Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 25 juillet 2018 à 10h05
Déplacements à washington du 15 au 18 mai 2018 et à berlin les 13 et 14 juin 2018 — Communication

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Je commencerai donc par essayer de vous restituer notre compréhension des développements récents de la politique économique américaine, qui sont assez difficiles à lire depuis la France.

En réalité, la difficulté tient à ce que la politique menée reflète deux types de préoccupations très différents : d'une part, des préoccupations légitimes portées de longue date par les acteurs économiques et politiques américains, y compris chez les démocrates, d'autre part, des objectifs spécifiques à l'équipe de Donald Trump, qui s'inscrit dans une vision très « conflictuelle » de l'économie mondiale et cherche à envoyer des signaux politiques à son électorat.

Ces contradictions se sont particulièrement manifestées dans trois domaines sur lesquels je vais brièvement revenir : la fiscalité, la régulation financière et la politique commerciale.

Nous avons longuement évoqué avec nos interlocuteurs la grande réforme fiscale adoptée fin 2017. En effet, pendant de nombreuses années, chacun s'accordait pour dire que les taux d'imposition américains étaient élevés, sans toutefois parvenir à les réformer.

Le volet « entreprise » de la réforme comporte des éléments qui faisaient consensus entre républicains et démocrates, à savoir le passage à un système territorial de taxation des multinationales et une diminution importante du taux de l'impôt sur les sociétés, de 35 % à 21 %. En prenant en compte les impôts sur les sociétés locaux - 4 % en moyenne -, les États-Unis reviennent ainsi dans la moyenne de l'OCDE, avec un taux global d'imposition des entreprises de 25 %. Ce taux sera celui de la France lorsque la réforme de l'impôt sur les sociétés y sera achevée.

Mais cette réforme reflète également des objectifs plus spécifiques au Président Donald Trump.

La réforme fiscale américaine est ainsi teintée de protectionnisme. Elle contient diverses mesures « anti-abus » qui sont susceptibles de pénaliser les groupes étrangers, en particulier dans les domaines de la banque, de l'assurance et des services. Même le nom de ces dispositifs s'inscrivent dans une perspective guerrière (« BEAT », « GILTI ») !

Le volet « ménages » de la réforme se traduira par ailleurs, à terme, par des gains très importants pour les ménages les plus aisés, alors que les mesures pour les ménages modestes s'éteindront progressivement.

Si cette réforme rencontre une forte adhésion à court terme, son mode de financement inquiète les milieux économiques américains. En effet, son coût, évalué à 1 500 milliards de dollars sur 10 ans, est entièrement supporté par l'endettement - c'est également le cas de la réforme de la taxe d'habitation annoncée en France. Le déficit public américain devrait ainsi dépasser 5 % du PIB au cours des prochains exercices. Si les États-Unis n'auront aucune difficulté à émettre des titres de dette, compte tenu du rôle du dollar dans l'économie mondiale, cette politique budgétaire laxiste risque d'alimenter une « surchauffe » de l'économie américaine, alors même que l'inflation atteint désormais 2,9 % et que le chômage est déjà à un point bas historique. Ce serait le bon moment pour redresser les comptes publics, mais le Président Donald Trump fait exactement l'inverse !

Venons-en maintenant à la régulation financière. Une loi a été adoptée afin de « simplifier » le Dodd-Frank Act, qui constitue la « pierre angulaire » de la réponse de l'administration Obama à la crise financière. Là encore, la loi, adoptée avec le soutien d'élus démocrates au Sénat comme à la chambre des représentants, répond à certaines préoccupations largement partagées. En particulier, elle allège substantiellement les règles applicables aux petites banques (community banks).

Malheureusement, elle envoie également un signal très négatif sur la dérèglementation en relevant, pour les banques systémiques américaines, les seuils d'application de certains éléments de Bâle III.

En outre, la loi discrimine les banques non américaines en les privant explicitement des allègements prudentiels mis en oeuvre pour les grandes banques américaines. Ironie de l'histoire, la disposition discriminatoire a été introduite au Sénat par les démocrates, qui se sont indignés que le relèvement des seuils puisse bénéficier à des banques non américaines. Cela démontre là encore la complexité de la politique américaine...

Venons-en maintenant à la politique commerciale. Là encore, la stratégie américaine est difficile à lire. Elle répond à des préoccupations légitimes concernant l'ouverture du marché chinois, les transferts de technologie forcés et le respect de la propriété intellectuelle.

Il s'agit d'ailleurs de préoccupations partagées par les Européens : il aurait été de ce point de vue intéressant de faire front commun avec les Américains pour obtenir des concessions de la Chine. C'était la stratégie proposée par la France lors de la visite d'État du Président Emmanuel Macron.

Malheureusement, le Président Donald Trump a choisi de « faire feu de tout bois » en menaçant l'ensemble des pays avec lesquels les États-Unis présentent un déficit courant.

Pour ne prendre qu'un exemple, le Président Donald Trump envisage de taxer les importations de voitures européennes. Il s'adresse ainsi directement aux villes industrielles qui ont voté pour lui.

Ceci est très inquiétant car les conséquences pour la croissance mondiale d'une flambée protectionniste seraient dramatiques, même si les mesures effectivement mises en oeuvre restent à ce stade d'une ampleur modeste. Par ailleurs, les modalités de mise en oeuvre de ces mesures protectionnistes interrogent, notamment lorsque l'on observe les relations des États-Unis avec leurs voisins : par exemple, dans l'industrie automobile, les éléments d'une voiture traversent jusqu'à 11 fois la frontière américano-canadienne.

Toute la question est de savoir si les élus républicains modérés, l'appareil administratif « traditionnel » et les milieux d'affaires américains vont réussir à « contenir » les initiatives du Président Donald Trump et de son entourage. J'observe d'ailleurs que des sénateurs républicains ont proposé le mois dernier un amendement qui empêcherait le Président américain d'adopter, sans l'accord du Congrès, des droits de douane supplémentaires. C'est un premier signal intéressant.

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