C'est un honneur pour moi d'être auditionné par votre commission. C'est également un devoir, car nous sommes une entreprise publique et nous devons rendre des comptes. Je suis accompagné de M. Rémy Weber, le président du directoire de La Banque Postale, car c'est lui qui aura la responsabilité de réaliser le projet de transformation dont nous allons parler. Aussi me paraissait-il important de vous le présenter.
Mon intervention sera dans la continuité de mes précédentes auditions : dans un monde chahuté, nous mettons en oeuvre le plan stratégique intitulé « La Poste 2020 : conquérir l'avenir », dont je vous parle depuis 2013. C'est un plan de développement et de conquête, ce qui peut sembler paradoxal puisque notre groupe est confronté à l'une des situations économiques les plus complexes de toute l'économie française : chaque année, la baisse de volume du courrier nous fait perdre 560 millions d'euros de chiffre d'affaires. C'est comme, si chaque année, une entreprise de taille moyenne disparaissait au sein du groupe !
Face à un tel choc exogène, la seule solution est de promouvoir une vision et de développer l'entreprise, car une logique malthusienne désespérerait les salariés et nécroserait l'entreprise. Aussi affirmons-nous notre volonté collective de conquérir l'avenir. Et nous en avons les moyens avec la banque, avec le colis, avec les services à domicile, et en surfant sur les vagues de croissance dans notre pays.
L'année 2017 a été une bonne année. Voyants au vert ? Au vert clignotant, plutôt : en Europe, la croissance ralentit ; hier, Royal Mail, La Poste britannique, troisième par la taille en Europe, a émis une alerte sur profits, et La Poste allemande - première de ce secteur, quand nous sommes les deuxièmes - avait fait de même en juin. Il est vrai que La Poste britannique, contrairement à la nôtre, n'a pas de stratégie de diversification, pas de banque, pas d'assurance, qu'elle est faible dans le colis et complètement dépourvue de services à domicile. En tous cas, l'industrie postale est toujours dans un travail de restructuration extrêmement difficile.
Nous avons fait le choix de la diversification en concertation avec les organisations syndicales dont je veux saluer l'engagement, la légitimité et la compétence. Bien sûr, nous avons tous l'image nostalgique de La Poste de notre enfance. Mais le courrier traditionnel est en pleine attrition : 18 milliards d'objets distribués en 2008, 10 milliards cette année, 9 milliards l'année prochaine, peut-être 5 ou 6 milliards en 2025. Cette réduction considérable de la charge de travail que nous embarquons perturbe l'ensemble de notre modèle. En 1990, le courrier traditionnel représentait 70 % de notre chiffre d'affaires. En 2010, il comptait pour 40 % et, fin 2017, il était tombé à 30 %. Notre objectif est que, fin 2020, il ne représente plus que 20 % de notre chiffre d'affaires : puisqu'il est menacé par la technologie, il faut qu'il pèse de moins en moins lourd pour ne pas menacer l'entreprise tout entière.
Notre stratégie de diversification progresse, notamment grâce à la banque, même si celle-ci est confrontée à la pire conjoncture de l'histoire récente de notre économie : avoir des taux d'intérêt négatifs quand on prête tous les jours à la Banque centrale, c'est un vrai problème ! Nous payons pour déposer de l'argent... Et les taux d'intérêt n'ont jamais été aussi bas, ce qui est bien pour notre pays mais pèse sur notre rentabilité.
Notre activité colis continue à bien progresser, même si son essor est loin de compenser la baisse du nombre total de lettres distribuées : il y a 10 milliards de courriers distribués par an - pour 8 milliards d'euros de chiffre d'affaires - mais seulement 400 millions de colis - pour 3,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
Nous développons également les nouveaux services, comme je l'avais annoncé à votre commission en 2013. À l'époque, leur chiffre d'affaires était de 3 millions d'euros. Fin 2018, il atteindra 120 millions d'euros et, avec la silver economy - qui est une priorité de La Poste - il s'élèvera à 300 millions d'euros. J'espère revenir bientôt vous annoncer le franchissement du premier milliard d'euros. Les syndicats nous disent que « ça ne va pas assez vite » ; pour un PDG, c'est une vraie reconnaissance ! Ils ont raison, mais il faut du temps pour développer un produit. En 1985, alors que La Poste était encore un service de l'État, elle a lancé une filiale, Chronopost, pour l'envoi de colis rapides ; il a fallu dix ans à Chronopost pour aller chercher sa première centaine de millions de francs de chiffre d'affaires. En un sens, le vieillissement est une chance pour La Poste, puisque nous sommes passés de 3 millions d'euros à 300 millions d'euros en quelques années.
Le développement de La Poste repose sur des vagues de croissance. La disparition lente mais structurelle de la lettre traditionnelle est une vague de décroissance. Nous ne pouvons y répondre qu'en nous plaçant sur des vagues de croissance à l'intérieur de l'économie. La première de ces vagues est le colis, dont la progression est presque à deux chiffres. Nous devons donc embaucher des personnes pour distribuer les colis et développer le commerce en ligne. Le vieillissement crée un besoin de proximité humaine. Nous sommes au contact des régions, des départements, des communautés de communes et des communes pour développer, avec les élus locaux, des services de proximité.
Notre intérêt pour la CNP, qui est une compagnie d'assurance, est aussi lié à la protection contre les risques. La logistique urbaine devient un sujet majeur pour toutes les métropoles de France puisque la livraison de colis est en train d'asphyxier la circulation des très grandes villes. Or nous sommes leaders dans la logistique urbaine, avec déjà cinq projets à Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Lille et Montpellier. Ce développement est accepté par les postières et les postiers et leurs organisations syndicales, comme le montre la signature d'accords sociaux historiques en 2017 stipulant qu'en 2020 plus de la moitié du temps de travail des factrices et des facteurs se fera sur autre chose que de la lettre. On mesure l'ampleur de la transformation, et de sa prise de conscience par nos salariés.
L'opération dont vous avez parlé s'inscrit pleinement dans notre stratégie de diversification. D'abord, elle diversifiera nos activités par rapport à l'activité lettre traditionnelle et elle fera croître le volume, la puissance et les résultats des services financiers. La transformation de La Banque Postale en grand bancassureur, comme toutes ses concurrentes, répond aussi aux besoins de la société française en protection d'épargne et en protection face aux aléas de la vie. Enfin, notre banque étant une banque citoyenne, elle sera aussi une compagnie d'assurance citoyenne. Cette opération est aussi conforme aux intérêts de la CDC, notre deuxième plus gros actionnaire, et de la CNP elle-même, puisque celle-ci n'a pas de clients propres : grâce à cette opération, elle récupérera les millions de clients de la Banque Postale. M. Éric Lombard, le nouveau directeur général de la CDC, a fait de la lutte contre la fracture territoriale et du soutien au développement des territoires ses priorités. Augmenter sa participation dans l'entreprise la plus territoriale de notre pays est donc logique pour lui. Nous allons en particulier travailler sur les maisons de service au public. Nous avions promis, à la suite d'un rapport parlementaire, d'en développer 500. Les postiers tiennent leur parole : nous en avons développé 500. Faut-il en faire plus ? Nous en débattons en ce moment avec l'État et les associations d'élus, et notamment l'association des maires de France (AMF), présidée par M. François Baroin.
Nous préparons aussi trois autres acquisitions, une en Europe, pour devenir le numéro un - devant La Poste allemande - du colis et du commerce en ligne, une autre sur les nouveaux services de proximité, et une dernière sur le numérique. Nous avons d'ailleurs déjà déployé des services numériques, comme Digiposte, qui est le coffre-fort numérique de La Poste, sur lequel on peut recevoir sa feuille de salaire, sa facture d'électricité ou de mobile, et qui va être la boîte en carton numérique des archives personnelles des Françaises et des Français. Déjà 2,7 millions de personnes nous font confiance. Ce produit renvoie aux fondamentaux de La Poste : de même que les Françaises et les Français avaient confiance dans les femmes et les hommes de La Poste, vous aurez confiance dans le coffre-fort numérique de La Poste, parce qu'il est administré par des postiers et que vous ne craindrez pas l'utilisation malsaine ou le vol des données qu'on a découvert lors du scandale Cambridge Analytica.
Reste à voter un amendement à la loi postale, car l'article actuel dit que l'État est actionnaire majoritaire. Il y aura toujours deux actionnaires, mais le premier deviendra le second, et réciproquement - et il n'y aura pas un atome d'intérêts privés dans le capital de La Poste ! La prise de participation importante de la CDC dans une poste n'est pas une invention française, puisque le dernier actionnaire public de Deutsche Post DHL, La Poste allemande, est la Caisse des dépôts allemande. Et, en Italie, le premier actionnaire de La Poste est la Caisse des dépôts.