Intervention de Catherine Morin-Desailly

Commission mixte paritaire — Réunion du 26 septembre 2018 à 9h00
Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly, présidente, rapporteure pour le Sénat :

sénatrice, présidente, rapporteure pour le Sénat. - Comme vous le savez, en séance publique, le Sénat a adopté par 288 voix contre 31 une motion tendant à opposer la question préalable, que j'avais défendue au nom de la commission de la culture. Le rapporteur de la commission des lois, Christophe-André Frassa, avait fait adopter une motion semblable sur la proposition de loi organique.

Le Sénat a donc choisi, à une très large majorité, de ne pas examiner ces deux textes, ce qui augure mal, nous pouvons en convenir dès maintenant, d'un succès de notre CMP.

Il existe un fort consensus dans nos deux assemblées sur la réalité du défi posé par les fausses informations à nos démocraties. De cela, le Sénat est pleinement conscient. La position qui a été exprimée ne traduit en rien une négation du problème, mais nous craignons que le remède ne soit pire que le mal, et que les solutions proposées restent trop partielles.

Un remède pire que le mal : les oppositions se sont principalement cristallisées sur l'article premier de la proposition de loi ordinaire, instaurant une procédure de référé. En dépit des efforts de la rapporteure de la commission des lois de l'Assemblée, Mme Naïma Moutchou, nous achoppons toujours sur la définition des fausses informations. De là découlent nos très vives craintes sur le dispositif mis en place pour en interdire la diffusion. C'est un point central : nous touchons là à la liberté d'expression, qui plus est en période électorale - les élections sont précisément un moment démocratique où le contrôle doit être le plus limité possible. Nous doutons que le juge des référés, qui pourra être saisi par à peu près tout le monde, soit en mesure de se prononcer en très peu de temps... sauf sur les cas les plus flagrants, où son intervention est la moins nécessaire. S'il ne se prononce pas, la fausse information en sera confortée. Selon nous, la solution inscrite à l'article premier est donc au mieux inefficace, au pire dangereuse.

On trouve aux articles suivants des solutions qui, pour comporter moins de risques, n'en sont pas moins inadaptées. Il en va ainsi des nouveaux pouvoirs confiés au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) au titre II - pouvoirs dont le président du CSA, que nous avons auditionné, semblait bien en peine de nous préciser la portée. La suspension d'une chaîne risquerait d'entraîner en réaction des difficultés pour notre presse dans les pays visés.

Les dispositions sont inadaptées également à la régulation des plateformes. Nous sommes contraints par le cadre de la directive de 2000. Une réflexion est indispensable pour sortir du régime de l'irresponsabilité des hébergeurs, sans entraver la liberté d'expression. Je sais que le président Studer y est attentif. Je dépose prochainement une proposition de résolution européenne sur le sujet afin, je l'espère, d'ouvrir un débat au niveau européen.

Enfin, le Sénat porte depuis longtemps un grand intérêt à la formation au numérique et aux médias. Nous avons donc été sensibles au titre III bis que vous avez introduit. Cependant, dès 2011, à l'initiative de la commission de la culture dont j'étais le rapporteur, dans le cadre de l'examen du « troisième paquet télécom », le Sénat a inscrit dans la loi que « Dans le cadre de l'enseignement d'éducation civique, les élèves sont formés afin de développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l'information disponible (...) dans l'utilisation des outils interactifs lors de leur usage des services de communication au public en ligne ». Malheureusement, sept ans plus tard, il nous manque toujours un plan d'action global et stratégique. Il faut y travailler.

Cependant, je tiens à souligner le travail considérable réalisé par l'Assemblée nationale sur le texte, qui me paraît rendre possible - et indispensable - une convergence future sur les grands enjeux. Je veux donc dire à nos collègues députés que si le Sénat n'a pas cru possible de pouvoir améliorer cette proposition, qui nous paraissait comporter de graves dangers, nous sommes tout comme eux conscients des enjeux, et prêts à travailler de concert pour parvenir à un monde numérique mieux régulé et moins sujet aux « manipulations de l'information », comme vous avez très justement rebaptisé la proposition de loi.

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