit à l'expression d'un fort mécontentement l'an dernier, tant de la part des familles que du personnel.
Pourtant, des réserves budgétaires existent : 204 millions d'euros dans les fonds de roulement cumulés dans les établissements en gestion directe, avec toutefois la difficulté que si ces comptes financiers par établissement sont agrégés avec celui de l'Agence - car ce sont des démembrements de l'Agence -,chaque établissement conserve son autonomie patrimoniale à laquelle il tient. Ils considèrent qu'il s'agit de leurs propres réserves budgétaires et ne souhaitent pas les partager avec les autres établissements.
Enfin, il nous semble que certaines dépenses pourraient être optimisées dans le fonctionnement des établissements en gestion directe, en particulier grâce à une mutualisation de certaines fonctions support avec les postes diplomatiques dans les villes où la proximité géographique le permet.
Par conséquent, nous avons formulé plusieurs recommandations. Il s'agit tout d'abord de poursuivre le mouvement amorcé de réduction de la part des personnels détachés de l'éducation nationale au profit des recrutés locaux. Il faut également sanctuariser le montant de la subvention pour charge de service public allouée par l'État à l'AEFE dans les cinq prochaines années, en tenant compte de l'évolution à venir du coût réel de la pension civile des fonctionnaires. Ceci permettrait de ne plus réduire de fait les ressources de l'Agence en ne compensant pas l'augmentation continue du coût de la pension civile des fonctionnaires. Nous proposons également de geler la participation des familles au financement du réseau au niveau actuel de 60 %. Si la part de financement de l'État diminue en deçà des 40 % actuels, c'est toute la légitimité du réseau d'enseignement français à l'étranger qui en souffrira et qui sera remise en cause. Nous proposons de conduire une réflexion afin d'introduire des mécanismes de mutualisation des fonds de roulement entre les différents établissements et l'Agence. L'annulation de 33 millions d'euros a montré que l'absence de mutualisation de ressources créée une grande crispation et incompréhension entre l'AEFE et la direction du budget à Bercy. Lorsque l'on voit le montant cumulé des fonds de roulement, il doit être possible de le mutualiser au moins en partie, tout en garantissant à chaque établissement la possibilité de mener à bien ses projets d'investissement. Enfin, nous souhaitons poursuivre l'amélioration du contrôle de gestion très déficient et qui constitue l'une des recommandations les plus importantes de la Cour des comptes. Nos travaux nous ont permis de constater la difficulté de l'Agence à nous fournir sur certains points des chiffres précis, par exemple lorsque nous avons demandé le montant de l'aide nette versée par l'AEFE pour chaque établissement, ou par pays, ainsi que le nombre exact d'enseignants dans le réseau.