Monsieur le ministre, vous avez présenté un projet ambitieux de réforme du baccalauréat et, partant, du lycée général et technologique. Ce projet s’est traduit par un décret et par plusieurs arrêtés publiés le 16 juillet dernier. Les élèves entrés cette année au lycée constitueront la première cohorte concernée ; ils passeront les épreuves terminales dans leur nouveau format en 2020 et en 2021.
Comme le soulignait notre collègue Max Brisson, auteur avec Françoise Laborde d’un excellent rapport sur le métier d’enseignant, le caractère restrictif du domaine de la loi en matière d’éducation a pour conséquence que le Parlement, au-delà du vote des crédits, est davantage amené à se pencher sur des questions de faible importance – par exemple, les modalités d’utilisation des téléphones portables dans les établissements scolaires – plutôt que sur des questions de fond comme celle qui nous réunit cet après-midi.
Ainsi la commission a-t-elle souhaité la tenue de ce débat en séance publique, afin d’évoquer avec vous, monsieur le ministre, et sous le regard de nos concitoyens, les enjeux de cette réforme, et d’obtenir des réponses aux questions que mes collègues vous poseront. Parmi ces derniers sont bien sûr mobilisés Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis des crédits de l’enseignement scolaire, et Laurent Lafon, qui a défendu les amendements de notre commission sur l’orientation scolaire à l’occasion de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Commençons par reconnaître, monsieur le ministre, que vous avez eu, avec la confiance du Gouvernement, le courage de vous attaquer à un sujet d’envergure, sur lequel nombre de vos prédécesseurs avaient échoué ou auquel ils avaient renoncé.
C’est vrai, le baccalauréat, « monument national » et rite initiatique pour les jeunes lycéens, pose, sous sa forme actuelle, un certain nombre de questions, dont la première réside dans sa finalité, dans la mesure où, s’il ouvre les portes de l’enseignement supérieur, il n’intervient qu’après l’affectation des élèves de terminale.
Je ne m’étendrai pas sur ses défauts, désormais bien connus – lourdeur excessive entraînant, malgré les entreprises de reconquête du mois de juin, la perte de nombreuses semaines de cours, entretien d’une hiérarchie stérile entre les filières de l’enseignement général, ou encore tendance des élèves au bachotage.
Nous partageons votre ambition d’un baccalauréat plus simple, mais non moins exigeant, et comportant moins d’épreuves terminales, sans toutefois renoncer à un tronc commun, garant d’une culture générale nécessaire à une citoyenneté éclairée. À cet égard, et ce sujet m’est cher, il faut veiller, au travers de l’enseignement, unique en Europe, de la philosophie, à préserver l’apprentissage du débat d’idées, même si, convenons-en, cet enseignement aurait besoin d’être repensé.
La fin des séries dans la voie générale est une très bonne chose ; les combinaisons d’enseignements de spécialités donneront aux élèves une plus grande liberté de choix et leur permettront de construire des parcours de formation adaptés à leurs goûts et à leurs ambitions. Il conviendra de veiller à ce que ces choix de spécialités puissent faire l’objet d’une certaine réversibilité, afin que les élèves qui le souhaitent puissent ajuster ceux-ci au cours de leur scolarité au lycée.
Toutefois, le maintien des séries dans la voie technologique suscite des interrogations : n’est-on pas passé à côté de l’occasion d’une plus grande perméabilité entre les voies générale et technologique ? La place de la voie technologique, confrontée à la concurrence, si vous me permettez l’expression, des voies générale et professionnelle, est de moins en moins évidente.
D’autres éléments de la réforme doivent être salués, comme la mise en avant de l’expression orale grâce à l’introduction d’une épreuve orale terminale inspirée du colloquio italien – d’ailleurs, quid de l’apprentissage des langues ? –, l’allégement des emplois du temps, l’accompagnement renforcé pour l’orientation dès la classe de seconde, ou encore la prise en compte, à hauteur de 40 % de la note finale, des notes obtenues tout au long de l’année, ce qui permet de récompenser la constance et la rigueur dans le travail.
Si nous en soutenons les principes et les orientations, les modalités de la réforme et les conditions de sa mise en œuvre posent néanmoins un certain nombre de questions – je n’en citerai que quelques-unes.
La première porte sur les modalités du contrôle continu. Dans un souci d’équité entre les élèves et les établissements, les trois quarts de la note de contrôle continu proviendront d’épreuves dites « communes », organisées dans un cadre très contraignant qui rappelle furieusement le baccalauréat actuel. Ces épreuves, se déroulant au cours des années de première et de terminale, prendront appui sur une banque nationale de sujets, les copies étant anonymes et corrigées par d’autres professeurs que ceux de l’élève. Dans ces conditions, l’allégement annoncé de l’organisation pourra-t-il vraiment être atteint, dans la mesure où les établissements seront contraints d’organiser régulièrement des « mini-baccalauréats » qui empiéteront sur le temps d’enseignement ?
Autre sujet de préoccupation pour les membres de la commission : comment s’articulera le futur baccalauréat avec Parcoursup ? Afin que le baccalauréat conserve tout son sens, il me semble important que les notes obtenues soient prises en compte, dans la plus large mesure possible, dans l’affectation dans l’enseignement supérieur. Or, vous l’avez annoncé, monsieur le ministre, les épreuves terminales auront lieu au retour des vacances de printemps, soit bien trop tard pour que les résultats soient pris en considération dans Parcoursup. Il semble que vos discussions avec le ministère de l’enseignement supérieur soient encore en cours ; êtes-vous aujourd’hui en mesure de nous dire quand auront lieu les épreuves terminales ?
Dernier, et sans aucun doute principal, sujet de préoccupation que je souhaite relever au nom de la commission, celui de l’offre de formation. Il semblerait que les douze spécialités offertes ne seront pas proposées dans tous les lycées ni même au sein des bassins de formation. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que seules sept spécialités sur douze seront accessibles dans un périmètre raisonnable. Si l’on peut aisément concevoir une forme de spécialisation des lycées autour de certains enseignements en ville, il en va autrement en milieu périurbain et dans le monde rural, où les élèves n’ont souvent qu’un lycée de secteur. Il serait regrettable que les élèves des territoires ruraux soient privés de la possibilité de choisir leurs enseignements du seul fait que leur lycée ne propose pas les matières désirées, d’autant qu’avec le jeu des « attendus » de Parcoursup, ils seront désavantagés pour suivre les études de leur choix.
Vous savez, monsieur le ministre, combien notre assemblée est attachée à l’équité territoriale ; la ruralité ne doit pas être oubliée ni défavorisée.