Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a connu un cheminement assez inédit.
Sur la forme, en début de première lecture au Sénat, nous avons engagé avec vous, monsieur le ministre, un dialogue qui m’a semblé constructif. Vous étiez, comme nous tous, soucieux d’avancer dans le sens des solutions et des perspectives esquissées par les États généraux de l’alimentation. Mais, rapidement, cette bonne volonté s’est heurtée à l’intransigeance, puis aux revirements, d’une majorité gouvernementale qui s’est elle-même désavouée en revenant en CMP sur les positions qu’elle avait adoptées en première lecture. La navette parlementaire, en ce qui concerne l’Assemblée nationale, a donc fonctionné à l’envers, en marche arrière…
Sur le fond, les divergences se sont accentuées pour aboutir, à l’issue de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale, à un texte qui alourdit dangereusement la charge des agriculteurs, mais aussi celle des industriels et des collectivités chargées de la restauration publique, aggravant les difficultés qu’il était censé corriger.
L’échec de la commission mixte paritaire sur une disposition pourtant votée à l’identique dans les deux assemblées est injustifiable. La deuxième lecture à l’Assemblée nationale, au cours de laquelle les députés ont ajouté de nouveaux points de désaccord, au mépris de nos institutions, a confirmé cette volonté de refuser le dialogue, volonté préjudiciable au texte et qui trahit les engagements pris lors des États généraux de l’alimentation.
Est-il besoin de rappeler que le revenu agricole, ce sont des prix, bien sûr, mais aussi des charges ? Or, non seulement la mécanique prévue au titre Ier n’améliorera pas le prix payé au producteur, mais le titre II ajoute de nouvelles charges.
C’est particulièrement vrai en matière de produits phytopharmaceutiques. Chacun, ici et ailleurs, est convaincu de la nécessité de limiter l’usage de ces produits, à commencer par l’agriculteur lui-même : il en connaît le coût et les risques, auxquels il est le premier exposé. Mais n’oublions pas que la France est un des pays au monde qui en utilise le moins à l’hectare : moins que les principaux producteurs européens et mondiaux. Les mesures imposées, comme l’interdiction des remises, rabais et ristournes, pèseront lourdement sur les charges des agriculteurs, sans pour autant assurer une réelle réduction de l’usage des produits phytosanitaires.
Ce texte fait craindre une déstabilisation d’un système vertueux de maîtrise des usages mis en place dernièrement dans le cadre des certificats d’économies de produits phytopharmaceutiques – les CEPP –, puisqu’en séparant tout conseil de la vente de produits phytosanitaires, il fait courir le risque qu’il n’y ait plus de conseil du tout.
L’obligation, introduite en nouvelle lecture, de signer des chartes départementales avec les riverains pour définir des zones de non-traitement contraint, elle aussi, de façon inopportune, alors que de nombreuses démarches adaptées et fondées sur le volontariat se diffusent déjà sur tout le territoire.
Ces décisions sont stigmatisantes et culpabilisantes. Elles sont en contradiction totale avec l’esprit de responsabilisation qui a prévalu lors des États généraux de l’alimentation. Sur ces questions, le dogmatisme l’a emporté, sans considération pour les agriculteurs, sans prise en compte des réalités auxquelles ils sont confrontés, voire de leur sécurité.
Deux mesures en témoignent .
L’usage des drones en terrain dangereux sera réservé à l’épandage des seuls produits autorisés en agriculture biologique ou dans le cadre d’une exploitation certifiée sur le plan environnemental, au mépris de la sécurité des autres agriculteurs, soumis aux mêmes risques. Quant à la création du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, que le Sénat, je le rappelle, avait adoptée à l’unanimité sur proposition de Nicole Bonnefoy, elle est écartée dans l’attente d’un nouveau rapport – le dernier datant de janvier 2018 –, alors qu’il y a urgence à agir. À l’heure où la justice américaine condamne Monsanto, il y a de quoi s’interroger sur ce report décidé par les élus du « nouveau monde » !
Les agriculteurs ne sont pas les seuls affectés par l’inflation des contraintes introduites dans la seconde partie du texte.
Les gestionnaires de services de restauration collective publique, et donc les collectivités, devront faire face, « dans le même temps », à l’obligation d’améliorer la qualité des repas servis, de proposer au moins un menu végétarien par semaine – mesure pourtant rejetée par les deux assemblées en première lecture – et de renouveler tout le matériel de cantine dès 2020, pour se conformer à l’interdiction des ustensiles en plastique les plus divers, y compris lorsqu’ils ne sont pas à usage unique, comme les boîtes ou les plateaux-repas. Je rappelle que l’objectif prioritaire affiché était de lutter contre l’usage d’ustensiles en plastique jetables !
Cette nouvelle interdiction, ajoutée au détour de la deuxième lecture, sans aucune évaluation de son impact et sans lien avec le texte, vaut pour la restauration collective, mais aussi pour tous les autres usages, qu’il s’agisse de restauration commerciale, de livraison de repas ou de distribution alimentaire et non alimentaire. Tous ces secteurs vont devoir réinvestir dans l’urgence. Les usagers paieront la facture, et que dire des industries françaises et des emplois dont l’existence est menacée à brève échéance ?