Je crois effectivement utile, dans le cadre des travaux qui sont les vôtres, d'expliquer en quoi consiste l'office qui est le mien au sein de la présidence de la République, celui de chef de cabinet. D'abord, gérer l'agenda du Président de la République, évidemment, en lien étroit avec le secrétaire général, le directeur de cabinet et l'ensemble des conseillers du cabinet. Sont inscrits à l'agenda les rendez-vous mais également les déplacements du Président de la République. Ensuite, recevoir la correspondance adressée au Président de la République et y répondre. Enfin, organiser les déplacements du Président de la République, en lien, pour la partie stratégique, avec les conseillers du cabinet du Président, les cabinets ministériels, ainsi que les acteurs locaux qui reçoivent le Président - dont les sénateurs font partie à l'occasion. Préfectures de régions et de départements sont mes points de contact pour préparer ces déplacements que je construis, avec mon équipe, en me rendant préalablement sur place pour définir un programme et vérifier que les conditions du déplacement sont réunies. Je travaille en collaboration avec les services de l'Élysée : audiovisuel, intendance, presse et sécurité au titre de laquelle intervient le groupe de sécurité de la présidence de la République, le GSPR, et, plus rarement, le commandement militaire. Le jour du déplacement, le rôle du chef de cabinet ou de ses adjoints est de se trouver aux côtés du Président de la République pour le guider et adapter le programme si cela est nécessaire. Que le chef de cabinet et ses adjoints se trouvent à proximité du Président de la République lors de ses déplacements n'a donc rien d'étonnant. En quelque sorte, pour reprendre une expression déjà utilisée ici, je suis le chef d'orchestre des services de l'Élysée pour tout ce qui concerne l'agenda et les déplacements du Président de la République. Cette mission est extrêmement prenante ; le chef de cabinet et ses adjoints passent régulièrement plusieurs jours par semaine en province pour préparer ou accompagner un déplacement.
Lorsque j'ai pris mes fonctions à l'Élysée le 19 mai 2017, j'ai constitué une structure à mes côtés que nous appelons, dans notre jargon, la « chefferie de cabinet ». Elle se compose d'un chef de cabinet adjoint, qui est sous-préfet, et de deux chargés de mission, une sous-préfète et M. Alexandre Benalla, que j'ai recrutés lors de mon arrivée.
Concernant les faits qui se sont déroulés le 1er mai, j'ai pris l'avion le 29 avril dernier pour la Nouvelle-Calédonie, où je suis arrivé le 30 avril après dix-huit heures de vol. Le 1er mai, je menais une deuxième mission de préparation du déplacement du Président de la République en Nouvelle-Calédonie, marqué par une visite à Ouvéa pour la première fois dans l'histoire ; ce déplacement était particulièrement complexe à organiser, je ne vous ferai pas l'affront d'expliquer pourquoi. Le Président de la République est lui-même arrivé le jeudi 3 mai vers 17 heures, heure locale, soit 8 heures en Métropole, après deux jours en déplacement international en Australie, où l'accompagnait la chargée de mission de la chefferie de cabinet. Pour ma part, j'ai appris ce jeudi 3 mai, peu après 17 heures, heure locale, soit 8 heures heure métropolitaine, l'intervention de M. Alexandre Benalla lors de la manifestation du 1er mai. J'en ai été informé par un contact avec mon directeur de cabinet, M. Patrick Strzoda - contact de routine, comme c'est l'usage, pour l'informer qu'un déplacement du Président de la République se déroule dans de bonnes conditions. Je l'ai appelé dès mon arrivée au Haut-Commissariat, vers 21 heures, heure locale, soit 12 heures en Métropole. M. Patrick Strzoda m'a immédiatement informé des faits et des sanctions qu'il avait prises à l'encontre de M. Alexandre Benalla. Ces sanctions, je le dis fortement, traduisaient la volonté qui était la sienne de prendre au plus vite des mesures à l'encontre de M. Alexandre Benalla, sans attendre le retour du Président de la République et de son chef de cabinet.
La sanction prise, à laquelle je ne pouvais que souscrire, mais à laquelle je n'ai pas été associé, en raison de mon déplacement en Nouvelle-Calédonie, a consisté en une suspension de quinze jours et en un écrit, inséré dans le dossier administratif de l'intéressé, indiquant qu'un nouveau comportement fautif entraînerait un licenciement - cela a été le cas, comme vous le savez, le 19 juillet dernier.
C'est également ce même soir, à peu près à la même heure, que j'ai pris connaissance d'un extrait de la vidéo qui circulait sur les réseaux sociaux. Je peux vous dire que j'ai été choqué par la scène très confuse d'affrontements violents et de poursuites entre manifestants et forces de l'ordre que j'ai pu voir, depuis la Nouvelle-Calédonie, dans des conditions que vous pouvez imaginer. J'ai vu intervenir une personne qui était manifestement M. Benalla et qui, à l'évidence, agissait en dehors des fonctions qui lui sont confiées à la présidence de la République. J'ai souhaité appeler M. Benalla immédiatement. Le premier contact téléphonique que j'ai eu avec lui est intervenu juste après mon premier contact avec Patrick Strzoda, le même soir. J'ai fermement sermonné Alexandre Benalla. Ce dernier a reconnu sa présence sur les lieux de la manifestation. Il a reconnu très clairement qu'il n'avait pas sollicité ma permission pour être présent sur ces lieux - puisque je n'étais pas là - mais celle du directeur de cabinet. Il a justifié son comportement par sa volonté d'aider les policiers pris à partie par des manifestants violents, qui, selon lui, avaient jeté des projectiles sur les forces de l'ordre. Je lui ai immédiatement indiqué qu'une sanction avait été prise à son encontre, ce qui lui avait déjà été signifié.
Je considère que ce qui s'est passé le 1er mai est un comportement individuel fautif, clairement distinct de la mission que j'ai exposée. Je rappelle qu'une information judiciaire est ouverte sur ce cas d'espèce, mais également qu'une sanction administrative a été prise immédiatement - j'en ai rappelé la chronologie. Il appartient désormais à la justice de notre pays d'établir les responsabilités des individus poursuivis.
Pour ma part, j'ai la volonté de répondre précisément et complètement à toutes les questions des membres de la commission d'enquête, dans le respect des principes énoncés et avec la plus grande transparence. Le Président de la République m'a autorisé à venir devant vous. (Exclamations.) Je dis bien « autorisé »... Ce faisant, il souhaite contribuer à la manifestation de la vérité. Il m'a néanmoins demandé de rappeler le cadre juridique dans lequel s'inscrit cette audition. Je dois veiller au respect du principe de séparation des pouvoirs, auquel je vous sais attachés. Ce principe ne me permettra pas de répondre aux questions portant sur des faits donnant lieu à une information judiciaire et à celles qui ont trait à l'organisation interne de la présidence de la République.