Intervention de Michel Raison

Réunion du 25 septembre 2018 à 16h45
Relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Michel RaisonMichel Raison :

Ceux-ci sont d’abord restés sourds à la volonté de compromis des sénateurs.

La première alerte a eu lieu en commission mixte paritaire. De mémoire de parlementaire – et j’en ai un peu ! -, c’est la première fois que j’assistais à une commission mixte paritaire échouant sur un point d’accord…

Alors que nous tentions de présenter des compromis sur les quelques lignes rouges restant en discussion, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, tenu par le mandat que le Gouvernement, et peut-être même le Président de la République, lui avait donné, refusait d’entendre la moindre de nos propositions pour centrer les débats sur un nouveau front créé de toutes pièces par la majorité : je veux bien entendu parler des modalités d’élaboration des indicateurs dans les formules de prix des contrats agricoles.

Vint ensuite la nouvelle lecture, qui fut l’occasion pour l’Assemblée nationale de rétablir son texte dans sa quasi-intégralité et de balayer d’un revers de main presque tous les apports du Sénat : création d’un fonds d’indemnisation des victimes professionnelles des produits phytopharmaceutiques, pérennisation du modèle coopératif, lutte contre les pratiques des centrales d’achat européennes, protection contre le chantage à la collecte, encadrement des promotions et du seuil de revente à perte directement dans la loi, pour n’en citer que quelques-uns.

Plus largement, l’appel du Sénat à la retenue n’a pas été entendu. Au contraire, en nouvelle lecture, les députés ont réalisé le tour de force d’ajouter de nouvelles contraintes, non seulement pour les producteurs, mais aussi pour les industriels et les collectivités territoriales. Ma collègue Anne-Catherine Loisier vous en parlera dans un instant.

L’impression donnée peut se résumer en quelques mots : faisons la loi le plus vite possible, comme bon nous semble, comme si la sagesse du Sénat était une sorte de frein à la législation… Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, qu’au contraire, tout au long de la Ve République, quelle que soit la majorité à l’Assemblée nationale, le Sénat a démontré la pertinence de son existence en améliorant la qualité de la loi. Je vous ferai grâce des événements récents qui démontrent encore une fois que le Sénat est un formidable contre-pouvoir. Le bicamérisme est une chance pour notre République, et aucun sénateur sur ces travées ne dira le contraire.

Le Gouvernement et sa majorité ont ensuite été sourds – et c’est le plus grave ! – aux appels de nos agriculteurs, qui se trouvent pourtant dans une véritable situation de détresse avec un suicide tous les deux jours. Ceux-ci sont sans doute sensibles aux attentes sociétales dont vous nous avez parlé, mais ils le sont aussi à leurs revenus.

Lors des États généraux de l’alimentation, les agriculteurs ont insisté sur la nécessité de revaloriser leur métier en augmentant leurs revenus, notamment par le renforcement de leur pouvoir de négociation contre une grande distribution trop concentrée et quelques acheteurs pas toujours bien intentionnés. Le texte prend le risque de faire l’inverse.

À défaut d’accord des interprofessions et sans l’intervention de l’Observatoire de la formation des prix et des marges, les distributeurs pourront imposer aux producteurs les indicateurs qu’ils auront eux-mêmes créés, ce qui déséquilibrera encore la relation commerciale au détriment des agriculteurs. Ce texte pourrait aggraver la situation en incitant les acheteurs à fixer des prix plafonds en fonction des prix de revient qu’ils auront eux-mêmes déterminés pour les agriculteurs.

Je pourrais aussi parler d’un texte menaçant l’efficacité de la médiation en introduisant la procédure du « nommer et dénoncer », qui porte atteinte à l’esprit de la coopération agricole en facilitant la sortie des associés coopérateurs au détriment du principe d’engagement, alors que rien n’assure que la hausse du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions qu’il prévoit se retrouveront bien dans le prix des produits.

Il en résulte un texte auquel le Sénat ne saurait souscrire. Compte tenu de l’attitude de la majorité des députés en première lecture, aucun compromis ne sera trouvé sur les désaccords de fond restant entre nos deux chambres. Vous l’avez d’ailleurs admis vous-même à propos de l’article 1er, monsieur le ministre, en affirmant être « allé au bout de ce que l’on pouvait faire en droit ». Ce n’est donc peut-être pas la peine de continuer !

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