Intervention de Philippe Wahl

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 octobre 2018 à 10h00
Audition de M. Philippe Wahl président-directeur général du groupe la poste

Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste :

Je souhaite rappeler que, en 2011 et 2012, face aux extrêmes difficultés rencontrées par les collectivités territoriales pour se financer, l'État et le Parlement nous ont demandé de créer à partir de rien une banque des collectivités locales. Nous l'avons fait, et nous sommes aujourd'hui les premiers sur ce marché. Nous savons donc nous engager au service des territoires.

Sur l'opération elle-même, je ne veux pas discuter du sujet de la tentation de la privatisation. Je voudrais, en tant que chef d'entreprise, vous dire deux choses. Premièrement, je n'ai aucune tentation de privatisation. C'est dit ! Deuxièmement, il n'y aura pas un atome d'intérêt privé dans le capital de La Poste. Le capital du groupe restera public en totalité. Aujourd'hui, l'État y est présent à hauteur de 74% et la CDC à hauteur de 26 %. Demain la CDC détiendra une part qui reste à déterminer mais qui sera supérieure à 51% et l'État détiendra le reste. Je rappelle que la question de la privatisation dépend de la représentation nationale et des responsables politiques. Mais il n'en est pas question s'agissant de cette opération : nous aurons toujours un capital totalement public.

La CDC est un établissement public créé par une loi de 1816, je ne crois pas qu'elle ait les exigences de rentabilité d'un hedge fund ! La CDC est déjà notre actionnaire aujourd'hui : je constate qu'elle est actuellement satisfaite de notre rentabilité.

S'agissant de notre rentabilité, puisque l'enjeu de ne pas sacrifier au culte du Veau d'or a été évoqué, La Poste a gagné 851 millions d'euros nets de profits en 2017. Ce qui est une excellente nouvelle ! Que fait-on de cet argent ? Nous avons versé 171 millions d'euros de dividendes à nos deux actionnaires, respectant l'engagement que j'avais pris auprès d'eux. Le reste est réinvesti pour l'avenir, dans la formation - 84% des employés ont suivi une formation l'année dernière ! - et dans l'outil de travail de La Poste. Vous l'avez mentionné, nous avons lancé il y a un peu plus d'un an et demi un plan d'équipement en machines et en usines de colis pour s'adapter à la croissance des volumes. C'est une excellente nouvelle pour les salariés de La Poste, et nos organisations syndicales le comprennent. Les 450 millions d'euros que nous investissons à ce titre proviennent précisément des profits que nous réalisons. L'agent que nous gagnons sert donc au développement de l'entreprise.

Nous avons la première flotte au monde de véhicules électriques, avec 8 500 véhicules. Même La Poste chinoise ne nous a pas encore dépassés, malgré ses 700 000 salariés. La rentabilité de cette flotte est équilibrée grâce à l'aide fiscale. C'est aussi grâce à elle que nous intéressons les maires des grandes villes car nous proposons de concentrer les flux et de n'utiliser que des véhicules propres, qui viennent tous de constructeurs français.

S'agissant de la question de la sécurité de Chronopost à Noël : nous avons été contraints d'interrompre les livraisons dans certains endroits du territoire pour la sécurité des facteurs car ceux-ci se faisaient braquer ! Il faut trouver une solution d'action commune.

Nous sommes clairement en tête sur le colis en France, et notre part de marché est importante. Nous investissons également partout en Europe, ce qui est indispensable y compris pour les salariés français. L'Europe est un immense marché domestique. Nous sommes actuellement deuxièmes - avec environ 1,2 milliard de colis sur la dizaine de milliards délivrés chaque année - et nous devrions dépasser les allemands l'année prochaine - qui traitent 1,3 milliard de colis. Nous sommes deuxièmes grâce à notre réseau sur le territoire. Si nous attirons les flux internationaux (japonais, chinois, russes, américains...), cela renforce les équipes françaises. J'ai récemment visité une plateforme de colis à Caen, où 18% des colis proviennent du réseau et de l'international. Sans notre action à l'international, nous aurions moins de flux en France. C'est pourquoi nous misons sur l'international, et nous avons déjà pour objectif d'aller demain en Asie. Avoir un réseau international et européen est donc fondamental y compris pour l'investissement en France. Le 30 août dernier, je recevais les deux dirigeants de chacune des sept fédérations syndicales pour leur annoncer que j'assisterai le lendemain matin à la conférence de presse du ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire avec le directeur général de la CDC en vue d'annoncer l'opération de rapprochement entre La Banque Postale et la CNP. Je les remercie d'ailleurs d'avoir respecté le secret de cet entretien. Expliquant l'opération, j'ai insisté sur son aspect territorial. Deux syndicalistes m'ont alors rappelé qu'il faut également poursuivre le développement à l'international, qui est un véritable levier de croissance. C'est la preuve que la pédagogie sur la diversification a porté ses fruits et que développer la croissance de La Poste et de Geopost à l'international, c'est nourrir la croissance du groupe et les emplois en France.

Le sujet d'Amazon est simple à énoncer, très compliqué à gérer. Il est effectivement notre premier client, il devient notre premier concurrent - ce qui est déjà le cas en France. Au Royaume-Uni, nous sommes deuxièmes, mais Amazon est troisième. C'est une situation assez peu courante. Nous sommes en train de travailler sur les assouplissements stratégiques nécessaires pour s'y adapter. Amazon nous fournit des millions de colis, contribue à nos revenus et à nos créations d'emploi et en même temps, il nous menace. Mais il nous oblige également à progresser, à innover, ce qui est positif. Mme Vestager, commissaire européen à la concurrence, a annoncé la semaine dernière enquêter sur Amazon car il semblerait que l'entreprise ait utilisé les informations des commerçants qu'elle accueille sur sa plateforme pour ses propres besoins. Il y a donc des aspects positifs et négatifs dans Amazon, ce que je ne me prive pas de leur dire !

Le fait que La Poste ait la confiance de millions de personnes est essentiel dans un contexte où l'utilisation des données personnelles par certaines entreprises est sujet à caution. Notre activité de coffre-fort électronique Digiposte perd aujourd'hui de l'argent. Mais le jour où vingt à trente millions de Français utiliseront ce service, il sera bénéficiaire. Il s'agit du cycle de vie habituel d'un produit : au lancement, celui-ci est déficitaire, ensuite il devient bénéficiaire. Nous évoquions Amazon : plus de vingt ans après sa création, l'entreprise gagne encore très peu d'argent car elle finance ses activités déficitaires avec les profits générés par ses activités en matière de services informatiques.

Parmi nos nouvelles activités, trois fonctionnent très bien. D'abord, la loi a autorisé La Poste à devenir opérateur agréé pour le passage du code de la route. C'est un succès : 1,7 million de jeunes ont jusqu'ici été accueillis à ce titre dans nos bureaux de poste. Le délai d'examen est passé de 6 semaines à trois jours. C'est un véritable apport pour la vie quotidienne. Notre activité de livraison des repas connaît également un certain succès. Le vieillissement de la population est une opportunité pour La Poste car les personnes âgées sont plus fragiles, elles ont besoin de relations humaines, or nous sommes les spécialistes de la relation humaine au quotidien. La troisième activité est la récupération des cartons et des archives de bureau dans les petites et moyennes entreprises, dans le cadre d'une société commune avec Suez - nous y détenons 51%, Suez 49%. D'autres activités ont pu être abandonnées, nous nous focalisons sur ce qui fonctionne. Je le répète : le chiffre d'affaires de ces nouvelles activités était de 3 millions d'euros en 2013, il atteindra 300 millions d'euros à la fin de l'année. Je suis presque aussi pressé que nos syndicats pour que cela fonctionne, mais il faut du temps ! Par exemple, la visite aux personnes âgées est très bien reçue et, si nous n'en tirons aujourd'hui que peu de revenus, elle peut devenir demain un relais de croissance si nous la poursuivons. Le Sénat du Land de Brême a demandé à La Poste de lancer un service qui ressemble au dispositif « veiller sur mes parents », ce qui montre que notre exemple peut faire tâche d'huile.

S'agissant de la question de la distribution du courrier un jour sur deux, regardons ce qu'il se passe en Europe : il y a trois semaines, le patron de La Poste belge a annoncé que c'est la seule solution pour sauver son entreprise. C'est une logique malthusienne, gouvernée par la baisse des coûts. Ce n'est pas la nôtre, même si je ne nie pas les difficultés que nous connaissons. Notre logique est de trouver suffisamment de services et de colis à distribuer pour maintenir la distribution quotidienne. Nous nous y tenons, même s'il ne faut pas nier qu'elle est incertaine. Aux Pays-Bas, on ne distribue plus le courrier que quatre jours sur sept. En Italie, sur la moitié du territoire, le courrier n'est plus distribué qu'un jour sur trois. Nous évitons cela par la diversification et le développement de notre entreprise.

J'en viens enfin à la qualité de service, qui me préoccupe autant que vous-mêmes. Nous sommes tenus chaque année par une dizaine d'objectifs de qualité de service mesurés par l'Arcep. Le fait est qu'en 2017, nous les avons tenus ! La qualité industrielle globale est donc satisfaisante. Plus de 94% des lettres vertes sont arrivées dans le délai J + 2. Plus de 85% lettres rouges J+1. Nous sommes très préoccupés par ce sujet et la perte d'une lettre est toujours un drame, mais force est de constater que nos objectifs sont tenus et que le taux de défaut reste faible.

Nos clients sont de plus en plus sensibles à la qualité de service. Trois cas sont régulièrement identifiés. Le premier est celui du facteur qui ne s'assure pas de la présence de la personne à qui il doit livrer le colis et dépose directement l'avis de passage. Les clients nous écrivent à ce sujet, tout comme les parlementaires et même nos salariés ! Nous avons engagé une action de formation et de management du personnel pour éviter ce type de pratique. Ensuite, la gestion des réexpéditions connaissait de nombreux dysfonctionnements, mais notre indicateur de satisfaction montre qu'il y a deux fois moins d'incidents. Enfin, il y a le cas que vous évoquez, M. le Sénateur Pierre : il s'agit du délai entre le premier passage du facteur et le retour du colis au bureau de poste. Nous travaillons sur l'amélioration de nos procédures pour éviter les incidents pendant ces quarante-huit heures cruciales.

Notre indice de satisfaction de clients (le « net promoter score ») est à 42% alors qu'il était à 25% il y a quatre ans. Amazon déclare être satisfait à 75%. Nous avons donc fait des progrès, même si nous admettons devoir toujours travailler sur la qualité de service.

Enfin, s'agissant du numérique, je voudrais faire trois commentaires. Le sujet de la protection des données à caractère personnel va devenir un sujet majeur. Avec La Poste, le Parlement et l'État en général disposent d'un interlocuteur qui a le savoir-faire technologique pour suivre les colis, qui dispose de la confiance de ses clients et d'une infrastructure d'informatique en nuage sécurisée - il n'est pas partagé avec une entreprise régie par le Patriot Act américain, lequel offre un accès permanent aux agences de renseignement américaines. Par ailleurs, nous sommes prêts, notamment dans les maisons de service au public, à lutter contre l'exclusion numérique, soit à travers la formation de personnes âgées dans nos bureaux de poste, soit à travers la distribution, avec l'ADMR, notre partenaire, de notre tablette ardoise, adaptée aux personnes âgées. Nous en avons déjà distribué 35 000. Nous sommes en train de discuter avec l'État sur notre rôle en matière d'exclusion numérique.

Dans le cadre de la loi pour une République numérique, vous avez autorisé les entreprises agréées à développer des outils numériques. La Poste a un grand atout : la reconnaissance en face à face. Il est possible de prouver une identité numérique à distance. Mais cela ne garantit ni l'absence de contrainte sur la personne ni que l'opération est exempte de manipulation.

S'agissant des reclassés : lors de la création par la loi de La Poste en tant qu'établissement public, 90% des postiers ont choisi le statut de fonctionnaire d'État à La Poste - ce sont les reclassifiés -, 10% ont choisi de rester fonctionnaires d'État dans l'État - ce sont les reclassés. Il se trouve que les évolutions de carrière n'ont pas été conformes aux attentes des reclassés. Nous n'avons pas le pouvoir - le Conseil d'État nous l'a interdit - de reconstituer des carrières. En revanche, à l'occasion de certaines négociations, nous avons accepté soit de permettre à certains reclassés de rejoindre le corps des reclassifiés mais sans reconstitution de carrière, soit d'être promus, et nous avons rehaussé l'indice terminal de retraite.

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