Si le HDP obtient moins de 10% des voix, cela aura des conséquences immédiates sur la composition du Parlement. En effet, avec le report des sièges, l'AKP devrait alors avoir la majorité absolue, avec son allié MHP. Si ce seuil n'est pas franchi, cela pourrait créer des tensions dans le sud-est du pays, où le HDP avait obtenu plus de 10% des voix aux élections de juin et novembre 2015. Toutefois, la question du vote kurde est complexe. Les Kurdes représentent 15 à 20% de la population en Turquie. Beaucoup de Kurdes votent pour l'AKP, il y a des ministres kurdes au gouvernement. D'ailleurs, si l'AKP a gagné les dernières élections, c'est grâce à un report de voix des Kurdes conservateurs qui ont voté pour ce parti.
Il ne faut pas oublier qu'après la tentative de coup d'État, l'armée a été très déstabilisée : 45% des officiers généraux auraient été limogés. Toutefois, l'armée turque reste engagée dans de nombreuses opérations : en Syrie, en Irak, contre le PKK. Les Turcs représentent la deuxième armée de l'OTAN en termes d'effectifs et sont présents par exemple au Kosovo et en Afghanistan.
Les premiers missiles S 400 devraient être livrés à l'été 2019. Ankara justifie cet achat par le manque de considération et de solidarité de la part de ses alliés de l'Otan suite à ses demandes de se renforcer en matière de défense anti-missiles. La Turquie rappelle qu'elle n'est pas le premier pays de l'Otan à acquérir des missiles russes puisque la Grèce s'est procuré autrefois des S 300 sans provoquer de réactions particulières de ses alliés. Pour Jens Stoltenberg, Secrétaire général de l'OTAN, il s'agit d'une décision souveraine de la Turquie. Cependant, le Congrès américain a réagi négativement après ce contrat avec la Russie et pourrait demander l'application de sanctions. La livraison des F35 pourrait être ainsi remise en cause. Une autre raison du mécontentement du Congrès est la détention d'un pasteur américain dans les prisons turques depuis deux ans. Donald Trump s'est aussi fortement mobilisé à ce sujet.
La Turquie est un partenaire important et exigeant au sein de l'Otan. Elle est engagée au Kosovo et en Afghanistan, elle représente le flanc sud de l'alliance, elle accueille une base importante à Incirlik. Toutefois, l'OTAN n'est pas qu'une alliance militaire ; elle est aussi pour beaucoup une communauté de valeurs.
Il est difficile de savoir si la situation pourrait se rééquilibrer en cas de victoire d'Erdogan. Mettra-t-il fin à l'état d'urgence ? Il ne l'a pas annoncé à ce stade. Il a indiqué qu'il voulait de bonnes relations avec l'Europe et les Etats-Unis. Il est probable qu'il voudra envoyer certains signes positifs à l'égard de ses partenaires occidentaux en cas de réélection.
Sur Chypre, la négociation est dans l'impasse après l'échec des négociations de Crans-Montana. Les deux parties de l'île se renvoient la responsabilité de cet échec. L'idée d'un État bizonal avec deux communautés, dans le respect des paramètres de l'ONU, semble s'éloigner. La Turquie attribue l'échec aux Chypriotes grecs qui ne traiteraient pas les Chypriotes turcs sur un pied d'égalité. On évoque maintenant à Ankara une possible solution avec deux Etats.
La prochaine étape en Syrie est de savoir ce qui va se passer à Manbij au Nord de la Syrie, à l'ouest de l'Euphrate. Les Turcs demandent que les milices des YPG, considérées par Ankara comme une organisation terroriste, se retirent à l'est de l'Euphrate. Le ministre des affaires étrangères turc se rend à Washington le 4 juin pour finaliser un accord en ce sens.
La Turquie considère que sa sécurité est en jeu en raison de la présence du « PKK/PYD » et de Daech au Nord de la Syrie. C'est la raison pour laquelle elle est intervenue pour créer de facto une sorte de zone tampon le long d'une partie de sa frontière. Sa principale inquiétude aujourd'hui est qu'Idlib (une des quatre zones de désescalade prévues dans le cadre du processus d'Astana) ne devienne la nouvelle cible du régime et de ses alliés.
On constate en effet depuis quelques mois une augmentation du nombre de traversées de réfugiés qui rejoignent la Grèce. Mais l'accord de 2016 n'est pas pour autant remis en cause. Cet accord n'est pas selon moi un échec humanitaire. Auparavant, des milliers de personnes traversaient la Méditerranée au péril de leur vie. La Commission a rappelé que les flux avaient été réduits de 97%. L'accord est loin d'être parfait mais notre intérêt est qu'il puisse continuer de bien fonctionner.
La position turque est très proche de la nôtre concernant l'Ukraine ; elle ne reconnaît pas l'annexion de la Crimée.
Les tensions à la suite de la Une du Point ne sont pas surprenantes. Hier, le ministre des affaires étrangères turc a réagi au tweet du Président Macron. Cette affaire illustre le fossé sur la façon dont nos deux pays conçoivent la liberté d'expression.
Des missions d'observation des élections du Conseil de l'Europe et de l'OSCE se rendront en Turquie. Beaucoup d'analystes estiment qu'il ne devrait pas y avoir de problèmes majeurs dans les grandes villes mais que des difficultés pourraient peut-être davantage survenir dans le Sud-Est du pays, avec par exemple la fermeture de certains bureaux de vote pour des raisons de sécurité.
A Afrin, un conseil local a été mis en place avec des Kurdes mais aussi des réfugiés qui étaient en Turquie et sont revenus en Syrie. Tous les Kurdes syriens n'adhèrent pas au programme du PYD. Les Turcs affirment qu'il y a 300.000 Kurdes syriens réfugiés en Turquie qui ont fui le PYD, accusé de nettoyage ethnique. Cette région doit être reconstruite, même si elle a connu moins de destructions que Raqqa. Il est intéressant de noter que les Turcs, qui avaient annoncé vouloir prendre toute la région d'Afrin, n'ont pas pris finalement la ville de Tall Rifaat, à l'est d'Afrin, largement composée d'arabes et de réfugiés. Je le répète, la priorité turque aujourd'hui est de régler la question de Manbij.
Le président Erdogan n'a pas prévu de venir faire campagne en France. Son seul grand meeting européen a eu lieu le 20 mai à Sarajevo. De nombreux Etats membres ont fait savoir qu'ils ne voulaient pas accueillir de réunions électorales afin de ne pas importer sur leur sol les tensions politiques internes à la Turquie.
Sur la relation avec l'UE, beaucoup en Turquie savent que l'adhésion semble très difficile mais ils sont attachés à ce que cette perspective demeure ouverte afin de ne pas décourager le processus des réformes ni donner l'impression que la Turquie est rejetée vers le Moyen-Orient. Dans ce contexte, notre proposition d'un partenariat pragmatique pourrait être considérée par Ankara à condition que cela ne remette pas en cause son statut de pays candidat et que ce nouveau cadre ne se substitue pas au processus d'adhésion. Ces deux points sont essentiels pour Ankara. Les sondages montrent qu'une majorité de Turcs espèrent toujours pouvoir adhérer à l'Union européenne mais ils sont moins nombreux à penser que cela se fera effectivement un jour.
On constate une certaine islamisation de la société turque, à travers l'extension du port du voile, la montée en puissance des collèges religieux ou la modification de certains programmes scolaires. Ainsi, le darwinisme n'est plus enseigné au collège.
Le Lycée français de Galatasaray a été créé en 1868 à l'époque de Napoléon III. Nous commérerons cette année non seulement les 150 ans de ce lycée mais aussi les 25 ans de l'université (créée à l'époque de François Mitterrand) et les 50 ans de la visite du Général de Gaulle au lycée, en 1968. Galatasaray reste le fleuron de la coopération franco-turque et nous y consacrons beaucoup de moyens.
Le soutien d'Erdogan dans la population reste important. Une de ses forces est qu'il correspond à la majorité sociologique du pays, avec un électorat majoritairement classé à droite et attiré par ce modèle d'autorité, de conservatisme, d'attachement aux valeurs religieuses et sachant jouer sur la fibre nationaliste. Le soutien est peut-être moins fort qu'auparavant, mais le Président semble disposer d'un socle indéfectible de 30 à 40% des voix. L'enjeu pour lui sera donc d'engranger les 10 à 20 points supplémentaires pour être réélu à la tête de l'Etat.
M. Erdogan dit souvent que l'Union européenne ne tient pas ses engagements dans le cadre de l'accord conclu avec l'UE sur les migrants. Pourtant, sur la question des visas, la Turquie sait qu'elle doit respecter 72 critères pour permettre leur libéralisation, ce qu'elle n'a pas encore atteint. Le chantier de la modernisation de l'Union douanière n'a pas été lancé en raison de ses défaillances en matière d'Etat de droit. En ce qui concerne les trois milliards d'euros versés pour soulager la Turquie de son accueil des réfugiés syriens, cet argent a été intégralement contracté, même s'il y a une différence bien connue entre l'engagement des crédits et leur déboursement effectif. Bruxelles considère que jamais autant d'argent n'a été dépensé aussi rapidement pour un seul pays. Une deuxième tranche financière de 3 MdsE va bientôt être confirmée par l'UE. Il y a donc parfois des propos tenus qui laissent penser que l'accord pourrait ne plus être mis en oeuvre mais je pense que c'est l'intérêt bien compris de l'UE et de la Turquie que ce cadre reste bien respecté.