Intervention de Stéphane Travert

Réunion du 25 septembre 2018 à 16h45
Relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Stéphane Travert :

Ces deux types de critiques montrent, à mon sens, que le positionnement du curseur est peut-être, en définitive, assez équilibré entre, d’une part, les attentes de la société, qui voudrait des réponses immédiates sur tous les sujets, et, d’autre part, une capacité de transformation de nos modèles agricoles qui doit tenir compte du contexte économique et social.

En ce qui concerne le titre Ier, votre majorité dénonce un recul, un manque d’ambition. Je ne suis évidemment pas d’accord et n’ai pas changé d’avis.

Le projet de loi, je le rappelle, traduit les conclusions des États généraux de l’alimentation, les résultats des ateliers 5 à 7 au sein desquels tous les acteurs présents avaient parfaitement en tête un certain nombre de contraintes juridiques et économiques. Il importe de les garder à l’esprit, y compris au moment de légiférer.

Je l’ai déjà indiqué ici même, et nous en avons déjà largement débattu en première lecture : si l’idée est de fixer les prix agricoles ou d’imposer des prix planchers, je le reconnais bien volontiers, le Gouvernement ne le fera pas ! En effet, jusqu’à preuve du contraire, nous sommes intégrés dans une économie de marché.

Si l’idée est de contraindre vendeurs et acheteurs à utiliser tel ou tel indicateur dans la construction des prix, je le dis là encore : le Gouvernement ne s’est pas engagé dans cette voie, car il est le garant du respect du droit national et européen, du droit de la concurrence et de la liberté contractuelle.

Alors, de quoi est-il question ? Ce qui se joue en vérité, c’est une transformation en profondeur de la culture contractuelle dans les filières agricoles. Se convaincre de l’intérêt de la contractualisation, de la mise par écrit des engagements réciproques, de l’objectivation des coûts de production et des valorisations de marché, c’est cela le changement de paradigme que je recherche au travers de ce projet de loi ! Il s’agit de s’en convaincre, puis de se donner les moyens d’y parvenir grâce à un cadre juridique nouveau, celui que pose la loi, et un travail de fond entre les différents acteurs économiques.

J’ai bien compris que c’est ce travail qui inquiète beaucoup. C’est la responsabilité qui est donnée aux interprofessions de trouver les bons indicateurs, de les mettre en partage, d’encourager leur utilisation. Des indicateurs, il en existe déjà beaucoup aujourd’hui. Souvent, l’enjeu est d’ailleurs plutôt de faire le tri que d’en inventer de nouveaux, encore que, lorsqu’on repense la segmentation d’un marché, on se rende parfois compte qu’il manque souvent un ou deux indicateurs pour valoriser un effort de montée en gamme, une production sous label rouge ou bio. Avoir conscience de ce qui existe et de ce qui manque, c’est déjà progresser.

Il faut ensuite se fixer une méthode et un calendrier pour combler les lacunes et avancer.

Les filières, que j’ai rencontrées durant les semaines passées, se confrontent actuellement à ce questionnement. Elles posent des questions techniques. Elles essaient aussi de construire du consensus entre leurs maillons sur les déterminants économiques de leur fonctionnement : qu’est-ce qui pèse sur les coûts de production de l’éleveur ? Le coût de l’alimentation animale, bien sûr ! Quoi d’autre ? Qu’est-ce qui vient peser sur les prix au stade de l’abattage ? Et aux stades suivants ?

Loin de moi l’idée de dire que ce travail est facile. Il ne l’est pas, et je vois bien les efforts que font l’ensemble des acteurs pour avancer. Il y a néanmoins une chose qui est sûre, et qui correspond à la ligne défendue par le Gouvernement et par moi-même depuis le début : ce sont les interprofessions qui sont les mieux placées et les plus à même de mener à bien cette réflexion et de faire leur le nouveau cadre légal de contractualisation, afin d’offrir aux opérateurs les outils dont ils ont besoin pour garantir un minimum de revenus, un revenu décent aux agriculteurs.

L’État ne se désintéresse évidemment pas du sujet des indicateurs. Au contraire, le Président de la République a rappelé dès cet été que le volet économique des plans de filière et le projet de loi devaient avancer du même pas. Tout se tient : l’inversion de la contractualisation, qui est dans la loi, le choix des indicateurs, qui incombe aux professionnels, et la régulation de l’aval – l’encadrement des promotions et le seuil de revente à perte –, qui se fera par voie d’ordonnance.

Si chacun fait son travail et défend ce projet commun, celui qui faisait consensus pendant les États généraux de l’alimentation, celui d’un rééquilibrage des relations commerciales et d’une meilleure rémunération des maillons les plus faibles de la chaîne alimentaire, je peux vous dire que ce projet ira à son terme !

Je dis régulièrement, et je veux insister sur ce point encore aujourd’hui, que la loi n’est que l’un des outils de mise en œuvre de la politique de l’alimentation présentée par le Premier ministre en clôture des États généraux le 21 décembre dernier. Il y en a d’autres, et pas seulement les plans de filière. C’est cet ensemble d’outils que nous devons construire simultanément pour pérenniser et transformer notre agriculture, et enfin répondre aux attentes de nos concitoyens.

Jour après jour, nous avançons. Je voudrais vous donner quelques exemples de caps franchis collectivement depuis l’examen du projet de loi en première lecture.

Le 22 juin, nous avons lancé le plan de sortie du glyphosate en trois ans, avec la création d’une task force et d’une banque de solutions. Nous avons également décidé la limitation à trois ans du renouvellement des autorisations de mise sur le marché des produits contenant cette substance.

Le 25 juin s’est tenu un grand conseil d’orientation de l’agriculture biologique et a été présenté le nouveau programme « Ambition bio 2022 », doté d’un budget de 1, 1 milliard d’euros, et destiné à atteindre les objectifs fixés dans la loi : 15 % de la surface agricole utile en mode bio et 20 % de bio dans la restauration collective d’ici à 2022.

Le 4 juillet a été lancé le plan de préservation de la biodiversité, avec un volet agricole important.

Le 13 juillet, nous avons réactivé le CORENA, le Comité de rénovation des normes en agriculture, pour travailler sur les projets de normes ayant un impact dans le domaine agricole.

Le 27 juillet, lors de la réunion du comité d’orientation stratégique Écophyto, a été lancé le plan Écophyto II+, qui contribuera à la réduction de la consommation des produits phytopharmaceutiques.

D’autres actions ont été mises en œuvre. Je pense, par exemple, à la réforme fiscale que nous avons engagée avec Bruno Le Maire en février dernier, à laquelle des parlementaires de toutes les sensibilités ont été associés. Celle-ci permettra d’améliorer sensiblement la résilience économique des exploitations grâce à un dispositif d’épargne de précaution adapté à la fluctuation des revenus agricoles. La semaine dernière, nous avons en outre eu l’occasion de présenter bien d’autres outils.

Je pense aussi à l’ingénierie financière pour mettre en place, avec le Fonds européen d’investissement, un fonds de garantie de 800 millions d’euros. Ce fonds permettra de garantir les prêts aux exploitations agricoles, afin de faciliter leur octroi par les banques, tout en sécurisant l’exploitant agricole en cas de défaillance, en lui évitant d’hypothéquer ses biens personnels.

Quel est le point commun entre tous ces chantiers ? C’est ma volonté farouche de redonner de la fierté à nos producteurs, un environnement d’action porteur, un cadre juste et équitable à tous les maillons de la chaîne alimentaire. C’est une volonté tout aussi ferme d’assurer à tous nos concitoyens une alimentation toujours plus saine et répondant à leurs attentes légitimes.

Promouvoir la performance économique, environnementale, sanitaire et sociale de l’agriculture, comme je le fais à chacun de mes déplacements en France comme à l’étranger, c’est concret. C’est travailler sur la viabilité économique des exploitations, leur résilience, la qualité de l’eau et de l’air, la préservation des sols et de la biodiversité, l’atténuation du changement climatique, la sécurité sanitaire du producteur au consommateur. C’est aussi veiller à ce que les efforts sur la qualité de l’alimentation bénéficient à tous, y compris aux plus modestes de nos concitoyens. Cette quadruple performance s’applique à tous les maillons, dont les industries agroalimentaires.

Vous connaissez maintenant la méthode qui est la mienne : elle n’est pas celle du clivage, de la stigmatisation ou de l’agitation des peurs, comme certains voudraient le faire croire. Ma méthode est celle du dialogue permanent §et de l’accompagnement, celle de la construction de compromis, en impliquant tous les acteurs dans leurs responsabilités.

Changer les pratiques peut faire peur, c’est humain. Notre rôle, celui du Gouvernement, mais aussi le vôtre, est de mobiliser, de faire connaître, de diffuser d’autres méthodes pour montrer que la transformation de nos systèmes agricoles vers des modèles plus durables et plus résilients est possible, mais qu’elle ne se fera pas sans ceux qui travaillent la terre au quotidien, entretiennent nos paysages, font vivre nos territoires.

Nous le savons, nous devons conduire cette transformation durable de notre agriculture en dépit des aléas économiques, climatiques ou sanitaires, et des difficultés induites. Nous devons garder le cap. C’est ce que le Gouvernement s’attache à faire en reprenant les débats parlementaires de la session extraordinaire sur ce projet de loi.

Concernant le titre Ier, mon message aux opérateurs n’a pas varié : saisissez-vous des outils qu’offre la loi. Elle est un cadre d’action, il vous appartient de l’occuper. Regroupez-vous en organisations de producteurs et en associations d’organisations de producteurs pour être plus forts. Agissez au sein de votre interprofession pour qu’elle élabore et diffuse les indicateurs les plus adaptés à vos filières. Appuyez-vous sur ces indicateurs de référence dans vos propositions de contrat et sur le poids que leur conférera la validation de l’interprofession. C’est comme cela que vous pourrez faire bouger les lignes dans vos relations contractuelles. C’est bien là l’esprit des États généraux de l’alimentation.

S’agissant du titre II, ramener du revenu dans les exploitations passera aussi par la création de valeur, la segmentation et la transformation de nos systèmes agricoles en vue de répondre aux enjeux sociétaux, sanitaires et environnementaux. Certains d’entre vous appellent cela des charges supplémentaires ; pour nous, il s’agit d’une montée en gamme !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion