Intervention de Joël Labbé

Mission d'information Développement de l'herboristerie — Réunion du 25 septembre 2018 à 20h25
Examen et adoption du rapport de la mission

Photo de Joël LabbéJoël Labbé, rapporteur :

À mon tour de vous remercier pour l'intérêt que vous avez porté à ce sujet dont j'ai souhaité, avec mon groupe, l'examen dans le cadre pluri-politique d'une mission d'information du Sénat. Je remercie Mme la présidente de nous avoir permis de mener, avec un esprit d'ouverture, un travail dense, passionnant, très attendu par les acteurs, au carrefour de questions sociétales. Nous l'avons mesuré au fil de nos travaux, ce sujet est au croisement de nombreux enjeux d'avenir : relatifs à la santé, à l'environnement, au développement des territoires. L'herboristerie est à la fois héritage de savoirs traditionnels, populaires, mais aussi une source potentielle d'innovations et de nouveaux usages, en santé comme dans d'autres domaines.

Les questions posées sont complexes. Le travail que nous avons mené est nécessaire et utile et je suis heureux que nos travaux se soient déroulés, grâce à vous tous, dans un climat apaisé, respectueux des opinions des uns et des autres.

Le sujet avait jusqu'alors donné lieu à des initiatives politiques - plusieurs propositions de loi, notamment celle présentée en 2011 par Jean-Luc Fichet et plusieurs sénateurs de son groupe, et des questions écrites - ciblées sur la renaissance d'un métier d'herboriste qui a bénéficié d'un statut en France de 1803 à 1941. Toutefois, il n'y avait jamais eu de mise à plat portant sur l'ensemble de la filière : or, il y avait une cohérence à se pencher sur toute la chaîne de valorisation de la ressource végétale.

Nos auditions et travaux ont permis cette consultation large. C'est en soit une avancée déjà importante. Le rapport dont vous avez pu prendre connaissance marque pour moi un point de départ. Si vous en approuvez la publication, je souhaiterais, comme je l'ai proposé à Mme la présidente, que nous demandions dans les prochaines semaines l'inscription d'un débat en séance publique.

J'en viens aux principales propositions qui vous sont soumises, sans être exhaustif pour laisser la place aux échanges ; ces orientations s'inscrivent dans le prolongement de notre échange de vues. Elles sont aussi nourries de contributions écrites de certains d'entre vous.

J'ai eu l'occasion, comme la présidente l'a rappelé, d'en discuter longuement avec elle avant notre réunion et je prends la mesure de ses réserves. Je tiens toutefois à ce que nous ayons un débat entre nous.

Le premier axe touche à la dimension patrimoniale de la culture et de l'usage des plantes médicinales. Nombre des acteurs que nous avons entendus s'inscrivent dans une démarche de transmission, de sauvegarde de savoirs et de savoir-faire ancestraux qui sont également une source précieuse de connaissances à redécouvrir. Tout comme la matière végétale est vivante, il s'agit bien de valoriser un patrimoine vivant, non pas figé dans le passé. C'est le sens d'une série de propositions que je vous soumets, comme l'idée d'une inscription à la liste du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco que pourraient porter plusieurs pays au-delà du nôtre.

D'autres propositions portent sur l'amont de la filière, à savoir la production agricole des plantes médicinales, englobée dans la filière des PPAM, les plantes à parfum, aromatiques et médicinales. Les surfaces cultivées ont augmenté de 40 % de 2010 à 2016 du fait de l'augmentation du nombre d'exploitations, soit en diversification d'autres cultures, soit comme activité principale, essentiellement sur des petites parcelles souvent désertées par l'agriculture conventionnelle. Nous savons l'impact socio-économique que cette activité peut avoir dans des territoires ruraux.

Cette dynamique s'ancre sur des marchés porteurs en aval, mais elle se heurte à des freins : des freins réglementaires - j'y reviendrai - mais aussi la concurrence de pays à plus bas coûts de production, à laquelle est exposée cette filière consommatrice en main-d'oeuvre. Par exemple, nous importons, outre des plantes exotiques, du thym en provenance de Pologne, alors que celui-ci pousse parfaitement sous nos latitudes.

Les propositions que je vous soumets visent à adapter l'offre de formation professionnelle agricole à cette dynamique de croissance, à structurer ses acteurs, hétérogènes et éclatés, pour renforcer les logiques de coopération ou de mutualisation.

Les particularités de cette production d'une matière végétale emportent en effet des coûts de contrôle qualité qui pèsent lourdement sur les producteurs. Il paraît en outre indispensable de mieux aider cette filière en ajustant les aides à sa réalité économique, alors que plus de la moitié des exploitations couvrent moins de 5 hectares.

Un autre axe est de promouvoir une filière française d'excellence et écoresponsable. La production de PPAM est déjà exemplaire avec une part de surfaces cultivées en agriculture biologique déjà plus de deux fois supérieure à celle des autres surfaces agricoles ; parallèlement de nombreuses démarches d'agrobiologie sont portées par de petits producteurs. La nature de cette production et sa destination rendent cette exigence prioritaire. Je vous propose donc de fixer une haute ambition de développement des surfaces en « bio », avec un renforcement des aides à la conversion, mais aussi de valoriser les externalités positives de la filière en matière environnementale. Par ailleurs, la création d'un label « plantes de France » évoquée lors de nos auditions serait un moyen de donner une plus forte visibilité à notre production.

La recherche en agronomie, dont on nous a souligné le caractère très insuffisant aujourd'hui, doit également être soutenue pour répondre à des enjeux comme celui du réchauffement climatique.

Nous avons porté au cours de nos travaux une attention particulière aux outre-mer, sous le regard attentif de notre collègue Maurice Antiste, qui m'a demandé d'excuser son absence, étant retenu par la visite du président de la République. Ces régions, riches de traditions, abritent 80 % de notre richesse végétale : mais cela a été longtemps oublié. La valorisation de cette ressource présente un intérêt réel, au service de la diversification des cultures agricoles, de la biodiversité et du développement économique local. Il faut travailler avec chacun de ces territoires à une stratégie de structuration de la filière, encore souvent embryonnaire, en développant l'offre de formation correspondante, elle aussi inadaptée au potentiel d'emplois.

J'en viens au cadre réglementaire de la commercialisation des plantes médicinales et produits à base de plantes dont on nous a souligné la grande complexité ; le rapport l'expose, je n'y reviendrai pas en détail. Cette complexité se justifie car nous parlons d'une matière vivante, en lien avec la santé ; mais on note certaines limites. Ainsi, le caractère segmenté des normes ne permet pas une information complète sur des produits multi-usages comme les huiles essentielles. Comme on nous l'a dit à plusieurs reprises, c'est aussi un véritable casse-tête pour les petits producteurs dont l'activité repose en grande partie sur la vente directe : il est utile de les aiguiller dans ce maquis réglementaire, mais aussi d'ajuster certaines normes inadaptées au caractère artisanal de leur activité, comme c'est le cas en cosmétique. Cela ne doit pas conduire à transiger, toutefois, avec la qualité et la sécurité.

Je vous propose aussi de réexaminer la liste des 148 plantes médicinales sorties en 2008 du monopole pharmaceutique, pour y inclure des plantes ultramarines (inscrites seulement en 2013 à la pharmacopée) et des plantes métropolitaines ne présentant pas de risque d'usage particulier. Certains s'étonnent que près de 1 000 plantes puissent être vendues hors pharmacie sous forme de gélules dans des compléments alimentaires, mais pas sous forme d'infusette de tisane. Il faut bien sûr rester très prudent, mais un nouvel examen s'impose. Il me semblerait également utile d'associer à cette liste de plantes en vente libre leurs usages traditionnels contre de petits maux du quotidien, dans un cadre validé et sécurisé, pour canaliser une information aujourd'hui éclatée sur Internet qui n'est pas toujours de qualité. Un cadre national de ce type existe nous a-t-on dit en Autriche.

Une autre évolution, évoquée par des industriels du complément alimentaire, vise à débloquer l'évaluation des allégations de santé concernant les plantes, dont le niveau de preuves attendu n'est pas adapté à la spécificité des plantes. Il est en effet plus exigeant à ce jour que celui pour les médicaments à base de plantes. Il s'agit là aussi, au final, de favoriser une information transparente des consommateurs.

La réglementation se révèle enfin un frein dans certains domaines spécifiques : c'est le cas pour les soins vétérinaires, mais aussi sur la filière de production du chanvre à usage thérapeutique. Les représentants de cette filière solide en France, tournée vers le secteur de l'industrie, s'inquiètent de leur désavantage sur le marché international. L'ouverture proposée concerne la production, elle ne vaut pas prise de position sur l'usage thérapeutique du cannabis.

Un autre axe du rapport concerne la prise en compte, à leur juste place c'est-à-dire en complémentarité, des soins à base de plantes au sein du système de santé. L'OMS, qui donne une définition large de la santé comme l'a rappelé Mme la présidente, promeut aussi les médecines traditionnelles aux côtés des médecines conventionnelles. Les auditions ont montré que l'intérêt du recours aux plantes se pose en santé humaine comme en santé animale, notamment pour réduire le recours aux antibiotiques. Cette dimension doit donc être mieux intégrée dans la formation des professionnels compétents.

Il faut aussi pouvoir s'appuyer sur des travaux de recherche solides pour confirmer les usages traditionnels ou affiner la connaissance sur les vertus thérapeutiques des plantes ou leurs risques d'utilisation : la création d'un institut spécialisé en phyto et aromathérapie serait une piste en ce sens.

Bien sûr le pharmacien est au coeur du conseil en santé associé à la vente de plantes médicinales. Déjà les facultés de pharmacie assuraient jusqu'en 1941 la formation des herboristes et les pharmaciens sont, à l'origine, également herboristes, même si leur degré d'implication dans ce domaine est variable. Plusieurs propositions visent à consolider ce rôle et cette spécialisation. Cela répond d'ailleurs à des attentes des praticiens comme le montre l'essor des diplômes universitaires en phyto-aromathérapie depuis 10 ans. Pour les professionnels ultra-marins, les enseignements doivent bien entendu être basés sur la pharmacopée locale pour bien la valoriser.

Cela doit-il faire obstacle à la reconnaissance de métiers d'herboristes distincts de celui de pharmacien, que ce soit l'herboriste « de comptoir » ou le paysan-herboriste ? À titre personnel, pour sécuriser leurs pratiques et préserver ces compétences, je suis favorable à une telle reconnaissance, tout en l'encadrant : c'est-à-dire un socle de formation solide, une charte d'exercice précisant la portée de l'information qu'ils sont susceptibles d'apporter et les limites à leurs prérogatives. L'exemple de la Belgique est intéressant : il ne s'agirait surtout pas de faire de l'herboriste un thérapeute et tout diagnostic serait bien sûr exclu. L'herboriste pourrait proposer seulement les produits en vente libre, et donner des informations validées sur les usages traditionnels de ces plantes. Son rôle se situerait dans le domaine du bien-être et des petits maux du quotidien. Cela suppose un travail en bonne intelligence avec les professionnels de santé, comme cela se passe d'ailleurs sur le terrain. J'entends les réticences que cela suscite, de la part des représentants des médecins ou des pharmaciens qui y voient un risque de perte de chances pour les patients ou de confusion. Mais on trouve aussi des pharmaciens pour qui les herboristes pourraient avoir un rôle, pour donner des informations sur les nombreux produits aujourd'hui vendus hors pharmacie. Il me semble donc qu'un encadrement de ces métiers pourrait être un rempart contre le charlatanisme, et répondrait aux attentes des patients ou consommateurs qui se tournent et se tourneront, quoi qu'on en dise, vers d'autres sources de conseil et d'information. Il suffit de voir que 90 % des huiles essentielles sont vendues hors des officines, sur Internet ou dans des boutiques.

Si nous devions constater un désaccord entre nous sur ce sujet, il me semble néanmoins essentiel de poursuivre la réflexion dans un cadre pluri-politique, comme nous l'avons fait au cours de cette mission. Je propose un groupe de travail ou, à défaut, un cadre informel, pour envisager, dans la concertation, des évolutions y compris au niveau législatif.

Parallèlement, nous avons constaté plusieurs initiatives en matière de formation, tant à destination des herboristes de comptoir que des paysans-herboristes : cela montre qu'il y a une demande, une attente réelle sur le terrain. Selon moi nous aurions tout à gagner à accompagner cette professionnalisation. Je suis à présent à l'écoute de vos observations.

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