Intervention de Alain Duran

Réunion du 2 octobre 2018 à 14h30
Pastoralisme — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Alain DuranAlain Duran :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord vous faire part de ma grande satisfaction de constater que les travaux de la session ordinaire 2018-2019 s’ouvrent sur le thème du pastoralisme, donnant ainsi la parole aux territoires ruraux et de montagne. Notre Haute Assemblée assure ainsi pleinement la mission de représentation des territoires de la République que lui confère la Constitution.

Département rural s’il en est, mon département de l’Ariège est aussi un département pastoral. L’estive qui est pratiquée dans plus de 50 % des exploitations n’a pas seulement une vocation productiviste, loin de là, mais remplit surtout une mission d’entretien de la montagne par les troupeaux.

Le pastoralisme ariégeois qui s’étend sur 115 000 hectares, soit 25 % du territoire du département, a pour spécificité principale de s’exercer sur des terres ouvertes à tous. En effet, cette activité s’exerce à 90 % sur des espaces qui appartiennent soit à l’État, soit aux communes. C’est en quelque sorte l’essence même du pastoralisme, qui se matérialise par des modes d’appropriation et de gestion collectifs au sein d’espaces semi-naturels spécifiques extensifs, où règne une biodiversité incomparable.

À l’heure où la mode est au « produire local », où les Français sont prêts à consentir un effort financier parfois important pour certains foyers afin de se nourrir avec une alimentation de qualité issue de circuits courts, une production « de la fourche à la fourchette », notre devoir est d’encourager le développement de ces modes de production totalement naturels pour lesquels la traçabilité est garantie au consommateur.

Après avoir connu une démographie en baisse durant près d’un siècle, la courbe aurait tendance à s’inverser et nos territoires, entretenus par l’activité de l’homme, qu’elle soit à vocation pastorale, agricole, forestière ou touristique, redeviennent des milieux ouverts et accessibles.

Nous le savons, sans cette présence humaine, ce sont des sentiers qui se ferment, des paysages qui s’ensauvagent alors qu’ils sont si riches quand ils sont sillonnés par les troupeaux.

Aujourd’hui les bergers pyrénéens sont exaspérés et abattus, car ils sont confrontés à une augmentation sans précédent des dommages causés par des prédateurs, et plus précisément par les ours. Dans mon département, les chiffres parlent malheureusement d’eux-mêmes : en 2016, on dénombrait 96 attaques et 228 victimes ; en 2017, on est passé à 166 attaques et près de 500 victimes. Au 31 août de cette année, on dénombrait 232 attaques, soit 30 % de plus par rapport à l’année précédente, et déjà 372 victimes, alors que tous les troupeaux ne sont pas encore redescendus dans les vallées.

Pourtant une nouvelle réintroduction d’ours slovènes est annoncée pour les semaines à venir sans qu’aucune concertation ait été organisée. Un travail commun et préalable avec l’État est fondamental, monsieur le ministre, pour prévoir, d’une part, une étude d’impact approfondie et, d’autre part, des mesures efficaces de protection contre les prédations incessantes, ne serait-ce que dans un souci de respect des dispositions du code rural et de la pêche maritime, qui, dans son article L. 113-1, dispose que les autorités doivent « assurer la pérennité des exploitations agricoles et le maintien du pastoralisme, en particulier en protégeant les troupeaux des attaques du loup et de l’ours dans les territoires exposés à ce risque ».

Nous le savons, les mesures de protection traditionnelles avec les chiens de protection ou la création de parcs de nuit ne suffisent plus, car l’ours a appris à les déjouer. Il faut trouver d’autres mesures d’accompagnement afin de mieux protéger les biens des éleveurs, leurs troupeaux, mais aussi les maires qui pourraient voir leur responsabilité pénale engagée en cas d’attaque mortelle dans leur commune.

La présence humaine n’est plus un problème pour l’ours. Il est urgent de travailler sur d’autres hypothèses qui ont été envisagées, mais qui n’ont pas encore été exploitées. L’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et le Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, ont réfléchi au concept de la réciprocité avec le loup, mais pas encore avec l’ours. Il s’agit de faire comprendre à un animal qui attaque un troupeau que son comportement lui fait courir un risque.

Aujourd’hui, la pratique de l’estive est menacée dans les Pyrénées du fait de l’augmentation continue de la population ursine, de l’évolution du comportement de l’ours et de la concentration, devenue insupportable, de cette population sur certaines estives. Si nous ne réagissons pas, nous prenons le risque de voir une profession entièrement découragée et de mettre à mal, non pas l’agriculture industrielle, mais l’agriculture de qualité, cette agriculture paysanne qui se nourrit du pastoralisme dont j’ai essayé de rappeler tous les précieux services économiques, environnementaux et culturels qu’il nous rend.

Cessons d’avoir une approche romantique de l’ours pour nous tourner vers une approche pragmatique ! Nos montagnes doivent rester le théâtre d’une biodiversité que nous appelons tous de nos vœux, des montagnes vivantes, avec des hommes et des femmes qui y habitent et y travaillent au quotidien, des montagnes également profitables à ceux qui y séjournent quelques jours par an et qui m’ont inondé de SMS avant que je ne monte à cette tribune.

Pour toutes ces raisons, mon groupe soutient dans sa grande majorité cette proposition de résolution sur le pastoralisme pour éviter que, demain, monsieur le ministre, nous ne soyons obligés de réintroduire des bergers dans nos montagnes.

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