« Cohésion des territoires »). - Le Fonds national des aides à la pierre (FNAP), a été créé en 2016 avec un double objectif.
D'une part, il s'agissait de donner une vision plus synthétique des sommes consacrées aux aides à la pierre en une période où les crédits budgétaires s'amenuisaient déjà et où les bailleurs étaient appelés à se substituer de plus en plus à l'État. La contribution des bailleurs sociaux passait alors par un fonds de péréquation distinct des crédits budgétaires, méthode d'ailleurs contestée par la Cour des comptes.
D'autre part, dans ce contexte de désengagement de l'État, la création du FNAP répondait également à une demande des élus nationaux et locaux qui souhaitaient être mieux associés à la territorialisation et à l'emploi de ces crédits.
Ce fonds est géré par un conseil d'administration où les bailleurs sont représentés au même titre que l'État et où figurent également des représentants des collectivités territoriales et des parlementaires.
Il m'a donc semblé utile, après une année pleine de fonctionnement du FNAP en 2017, de regarder comment s'est passée sa mise en place et si des progrès ont été faits en termes tant de répartition que d'utilisation des crédits.
Ce contrôle a porté sur les deux niveaux : d'une part national, puisque le conseil d'administration du FNAP décide en fin d'année de la répartition entre les régions des crédits et fixe les principales orientations relatives à leur utilisation ; d'autre part régional et local, puisque chaque préfet de région répartit l'enveloppe entre les territoires de gestion. Ces derniers sont de deux sortes : soit une collectivité ou une intercommunalité lorsqu'elle a obtenu la délégation de gestion des aides à la pierre ; soit la direction départementale des territoires (DDT), là où aucune délégation n'a été mise en place. Les aides sont ensuite attribuées aux projets de construction de logements sociaux portés par les territoires et les bailleurs.
Aussi intéressant que soit le nouveau dispositif, les sommes qu'il répartit ne vont pas à elles seules relancer le logement social, dans le contexte budgétaire que vous connaissez. Dans le bleu budgétaire pour 2019, il n'y a plus un euro de crédit pour les aides à la pierre ; c'est l'aboutissement d'une tendance lourde.
Alors qu'en 2002, la subvention budgétaire de l'État était de 5 700 euros pour un logement PLUS (prêt locatif à usage social) et de plus de 15 000 euros pour un logement PLAI (prêt locatif aidé d'intégration), aujourd'hui, les aides du FNAP sont limitées à moins de 10 000 euros par logement PLAI, sauf en Corse et en Île-de-France, en raison des coûts de construction.
Or le marché du logement semble se retourner en 2018. Le nombre des permis de construire est en baisse de 5 %, aussi bien dans le logement individuel que dans le collectif. Le logement social a été affecté dès le second semestre 2017, suite à l'annonce de la diminution des aides personnelles au logement (APL) et de la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS) financée par les bailleurs.
Le montant des aides à la pierre passant par le FNAP s'élève à 475 millions d'euros en 2018, dont 460 millions d'euros pour la construction de logements sociaux neufs, 10 millions d'euros pour des projets de démolition en zone détendue et près de 5 millions d'euros pour le financement d'actions annexes, auxquels s'ajoutent 12 millions d'euros pour favoriser la réalisation de logements très sociaux et l'intermédiation locative.
Pour alimenter ce budget, les crédits de l'État sont en baisse constante : prévus à près de 200 millions d'euros en 2017, ils ont été annulés à 55 % en cours d'année ; en 2018, seulement 38,8 millions d'euros de crédits de l'État ont été inscrits au budget. Dans le même temps, la contribution des bailleurs est de 375 millions d'euros et Action logement est appelé à participer au tour de table pour un montant de 50 millions d'euros. Les autres ressources proviennent notamment de la majoration des prélèvements SRU dans les communes carencées.
On constate un véritable retrait de l'État des aides à la pierre, ce qui a conduit depuis un an le FNAP à une situation difficile et l'empêche même de fonctionner correctement : en effet son président, qui représente les collectivités territoriales au sein du conseil d'administration, a démissionné à l'automne dernier et n'a toujours pas été remplacé. Les collectivités territoriales doivent se mettre d'accord pour désigner un nouveau président.
Or, dans un organisme qui n'a pas de moyen de fonctionnement propre, le conseil d'administration dépend de l'administration de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et le président joue donc un rôle d'impulsion important.
La programmation élaborée par le FNAP se fonde sur une remontée des besoins réalisée par l'intermédiaire des administrations régionales. Des documents de synthèse sont alors présentés dans des groupes de travail et au conseil d'administration.
Or j'ai pu constater lors d'un déplacement à Lille, dans la région des Hauts-de-France, que le diagnostic sur les besoins n'est pas toujours partagé : par exemple, l'État a le souci de favoriser les logements de petite taille, mais certains bailleurs ou certaines administrations locales sur le terrain constatent la difficulté à mettre sur le marché ce type de logement. Et il faut aussi prendre en compte le fait que tous les besoins ne figurent pas nécessairement dans le système national d'enregistrement. Il me semble donc nécessaire de mieux fonder l'analyse des besoins en croisant les sources de données établies par l'État, mais aussi par les collectivités locales et les bailleurs et en enrichissant les données statistiques par des études plus qualitatives.
Autre besoin que j'ai constaté sur le terrain : les réhabilitations. Le FNAP ne finance effectivement que des constructions neuves, et dans une certaine mesure des démolitions. Or lorsqu'une région dispose d'un parc ancien dégradé, ou lorsque le foncier est rare, la réhabilitation pourrait également faire l'objet des interventions soutenues par le FNAP, même si cela se ferait probablement à enveloppe constante.
D'une manière générale, il faut s'interroger sur la méthode qui consiste à fixer des objectifs au niveau national. On prévoit par exemple de créer 40 000 logements de type PLAI par an. Or un objectif global n'a pas véritablement de sens, puisque les besoins, aussi bien que les conditions de marché, sont essentiellement locaux. Ce n'est pas en construisant des logements là où il n'y a pas de besoin qu'on va résoudre la crise du logement. Des objectifs encore plus précis sont fixés par catégorie de logements et ne sont pas du tout atteints. M. Denormandie a reconnu voilà quelques jours que seulement 2 600 places ont été réalisées en intermédiation locative pour un objectif de 40 000 places sur le quinquennat, et qu'il y a eu 619 places de pension de famille sur les 10 000 prévues.
Les objectifs devraient d'abord être fixés au niveau local, ainsi que leur décomposition en fonction du type de logement ou du public visé. La volonté de l'État de conserver un rôle de pilote de la politique du logement se heurte d'ailleurs à la diminution de ses moyens non seulement financiers, mais aussi humains.
Je l'ai constaté dans la mise en oeuvre de la délégation des aides à la pierre, qui peut prendre deux modalités : soit le délégataire assure lui-même l'instruction des dossiers, parce qu'il estime en avoir les moyens ; soit l'instruction est assurée par la DDT. Mais, dans ce dernier cas, il y a en réalité une double instruction, car les services du délégataire examinent déjà les dossiers avant de les transmettre à la DDT. C'est donc un doublon pour l'administration, mais aussi une double tâche pour les porteurs de projet, qui devront présenter le dossier plusieurs fois. Je suis donc favorable à la généralisation de la délégation des aides à la pierre, avec instruction des dossiers par le délégataire. Je pense qu'il faut en finir avec la double instruction.
Cette délégation est l'un des éléments qui permettent aux collectivités locales de mener à bien une politique de l'habitat. Il s'agit toutefois d'une charge qui n'est pas compensée. On peut donc réfléchir à la possibilité d'aller plus loin et d'organiser un véritable transfert de compétence de la gestion des aides à la pierre, qui serait plus complexe, car il faudrait déterminer vers quel niveau de collectivité se fait le transfert et de quelle manière les crédits du FNAP sont répartis entre les collectivités dans une région. L'État doit accepter de lâcher la main, mais, à partir du moment où il n'y a plus un euro venant de lui, ce serait logique.
La répartition des fonds entre les régions suit une clé de répartition calculée à partir des besoins constatés, ainsi que des coûts de construction. Il s'agit d'une vision un peu théorique, car le lancement des projets ne dépend pas seulement de cette subvention, d'ailleurs assez limitée. Il faut d'abord que des projets soient portés localement, souvent par le maire.
La consommation des crédits est ainsi très variable selon les territoires, et on constate chaque année, au cours de l'été, que dans certaines régions, plus précisément en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), les projets ne seront pas assez nombreux pour consommer les crédits. L'automne voit donc se mettre en place un grand exercice de réallocation des crédits vers des régions, qui, pendant ce temps, avaient gardé sous la main des projets prêts à démarrer. Je crois qu'il vaudrait mieux, au moins partiellement, ajuster les enveloppes dès le début de l'année.
Au total, le FNAP constitue un progrès indéniable. Les groupes de travail permettent aux différents acteurs du logement social de travailler ensemble sur des questions aussi concrètes que les logements très sociaux (PLAI adaptés), l'intermédiation locative ou la nécessité de soutenir les démolitions. De plus, le regroupement des crédits donne au Parlement une visibilité bien meilleure sur les montants consacrés aux aides à la pierre.
L'État conserve toutefois un rôle disproportionné et le FNAP n'a pas rempli toutes ses promesses. D'une part, les acteurs continuent à se plaindre sur le terrain de la complexité des règles et, surtout, de leur modification chaque année ; ces changements sont d'autant moins compréhensibles qu'ils sont décidés au niveau national. D'autre part, le FNAP n'a pas permis de sécuriser les fonds accordés aux aides à la pierre. Le responsable en est évidemment l'État, qui réduit ses engagements lorsqu'il n'annule pas purement et simplement les crédits en cours d'année, comme en 2017.
C'est pourquoi je crois que le principe d'annualité budgétaire devrait être concilié avec une programmation pluriannuelle des crédits attribués aux aides à la pierre. Une prévision sur trois ans, associée à une stabilisation des règles d'utilisation des crédits, apporterait une meilleure visibilité à des projets dont la réalisation prend plusieurs années. Elle serait cohérente par exemple avec la conclusion des conventions de délégation des aides à la pierre, dont la durée est de six ans.
La territorialisation de la gestion des aides à la pierre accroît les chances de succès des opérations. L'État l'a compris pour l'enveloppe de 12 millions d'euros destinée aux PLAI adaptés et à l'intermédiation locative ; alors qu'elle était consacrée jusqu'en 2017 à des appels à projets peu fructueux, le conseil d'administration du FNAP a décidé vendredi dernier de la répartir désormais entre les régions, comme pour les crédits de l'enveloppe principale.
Il reste donc à parachever cette territorialisation en laissant plus de marge de manoeuvre aux politiques locales de l'habitat.