Intervention de Bruno Bézard

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 4 juillet 2018 à 15h30
Audition de M. Bruno Bézard managing partner du fonds d'investissement cathay capital private equity

Bruno Bézard :

Merci beaucoup Monsieur le Président. Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion - après 28 ans au service de l'État et maintenant deux ans dans le secteur privé - de partager avec vous ce qui m'a souvent frappé dans la Fonction publique.

J'ai dirigé trois Administrations centrales différentes, dont l'Agence des participations de l'État jusqu'en 2010, Agence que j'ai moi-même contribué à créer. J'ai dirigé la Direction Générale des Finances Publiques de 2012 à 2014 et la Direction du Trésor entre 2014 et 2016. Il s'agit d'une source d'expérience abondante. Il est vrai que je n'ai pas d'expérience des autres Fonctions publiques, territoriales et hospitalières. Par ailleurs, mon expérience de la Fonction publique centrale et étatique se limite à un univers très particulier, qui est celui de Bercy. J'ai quitté Bercy trois ans, un an pour aller à Matignon, et deux ans pour travailler à l'Ambassade de France à Pékin, où j'étais en charge des affaires économiques.

La France bénéficie, selon moi, de la meilleure Fonction publique du monde développé. Certains de mes anciens équipiers seraient étonnés de m'entendre le dire, après m'avoir entendu pester contre les inefficacités et les lourdeurs de la bureaucratie. J'ai connu maintes formes d'action publique, conseillé des ministres comme des particuliers, défendu les intérêts de la France lors de négociations internationales et ceux des contribuables face aux marchés financiers.

Notre Fonction publique est compétente, désintéressée et intègre, je tiens à le rappeler. Ses personnels sont complètement investis dans leur travail, indépendamment de leur rémunération. Ils portent et défendent constamment les valeurs de l'intérêt général.

J'ai pu remarquer quelques marges de progression. En effet, le facteur « temps » n'est pas suffisamment pris en compte dans les raisonnements de l'Administration. Pour autant, c'est parfois la survie d'une entreprise qui est en jeu et il est nécessaire de prêter davantage attention aux échéances.

L'Administration ne s'inscrit pas non plus dans la culture de la précarité et de l'impact. En effet, elle se pense éternelle tandis qu'une entreprise ou une personne est mortelle. L'Administration doit se montrer plus attentive aux décisions qui sont prises, à leurs modalités de mise en oeuvre à leur calendrier, et surtout à leur impact.

La majorité des réunions se termine sans que l'Administration ait abouti à un plan d'action clairement défini. Il s'agit d'une problématique majeure. Il est nécessaire de valoriser l'exécution, au-delà de la simple création de concepts, par exemple en rendant hommage à quelqu'un qui aurait porté un projet jusqu'à exécution, et ce à temps.

La clarté et la cohérence des règles qui définissent les conflits d'intérêts doivent également faire l'objet d'une optimisation dans leur application. Les futurs Hauts fonctionnaires sont-ils suffisamment formés pour savoir faire preuve de fermeté dans l'exercice de leur fonction, et résister aux pressions, parfois hiérarchiques, qui somment de favoriser tel ou tel intérêt ? Par ailleurs, les Hauts fonctionnaires sont-ils tous en capacité de détecter ces pressions, qui revêtent parfois un caractère doux et pernicieux ? En effet, une forte dose de courage et de caractère est requise afin de résister aux pressions. Il ne s'agit pas d'une tâche aisée. C'est pourquoi les écoles de formation doivent mettre l'emphase sur ces valeurs morales.

Il est également nécessaire d'éviter que la Fonction publique se sclérose. En effet, les Hauts Fonctionnaires et Très Hauts Fonctionnaires ne doivent pas simplement viser à conserver leur poste, mais à servir l'intérêt général.

Les sorties vers le monde de l'entreprise sont encadrées par un dispositif que j'ai, au cours de ma carrière, pu constater comme globalement fonctionnel et équilibré. Cessons de diaboliser, dans le principe, la sortie vers le secteur privé. Lorsque les textes et les procédures sont respectés, méfions-nous des mensonges qui se transforment rapidement en « fake news » grandissantes.

Notre Fonction publique est peu familière avec le monde de l'entreprise, y compris dans les Ministères qui sont censés s'en charger. Les grands groupes recrutent un certain nombre de Hauts Fonctionnaires. Les PME et les ETI, dont je m'occupe aujourd'hui, ne recrutent pas de Hauts Fonctionnaires. Il existe un besoin d'accroître la connaissance du monde de l'entreprise au sein de la Fonction publique.

La force des fonctions de contrôle Françaises garantit la qualité de l'administration. Toutefois, la part des ressources publiques consacrée aux fonctions de contrôle est par trop supérieure à celle qui est allouée aux fonctions d'action et de résolution des problèmes de la société. Il s'agit de ma propre analyse, forgée lors de mon expérience au sein de ces corps de contrôle. En effet, l'inflation des fonctions de contrôle conduit certains Responsables publics à préférer l'inaction à l'action. Or, ce n'est pas ce que nous devrions souhaiter. Il m'est arrivé de constater que plus de 50 actions de contrôle étaient menées simultanément. Au sein même des administrations dites « actives », la proportion des ressources dédiée au contrôle me semble disproportionnée. Il est nécessaire de rééquilibrer les forces.

En ce qui concerne la rémunération et l'avancement au mérite, la Fonction publique tente de protéger au mieux ses collaborateurs de l'arbitraire. Suite à mon expérience des fonctions managériales, j'estime que nous devrions donner davantage de leviers managériaux aux Responsables des administrations et des services publics. Il s'agit d'une tâche complexe que de récompenser, et de garder, les meilleurs au sein de l'Administration.

J'aborderai enfin un sujet qui concerne uniquement la Haute Fonction publique. Malgré tous les rapports et toutes les réformes, la Haute Fonction Publique est toujours marquée par une forme de reproduction sociale. Elle est toujours aussi « parisienne » et imprégnée de réseaux divers et variés ainsi que de codes sociaux. Il existe bien entendu des exceptions. Toutefois, je ne suis pas certain que la proportion de provinciaux boursiers ait beaucoup augmenté dans la Haute Fonction publique ces dernières années. Je ne pense pas non plus que leurs chances d'atteindre le sommet aient beaucoup augmenté, à talent et labeur égaux. J'espère sincèrement que vous m'en détromperez.

Enfin, j'estime que la Haute Fonction publique est sociologiquement déconnectée du pays réel. Il s'agit d'une problématique dont nous devons prendre conscience.

Merci beaucoup de votre attention.

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