Intervention de Jean Sol

Commission des affaires sociales — Réunion du 25 septembre 2018 à 14h00
Proposition de loi n° 489 2017-2018 adoptée par l'assemblée nationale relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes — Procédure de législation en commission articles 47 ter à 47 quinquies du règlement - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean SolJean Sol, rapporteur :

Les Français sont traditionnellement convaincus de l'intérêt de la recherche clinique, synonyme de prestige pour les établissements de santé et d'accélération de l'accès au progrès médical pour les patients. Selon une étude Ifop de 2010, les essais cliniques sont, pour plus de neuf Français sur dix, une garantie de fiabilité d'un médicament.

Pour autant, moins de la moitié de nos compatriotes se disent prêts à y participer. Le scandale du Mediator et l'affaire Biotrial sont, depuis, passés par là et n'ont pas contribué à lever les craintes. Derrière une apparente bienveillance, se cache donc encore une forme de méfiance chez nos concitoyens à l'égard des essais cliniques, dont il nous faut tenir compte, car, sans volontaires, il n'y a pas d'essais.

Réduire les délais d'autorisation des essais ne permettra pas à notre pays de retrouver son rang dans la recherche clinique mondiale si les conditions ne sont pas réunies pour rassurer des volontaires pour qui tous les risques ne sont pas bons à prendre. C'est précisément dans cet esprit que notre commission a été à l'origine de l'introduction, dans la loi Jardé de 2012, du tirage au sort des CPP pour l'évaluation éthique des projets de recherche.

Permettez-moi, tout d'abord, de saluer l'investissement des 39 CPP répartis sur notre territoire qui effectuent un travail formidable avec souvent des moyens indigents. Animés par des bénévoles du milieu médical et de la société civile, ils garantissent une évaluation éthique pluridisciplinaire et indépendante des projets de recherche.

Le tirage au sort, qui n'est effectif que depuis novembre 2016, a d'abord eu le mérite de rééquilibrer le nombre de dossiers attribués à chaque CPP. Ce lissage a nécessairement demandé à certains d'entre eux des efforts de réorganisation qui ont dû être menés, je le rappelle, à moyens constants et réclament encore du temps. Mécaniquement, le tirage au sort a également permis de réduire le risque de proximité entre promoteurs et membres des CPP.

Pour autant, le tirage au sort a mis en lumière des inégalités entre CPP, inégalités qui, j'insiste, préexistaient à ce mode de désignation. Face à la complexification des spécialités thérapeutiques et à la sophistication des protocoles de recherche, certains CPP, déjà confrontés à l'augmentation de leur charge de travail depuis l'élargissement de leur champ d'évaluation aux recherches non interventionnelles, se retrouvent démunis pour mobiliser un expert dans le domaine de recherche concerné.

Il semble que le délai moyen d'examen par les CPP oscille désormais entre 70 et 85 jours, soit un résultat bien supérieur à l'objectif de 60 jours fixé lors du dernier conseil stratégique des industries de santé. Dans ce contexte, nos collègues Catherine Deroche, Véronique Guillotin et Yves Daudigny, dans leur rapport d'information sur l'accès précoce aux médicaments innovants, ont appelé au pragmatisme : ils ont préconisé une modulation du tirage au sort selon la compétence, afin d'attribuer un dossier de recherche à un CPP capable de mobiliser des experts dans le domaine concerné, et avaient plaidé pour un renforcement du niveau d'expertise de tous les CPP par la mise en place de formations adaptées et d'un réseau d'experts rapidement mobilisables.

Je partage pleinement leurs recommandations qui conservent tout leur sens dans l'examen de cette proposition de loi. La concurrence internationale dans l'implantation des essais cliniques s'intensifie, à l'heure où l'Union européenne s'apprête à réduire les délais d'évaluation scientifique et éthique à partir de 2020 pour les médicaments et 2022 pour les dispositifs médicaux. L'allongement des délais d'examen par les CPP pourrait alors peser sur le positionnement de notre pays dans la recherche clinique mondiale et représenter une perte de chance pour les patients dans l'accès aux thérapies innovantes.

La proposition de loi, dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, vise à moduler le tirage au sort des CPP afin qu'il tienne compte, pour l'attribution d'un dossier de recherche, d'une part, de la disponibilité des CPP, qui permettrait d'objectiver la capacité du comité à traiter le dossier dans le respect des délais réglementaires en fonction de sa charge de travail et, d'autre part, de la compétence des CPP, qui permettrait de confier l'examen du dossier à un comité en mesure de mobiliser, en interne ou en externe, un spécialiste pertinent pour l'analyse du projet concerné.

La rédaction retenue par nos collègues députés me semble équilibrée et de nature à permettre une plus grande réactivité des CPP. Je rappelle que, à compter de l'entrée en vigueur du règlement européen sur les essais cliniques de médicaments, le dépassement du délai réglementaire vaudra désormais accord et non plus rejet. Il est donc inconcevable que des projets de recherche puissent être entrepris en l'absence de décision explicite quant à leur caractère éthique, au motif que le CPP concerné aurait gardé le silence.

Toutefois, les conditions de mise en oeuvre de cette modulation du tirage au sort méritent, à mon sens, d'être précisées afin de préserver la vocation pluridisciplinaire des CPP qui constitue le fondement d'une évaluation éthique indépendante et sérieuse.

D'une part, je plaide pour que le critère de la compétence soit apprécié souverainement par le CPP, qui devrait pouvoir identifier lui-même les spécialités pour lesquelles les difficultés de recrutement lui semblent discriminantes. Si certains CPP ne sont pas encore aujourd'hui en capacité de mobiliser des experts en oncohématologie, domaine faisant l'objet d'un grand nombre d'essais cliniques, d'autres rencontrent de véritables difficultés à s'adjoindre le concours de pédiatres ou d'ophtalmologues.

D'autre part, il est primordial, à mon sens, que le fait, pour un CPP, de se déclarer incompétent sur une spécialité ne soit qu'un état transitoire et réversible. La vocation pluridisciplinaire des CPP exige que les moyens humains, matériels et financiers suffisants leur soient consentis afin qu'ils puissent, à terme, être tous en capacité d'examiner des projets de recherche dans tous les champs de la recherche biomédicale.

À cet égard, je salue l'engagement pris par Mme la ministre, devant l'Assemblée nationale, de renforcer les moyens des secrétariats permanents des CPP. Mais il me semble indispensable d'aller beaucoup plus loin.

La Cnriph doit enfin avoir les moyens de remplir ses missions, ce qui est loin d'être le cas. L'harmonisation des procédures d'évaluation entre CPP, la formation de leurs membres et de leur secrétariat, la mise en place d'un réseau national d'experts rapidement mobilisables et le développement de tutoriels à l'intention des promoteurs pour le montage des dossiers sont autant d'actions essentielles pour le maintien d'une évaluation éthique crédible dans notre pays.

À mon sens, cette proposition de loi apporte une solution pragmatique à des difficultés qui doivent demeurer transitoires. À terme, l'objectif est bien que plus aucun CPP n'ait à se déclarer incompétent sur une spécialité. À défaut, une spécialisation définitive des CPP ne ferait que reproduire les déséquilibres observés dans le système antérieur au tirage au sort. La concentration de l'examen de projets de recherche sur un petit nombre de CPP dans un champ thérapeutique donné accentuerait le risque de dépassement des délais, soit un effet inverse à l'objectif de la proposition de loi.

Au bénéfice de ces observations, j'invite donc la commission à adopter ce texte sans modification.

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