Intervention de Patricia Morhet-Richaud

Réunion du 2 octobre 2018 à 14h30
Pastoralisme — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Patricia Morhet-RichaudPatricia Morhet-Richaud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le pastoralisme est en danger.

Croulant sous une avalanche de contraintes et exposé à une concurrence déloyale venue d’autres pays, l’élevage français pris globalement est en crise. Les éleveurs pastoraux ne sont pas épargnés par ces temps difficiles.

Comme si leur métier n’était pas assez exigeant, leurs conditions de travail sont rendues toujours plus délicates par une succession de décisions défavorables, au premier rang desquelles celles qui favorisent la recrudescence des actes de prédation !

Les éleveurs pastoraux en ressentent dès lors un légitime sentiment d’abandon. Je crois que le Sénat entend leur détresse. C’est la raison pour laquelle il veut leur envoyer un signal fort.

Un signal fort dont témoigne l’inscription de ce débat sur le pastoralisme en ouverture des débats de la session ordinaire.

Un signal rendu encore plus fort par le fait que la proposition de résolution que nous examinons, déposée par Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, a été cosignée par plus de cent sénateurs venant de la quasi-totalité des groupes politiques, représentant tous les territoires.

Cette prise de position sénatoriale transpartisane s’inscrit dans la continuité de travaux déjà engagés sur nos travées, tant au sein du groupe d’études Montagne, présidé par Cyril Pellevat, et du groupe d’études Chasse, présidé par Jean-Noël Cardoux, que du groupe de travail sur le pastoralisme dont j’assure la présidence et qui est rattaché à la commission des affaires économiques. Ces travaux ont vocation à se poursuivre, c’est essentiel pour nos éleveurs.

La proposition de résolution qui nous est soumise est donc un coup d’envoi et non pas un coup de sifflet final.

Elle vise à revenir à l’essentiel et résume avant tout une idée qui, je le crois, nous tient tous à cœur : le pastoralisme, dont les qualités sont trop souvent tues, est la vitrine de l’agriculture de demain.

Dans la nuit du 24 au 25 septembre dernier, une vingtaine de brebis ont été tuées dans le massif du Dévoluy. Jean-Claude Michel, président du groupe pastoral, est à bout, il n’en peut plus, la pression est vraiment trop forte, et surtout en ce mois de septembre !

Imaginez : 239 attaques dans les Hautes-Alpes depuis le début de l’année ! En ce 275e jour de l’année, je vous laisse faire le calcul : 36 jours sans attaque, alors que mon département a connu un hiver particulièrement rigoureux.

C’est pour rappeler cette vérité qu’il était nécessaire que le Sénat prenne officiellement position sur le pastoralisme en rappelant toute l’importance qu’il a pour nos territoires. Car le pastoralisme est d’abord une question géographique.

La question pastorale concerne très majoritairement les territoires montagneux, tant les Alpes, les Pyrénées, le Massif central, les Vosges, le Jura que les massifs corses.

Elle se pose aussi pour des littoraux du Nord, dans la baie d’Authie, pour les côtes normandes du Cotentin ou le delta camarguais au Sud. Elle concerne aussi l’estuaire de la Loire, les marais poitevins, ainsi que les prairies inondables de la Loire et de l’Adour. Elle s’invite même en zone périurbaine !

Presque tous les territoires sont concernés et le pastoralisme joue, du reste, un rôle primordial dans l’aménagement de nos territoires. Il suffit de songer à la contribution des producteurs à l’activité touristique, par exemple, grâce à la conservation des pistes de ski en montagne.

Le pastoralisme exerce également un rôle en matière de prévention des risques naturels. En montagne, il permet de restreindre les risques d’avalanche, d’incendie ou de glissement de terrain.

Le pastoralisme est aussi une question économique. C’est une pratique d’élevage qui concerne 14 000 fermes en France et près de 5 % du cheptel français. Dans les massifs montagneux, les pâturages collectifs utilisent parfois plus de 50 % des surfaces. C’est une réalité que les politiques publiques doivent mieux appréhender, car les conditions d’exercice de ces métiers sont très particulières.

C’est aussi une question agricole. Aux carrefours de toutes les attentes citoyennes, le pastoralisme promeut une agriculture extensive de qualité, à forte composante artisanale, souvent valorisée par le recours à des signes officiels de qualité.

La question pastorale, c’est aussi une réponse aux défis environnementaux que nous avons à régler. L’élevage pastoral contribue au maintien des conditions essentielles à la préservation de la biodiversité, à la valorisation des ressources naturelles de nos territoires et à leur aménagement durable. C’est aussi une forme d’élevage qui prend en compte le bien-être animal puisque le cheptel est en semi-liberté et qu’il passe plusieurs jours dans les alpages durant l’estive, comme dans les Alpes.

C’est enfin une question culturelle, puisque le pastoralisme s’exerce en France depuis des siècles et appartient au patrimoine français. Les images des grandes transhumances sont profondément ancrées dans l’esprit de nos concitoyens et sont, le plus souvent, au cœur de l’animation de la vie de nos régions rurales.

Au fond, il s’agit de montrer que ces pratiques ancestrales sont très souvent modernes. En témoigne d’ailleurs l’attractivité du pastoralisme sur les jeunes agriculteurs.

La résolution a pour objectif de rappeler tous ces éléments essentiels et de montrer aux producteurs concernés que les parlementaires considèrent la question pastorale dans son ensemble.

Le pastoralisme ne se résume pas à la seule problématique de la prédation. Le champ est bien plus large.

Au contraire, l’enjeu du débat est d’élargir l’horizon, de rappeler combien le pastoralisme est bénéfique à nos territoires, à l’environnement, à notre économie pour que le travail des éleveurs concernés soit reconnu à sa juste valeur.

Toutefois, les auteurs de la proposition de résolution regrettent que les politiques publiques ne prennent pas en compte toutes ces spécificités de la question pastorale et toutes les externalités positives que le pastoralisme apporte à nos territoires et à notre économie.

Ces effets positifs ne sont pas évalués à leur juste valeur. Un seul fait le démontre : les agriculteurs pastoraux ont un revenu trop faible au regard des conditions particulièrement difficiles de leur métier. À cet égard, il faut vivement regretter que les négociations relatives à la politique agricole commune, la PAC, puissent menacer encore leurs revenus à l’avenir.

Ils sont également confrontés à des problématiques foncières et au renchérissement du prix des terres tendant à réduire les surfaces agricoles pastorales. La forêt s’étend, participant à ce rognage toujours plus inquiétant des surfaces pastorales.

Dans ces conditions, et la résolution le rappelle, les éleveurs pastoraux se sentent laissés pour compte.

C’est dans ce contexte déjà difficile que vient s’ajouter la problématique de la prédation.

Pour les agriculteurs, la prédation a différentes formes – ours, loup, lynx –, mais elle concerne de plus en plus de territoires, compte tenu de l’expansion des zones de présence des loups.

La détresse des éleveurs face à la multiplication des actes de prédation est immense et leur solitude dans ces épreuves, qui sont autant des drames économiques pour l’équilibre des exploitations que des drames humains, est profonde.

Toutefois, les mesures déployées par l’État, notamment par le plan national d’actions Loup, ne sont pas à la hauteur de cette détresse.

Quant aux élus locaux, ils sont confrontés aux conflits d’usage avec, par exemple, la problématique des chiens de protection qui attaquent les promeneurs, notamment dans les zones touristiques, le long des chemins de grande randonnée.

Forte de cette série de considérations, la résolution émet deux séries de propositions.

D’une part, elle appelle à valoriser à leur juste valeur les externalités positives induites par le pastoralisme. C’est une position conforme, je le crois, à une conviction profonde du Sénat, qu’il a exprimée à d’autres moments de manière unanime. Ce serait une grande avancée structurelle pour les agriculteurs concernés.

La résolution invite également, à plus court terme, à sanctuariser les moyens accordés à l’agriculture pastorale, notamment dans les négociations en cours sur la PAC. Les éleveurs pastoraux ne sauraient être les grands oubliés du second pilier !

D’autre part, la résolution demande la rénovation urgente de la politique relative au retour des grands prédateurs sur nos territoires.

Sur la problématique de l’ours, elle appelle à ce que toute réintroduction d’ours ne se décide pas unilatéralement dans un bureau parisien, mais soit bien précédée d’une étude d’impact exhaustive et d’une concertation préalable avec les éleveurs et les élus locaux.

Concernant les loups, elle appelle à suivre trois axes de travail, reprenant en cela les travaux du groupe d’études Montagne sur le loup réalisés il y a quelques mois.

Premièrement, il faut améliorer la connaissance de la situation actuelle en fiabilisant les données sur le nombre de loups à destination des élus locaux et en renforçant les connaissances scientifiques sur l’hybridation et le comportement des loups.

Deuxièmement, il convient de réapprendre aux loups à se tenir à l’écart des hommes et des troupeaux par le recours à des méthodes alternatives complémentaires aux tirs de prélèvement.

Troisièmement, la résolution précise que le système d’indemnisation des éleveurs est insuffisant aujourd’hui. Les paiements doivent être accélérés et mieux prendre en charge les chiens de protection. Le choix du Gouvernement de conditionner les indemnisations à la mise en place de mesures de protection doit être questionné, tout comme doivent être mieux reconnus les troupeaux non protégeables.

Pour conclure, il me semble que cette résolution permet d’envoyer un message fort à tous les agriculteurs pastoraux français. Elle témoigne du soutien qu’ils trouveront toujours chez les parlementaires représentant les territoires.

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