Je reçois l'honneur et mesure la responsabilité qui m'échoie de m'exprimer aujourd'hui devant vous après avoir dû prêter serment pour la première fois de mon existence. Nous abordons un sujet immense, à savoir les relations entre la mobilité des hauts fonctionnaires et les institutions de la Vème République. Il s'agit aussi d'une question d'actualité dès lors que le Conseil des ministres a adopté le 9 mai dernier un projet de loi constitutionnelle qui devrait être soumis au Parlement dans les semaines à venir.
Il y a deux aspects concernant la mobilité : il y a la mobilité au sein de la fonction publique et il y a la mobilité vers l'extérieur, qui intéresse directement votre commission d'enquête, c'est-à-dire le pantouflage. Deux points méritent d'être éclaircis : qu'est-ce qu'on entend par haut fonctionnaire ? Et, quel est leur statut ?
Il faut rappeler en premier lieu que la haute fonction publique est un sujet de fierté. Je me souviens de la réflexion du Président de la République italienne, Francesco Cossiga, qui, invité par François Mitterrand pour la commémoration du bicentenaire de notre Révolution et à qui on demandait ce qu'il admirait le plus en France, avait répondu : la fonction publique, car c'est ce qui manque le plus gravement à l'Italie. Et, effectivement, la Haute fonction publique a joué un rôle essentiel. On peut penser à l'inventeur de la TVA Maurice Lauré, au père de la sécurité sociale Pierre Laroque. Et je rappellerai que s'il y a eu 22 gouvernements sous la IVème République, il n'y a eu qu'un seul Secrétaire général du Gouvernement, André Ségalat, ce qui a permis de pallier les méfaits de l'instabilité chronique du régime. De même, en 1981, lors de la première alternance, seuls François Mitterrand, Gaston Deferre et Alain Savary savaient comment l'État fonctionnait. Et là encore, c'est Marceau Long, Secrétaire général du Gouvernement, qui a permis une transition tout à fait normale. Aujourd'hui, certes, la formule « grandeur et servitude » n'est peut-être plus entendue de la même façon qu'auparavant, quand en 2016, le Directeur du Trésor - l'un des postes les plus prestigieux - part travailler pour un fonds d'investissement...
L'expression « Haut fonctionnaire », si elle est couramment employée, n'est pas clairement définie. Quand on regarde le décret du 13 septembre 1989 pour l'ordre des préséances, il est simplement indiqué les « membres des corps et autorités ». Il s'agit bien entendu des principaux corps de la fonction publique dont le Conseil d'État est certainement le plus important. Y est associé l'esprit de corps, mouvement de solidarité et on évoque différentes promotions de l'ENA : la promotion Voltaire avec François Hollande et la promotion Senghor avec Emmanuel Macron.
Il me faut mentionner l'article 20 de notre Constitution, véritable révolution copernicienne de 1958 qui soustrait le pouvoir décisionnel au parlement en faveur du gouvernement et qui énonce : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l'administration et de la force armée ».
Les hauts fonctionnaires sont nommés par décret du Président de la République avec contreseing du Premier ministre. Parmi ceux-ci, il faut distinguer les emplois à la discrétion du Gouvernement et les emplois au tour extérieur. Parmi les premiers, le Président de la République et le Premier ministre nomment librement et ils peuvent révoquer librement. C'est sous François Mitterrand qu'avait été instauré le principe de l'agrément de l'arrivant et du reclassement honorable du sortant. Un décret du 24 juillet 1985 énumère les hauts fonctionnaires visés par ce principe et directement en lien avec le changement de gouvernement : directeurs d'administration centrale, Secrétaire général du Gouvernement, de la Défense nationale, des Affaires européennes, délégués interministériels, etc...prévus par décret en Conseil des ministres.
Le tour extérieur permet à un particulier ou à un fonctionnaire de grade inférieur d'accéder aux grands corps de l'État par le biais d'un choix discrétionnaire et dans la limite d'un numerus clausus. Avec quel contrôle ? Celui défini par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la capacité. Et le Conseil d'État veille à ce qu'il y ait toujours une adéquation entre la capacité de la personne et l'emploi qui lui est proposé. On notera que par un arrêt de 1988, le Conseil d'État ne s'applique pas à lui-même cette règle.
Le Président de la République peut aussi procéder à des nominations obligatoires non délibérées en Conseil des ministres. Il s'agit de nominations au Conseil d'État et à la Cour des comptes, des magistrats des ordres administratif et judiciaire et, également, des membres de l'école polytechnique ou encore des professeurs d'université. Il s'agit de nominations obligatoires car ces fonctionnaires sont les lauréats d'un concours, le plus mauvais procédé de recrutement à l'exception de tous les autres, pour parodier une formule connue, car il évite tout népotisme ou favoritisme.
En outre, il convient de souligner que les hauts fonctionnaires sont visés par le code électoral et frappés d'inéligibilité. L'article LO-132 du code électoral ne permet pas à un certain nombre de fonctionnaires, et en particulier les préfets, de se présenter à des élections dans une circonscription où ils exercent ou ont exercé récemment leurs fonctions. Je citerai notamment le cas d'un candidat aux élections sénatoriales dans l'Orne qui a vu sa candidature invalidée parce qu'il travaillait alors au Conseil départemental. Désormais, ces hauts fonctionnaires doivent faire une déclaration de leurs ressources devant la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, créée par la loi du 11 octobre 2013. Il s'agit de déclarations patrimoniale et d'intérêt. La seule exception à ces obligations de déclaration concerne les membres du Conseil constitutionnel. Je le souligne, bien qu'ils ne soient pas des hauts fonctionnaires.
J'en viens maintenant aux allées et venues des hauts fonctionnaires dans le privé. Elles sont contrôlées par une commission de déontologie. Face à la multiplication des cas, est-ce suffisant et que peut faire le Parlement ?
Au titre du pouvoir constituant, pourquoi ne pas considérer ce qui se passe aujourd'hui au titre de l'article 13, alinéa 5 de la Constitution ? Il impose, pour certaines nominations du Président de la République, un avis des commissions parlementaires compétentes. Cela pourrait être étendu. Au titre du pouvoir législatif, c'est au législateur de déterminer les garanties fondamentales des fonctionnaires et de veiller, depuis la loi Sauvadet, à ce qu'au moins 40 % des emplois de fonctionnaires soient attribués aux femmes. Je pense aussi que le législateur pourrait confier à la Haute autorité pour la transparence de la vie politique la compétence de la gestion de ces allées et venues. Enfin, au titre du pouvoir de contrôle, comment ne pas utiliser le contrôle budgétaire à l'image de l'action du député René Dozière qui a permis que la Cour des comptes contrôle le budget de l'Élysée ? Et plutôt qu'un contrôle éparpillé, il serait utile de faire un contrôle concentré lors de l'examen de la loi de règlement.