Intervention de Bruno Lasserre

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 3 juillet 2018 à 15h00
Audition de M. Bruno Lasserre vice-président du conseil d'état

Bruno Lasserre :

Effectivement, plusieurs avis défavorables ont été délivrés au cours de ces dernières années. Nous nous montrons également très attentifs au respect de la déontologie lorsqu'un collègue réintègre le Conseil d'État après avoir servi dans le privé. Premièrement, nous veillons à ce que son affectation ne l'expose pas à un risque de conflit d'intérêts, notamment pour ceux ayant rejoint un cabinet d'avocats, et qui ont désormais l'interdiction de revenir au sein de la section de contentieux, où ils seraient amenés à exercer des activités juridictionnelles.

Deuxièmement, nous obligeons ces collègues à remplir une déclaration d'intérêts détaillant leurs activités passées sur les cinq dernières années, ainsi que les rémunérations qui y sont associées, obligation à laquelle sont soumis tous les membres du Conseil d'État. Cette déclaration d'intérêts est prise très au sérieux par le Conseil d'État. Elle est ensuite transmise à la Secrétaire Générale ou au Vice-Président de l'institution, et donne lieu à un entretien de déontologie entre l'intéressé et le Président de la Chambre ou de la section dont il relève, afin d'instaurer un dialogue et identifier les conjonctures dans lesquelles il devra se déporter en cas de risque.

Je précise que le Conseil d'État a mis en place depuis 2011, soit cinq ans avant la Loi de 2016, une charte déontologique de la juridiction administrative, document public auquel est annexé un certain nombre d'avis portant sur des situations particulières. Cette charte comporte parfois des règles plus sévères que celles exprimées par la Loi, notamment pour les départs vers des cabinets d'avocats, dont le délai minimum a été étendu à cinq ou dix ans.

Je possède personnellement peu de recul sur la question, d'autant que je n'ai jamais servi dans le privé. Cependant, nous sommes persuadés que le Conseil d'État est un corps conçu dès son origine pour servir l'État. La position de conseiller d'État n'octroie aucun droit à ceux qui l'occupent, et l'État doit choisir ceux qui le servent en fonction de leurs compétences et talents professionnels.

L'État cherche de bons serviteurs, efficaces et utiles, capables de mobiliser leurs talents, leur énergie et leur enthousiasme au service de la politique publique. Ces fonctions sont précédées d'appels à candidature, d'examens par un comité, et d'auditions. Nous encourageons nos collègues à servir l'État dans tous ses aspects, à diverses étapes de leur carrière. Nous pensons que l'administration ne peut être correctement jugée et appliquée, que si elle est connue de l'intérieur par ceux qui la pratiquent.

Nous ne sommes pas retranchés de la société ni désintéressés des enjeux économiques, sociaux et politiques des décisions que nous prenons. Nous pensons qu'un bon Juge est une personne à l'épreuve du terrain, au courant des réalités, et ayant pris des risques à travers l'exercice de fonctions d'encadrement, et capable d'anticiper les conséquences des décisions prises sur l'action administrative et sur la réalité du terrain.

Nous ne sommes pas des Juges en chambre : se confronter aux réalités fait partie de notre identité constitutive. Nous estimons rendre un meilleur service dans les deux fonctions qui sont les nôtres - à savoir le conseil juridique et l'action juridictionnelle - lorsque nous connaissons l'administration de l'intérieur, raison pour laquelle nous encourageons les départs. Je répète toutefois que tout détachement est soumis à l'appréciation du Bureau. Certains de nos collègues partent exercer leurs activités dans des collectivités territoriales et demeurent au service de l'État, dans des entreprises publiques.

Dans une vie professionnelle de plus en plus longue (le départ à la retraite s'opère à 67 ans), nous estimons ne pas être en mesure d'offrir à tous nos collègues les moyens de satisfaire leurs aspirations, et nous comprenons que certains d'entre eux veuillent acquérir des compétences qu'ils ne trouveront pas au sein du Conseil d'État, et relever des défis en se confrontant à des situations plus risquées.

Nous encourageons ces départs pour renforcer la qualité du service fourni à l'État, puisque ces membres, qui réintègrent le Conseil aguerris et riches de nouvelles expériences, s'avèrent ensuite meilleurs dans leurs fonctions. Nous sommes favorables à ce que ces modalités enrichissent le service du Conseil d'État dans ses missions.

Une réforme, annoncée par le Premier Ministre le 1er février 2018, est en cours. Elle conduira les jeunes membres du Conseil, justifiant de deux ans d'ancienneté, à partir sur des missions prioritaires identifiées par l'État, et à travailler sur la conduite de projets. Un jeune membre sera affecté à un projet de revalorisation du travail en prison au sein de l'administration pénitentiaire, tandis qu'un autre collègue s'investira au service de la lutte contre l'extrême pauvreté, et qu'un troisième se consacrera aux droits des étrangers et à la mise en oeuvre de la Loi Asile Immigration. Ces missions dureront entre 18 mois et deux ans.

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