Intervention de Sophie Primas

Réunion du 2 octobre 2018 à 14h30
Politique énergétique — Débat interactif

Photo de Sophie PrimasSophie Primas :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nos débats franco-français, voire européens, finissent par nous laisser penser que le principal objectif poursuivi avec la politique énergétique est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ils tiennent pour acquis le fait que nous aurons toujours assez d’énergie pour nous chauffer, nous éclairer et nous déplacer. Or satisfaire ces besoins essentiels est le véritable objet de la politique énergétique, la réduction des gaz à effet de serre étant une composante que nous devons nous imposer, mais qui a trop longtemps occulté l’essentiel.

À quelles conditions pouvons-nous nous assurer que nous aurons suffisamment de sources d’énergie dans l’avenir ?

D’une part, en favorisant bien sûr notre autonomie énergétique. Daniel Gremillet a montré, au début de notre discussion, que le souhait de réduire à tout prix la part du nucléaire dans la production d’électricité, alors que les énergies renouvelables ne sont pas encore tout à fait en mesure de prendre le relais, avait pour effet de dégrader cette autonomie. D’autre part, en diversifiant nos sources d’approvisionnement, ce qui permet à la fois de s’assurer de quantités suffisantes et des prix les plus bas. La commission des affaires économiques a conduit l’été dernier une mission en Russie, et nous en avons retiré quelques enseignements sur ce second point.

Sur un plan purement géographique, mais aussi culturel, en mettant de côté les contentieux diplomatiques qui nous opposent en ce moment, la Russie est en quelque sorte le réservoir naturel en énergie de l’Union européenne, qui a peu de ressources et a tendance, comme la France, à ne pas vouloir les exploiter. Nous, Français, avons tout intérêt à nous appuyer sur le plus grand nombre de partenaires possible : nos voisins européens – mais les gisements britanniques et norvégiens sont limités –, le Moyen-Orient, nos amis américains et canadiens – nous avons appris ce matin le projet de Shell à Kitimat en Colombie-Britannique – et les Russes.

La Russie est pour nous un partenaire stratégique en matière de fourniture de gaz. C’est le deuxième producteur mondial et le premier exportateur. Or la France et l’Europe ont intérêt à développer leur consommation de gaz non pas dans l’absolu – il faut globalement réduire la consommation d’énergie –, mais par rapport au pétrole et au charbon, et ce pour trois raisons.

Premièrement, le gaz est une énergie bon marché et elle va le rester à moyen terme, car la ressource est très abondante. Deuxièmement, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre d’État, c’est une source d’énergie beaucoup moins polluante et émettrice de gaz à effet de serre que les autres énergies fossiles. Troisièmement, les investissements nécessaires en matière d’infrastructures de transport de gaz seront demain utilisables par le biogaz, un gaz qui ne sera pas fossile. Ces infrastructures préparent donc l’avenir. Dans l’expression « transition écologique », il me semble que le gaz peut être cette énergie de transition.

Lors de notre mission, nous avons aussi constaté l’implication de nos entreprises françaises dans l’exploitation d’énergie en Russie, en particulier Total et Engie, mais aussi Air Liquide, Technip et de nombreuses autres entreprises de taille plus modeste. Engie participe au financement du projet de gazoduc Nord Stream 2 ; Total est actionnaire du premier producteur indépendant de gaz russe, Novatek, avec lequel il achève la construction d’un complexe de liquéfaction de gaz dans l’Arctique russe, sur la péninsule de Yamal. La présence en Russie de deux de nos plus grandes entreprises d’énergie est un facteur sécurisant pour notre approvisionnement, mais aussi un enjeu économique important pour notre pays.

Or un obstacle se dresse quant au développement de ces activités : je veux parler des sanctions américaines prises contre la Russie à la suite de la crise ukrainienne en 2014, sanctions qui ont été aggravées en 2017 avec la question de la Syrie. Ces sanctions ont bien sûr des objectifs politiques, qui ne sont pas le sujet de notre débat d’aujourd’hui, mais elles ont des effets économiques collatéraux sur nos entreprises que nous ne pouvons pas ignorer.

Depuis 2017, les États-Unis se réservent en particulier le droit de sanctionner toute entité qui participerait à un projet de pipeline, et ils mentionnent explicitement leur opposition au projet de gazoduc Nord Stream 2. Ils ont également décidé de placer Novatek sur la liste des entreprises sanctionnées.

Ces sanctions américaines, prises pour des raisons de contentieux politiques, visent néanmoins de façon particulièrement forte de gros producteurs d’énergie, en particulier de gaz, comme la Russie ou l’Iran. Elles ont pour effet d’entraver l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe, au moment même où les États-Unis cherchent précisément à commercialiser leur gaz naturel issu du gaz de schiste en l’exportant par le biais des méthaniers sous forme liquéfiée. Or, pour le moment, le gaz américain est plus cher que le gaz russe, surtout celui qui est acheminé par gazoduc. De là à soupçonner nos alliés américains de chercher à fausser la concurrence à leur profit sur le marché de l’énergie, il y a un pas que, naturellement, je ne franchirai pas, mais que certains de nos interlocuteurs à Moscou ont sauté.

Monsieur le ministre d’État, vous l’aurez compris, il ne s’agissait pas pour moi de dire que la France doit s’orienter vers le gaz russe, le reste du débat ayant montré que nous sommes attachés à un mix énergétique diversifié. Il s’agit surtout d’appeler à ne pas conduire une politique naïve en matière d’approvisionnement de notre énergie.

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