Intervention de Florent Méreau

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 3 juillet 2018 à 15h00
Audition de M. Florent Méreau avocat membre du conseil national des barreaux

Florent Méreau :

Je vous remercie infiniment. Je me permets de préciser que je ne suis pas uniquement en charge des dossiers des fonctionnaires.

En effet, je suis un avocat, inscrit au Barreau de Lille, élu du Conseil National des Barreaux (CNB) qui est l'instance représentative de la profession. Il s'agit de mon deuxième mandat et je m'occupe aujourd'hui également de l'admission des avocats étrangers.

Concrètement, il s'agit de permettre à des avocats, originaires de l'Union Européenne ou non, d'exercer avec un titre d'avocat français sur notre territoire. Cette compétence, à la différence de celle concernant les fonctionnaires pour laquelle vous m'interrogez aujourd'hui, fait bien partie des attributions du CNB.

Étant donné que je traite des accès dérogatoires à la profession, je suis chargé d'un groupe de travail qui propose à la Chancellerie une réécriture des articles 97 et 98 du Décret du 27 novembre 1991 pour se mettre à jour vis-à-vis de la jurisprudence. Néanmoins il ne s'agit aucunement d'élargir ou de restreindre cet accès dérogatoire.

À titre de précision, les accès dérogatoires des récipiendaires des articles 97 et 98 concernent les ordres. En effet, chaque candidat doit se rapprocher de l'ordre qu'il aura sélectionné et lui présenter un dossier justifiant de sa dispense de l'examen d'entrée et de la formation de 18 mois pour pouvoir exercer. Ainsi, le CNB ne gère pas directement ces demandes de dérogations à ce jour.

Pour autant, il est possible que cette entité soit saisie dans le cadre de demandes émanant, généralement, de Barreaux dont l'effectif est réduit, à l'image de celui de la Lozère qui compte 18 avocats. Le CNB réalise donc une mission de service public et apporte son aide lorsqu'il est sollicité sur les accès dérogatoires.

De manière plus spécifique, l'article 97 du Décret du 27 novembre 1991 stipule que les magistrats des trois ordres (administratif, judiciaire et chambre régionale des comptes) peuvent exercer la profession d'avocat sans avoir obtenu de diplôme. Il en est de même pour les professeurs de droit à l'université et les avocats au Conseil d'État et à la Cour de Cassation. Cet article s'appuie sur le postulat que le parcours professionnel suivi équivaut au diplôme de Master 1 nécessaire et dispense de l'examen déontologique.

L'article 98, quant à lui, dispense de la formation théorique et pratique et donc de l'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat. Il concerne les professions juridiques réglementées (notaire, huissier de justice, administrateur), les maîtres de conférences à l'université qui délivrent des enseignements juridiques depuis au moins cinq ans, les juristes d'entreprise ayant une expérience professionnelle d'au moins huit ans, les fonctionnaires de catégorie A ayant exercé des activités juridiques dans une administration, un service public ou une organisation internationale pendant huit ans, les juristes de syndicats qui plaident aux prud'hommes et en Cour d'Appel chambre sociale ainsi que les collaborateurs de députés et assistants de sénateurs justifiant d'avoir exercé une activité juridique à titre principal et sous un statut de cadre pendant huit ans.

Si les conditions de l'article 98 sont réunies et que le Conseil de l'ordre valide leur admission au Barreau, les candidats retenus doivent se rendre dans le centre d'examen de leur choix pour y passer un examen de déontologie dont la réussite ouvre droit à l'inscription au tableau de l'ordre.

Dans le cadre de ma participation au Conseil de l'ordre à Lille, j'ai fait passer une grande majorité de candidats qui étaient des juristes d'entreprise ainsi que des magistrats provenant de l'ordre administratif. Les quelques fonctionnaires de catégorie A qui candidataient pouvaient être des inspecteurs des impôts à la retraite qui souhaitaient exercer pendant quelque temps.

J'ai notamment souvenir d'un confrère qui était juriste chargé des marchés publics dans une collectivité locale et qui est devenu avocat spécialiste dans ce domaine fort de son expérience.

À mon niveau, je n'ai donc pas eu à traiter de dossiers de hauts fonctionnaires à la différence de l'ordre de Paris qui est plus concerné par ces cas. Par conséquent, je me suis procuré un document non officiel des statistiques de cette catégorie.

Au Barreau de Paris, 194 dossiers ont été traités au titre des articles 97 et 98 en 2015, 191 en 2016, 186 en 2017 et 103 en 2018 (chiffre arrêté en juillet). Pour l'année 2017, 31 dossiers ont été déposés par des fonctionnaires de catégorie A. Toutefois, il ne m'est pas possible de distinguer, parmi cet effectif, lesquels sont des hauts fonctionnaires tels que cette mission le définit. Pour 2018, ce chiffre s'élève à treize.

En définitive, le métier d'avocat est une activité ouverte depuis toujours. En effet, lors de la fusion des conseils juridiques et des avocats sous une même profession en 1990, il semblait normal que les juristes d'entreprise exerçant une activité de conseil puissent devenir avocats.

Depuis, l'ouverture s'est faite à d'autres professions mais toujours avec un contrôle préalable strict mené par le Conseil de l'ordre et la Cour d'Appel. Les hauts fonctionnaires n'échapperont donc pas à ces vérifications de leur statut et des preuves de la pratique d'activités juridiques dans leur parcours professionnel.

Au risque de décevoir cette commission, je ne peux pas vous communiquer les actions et comportements de ces hauts fonctionnaires qui deviennent avocats. En effet, ils sont tenus au secret professionnel sauf s'ils commettent des erreurs déontologiques qui peuvent occasionner des sanctions disciplinaires voire pénales.

En outre, je n'ai pas plus d'éléments de réponse pour ce qui concerne leurs motivations à intégrer le Barreau. Je peux néanmoins citer l'exemple de M. Joxe qui a plaidé durant des années devant le juge pour enfants au sein des tribunaux du contentieux de l'incapacité et qui prenait beaucoup de plaisir à citer toute la jurisprudence.

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