Intervention de Delphine Gény-Stephann

Réunion du 3 octobre 2018 à 14h30
Politique industrielle et avenir de notre industrie — Débat organisé à la demande d'une mission d'information

Delphine Gény-Stephann :

Madame la présidente, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette invitation à débattre d’un sujet qui me tient à cœur. J’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt de vos conclusions et de vos propositions. Je partage votre sentiment d’urgence, qui s’exprime en particulier dans le second tome de votre rapport.

On peut certes se réjouir d’un retour relatif de l’industrie en France en 2017, avec des créations d’emplois, de l’investissement étranger et des ouvertures de sites industriels plus nombreuses que les fermetures, mais nous sommes bien conscients que les efforts qui restent à mener sont considérables. Nous partageons la même volonté de faire revivre puissamment la France industrielle.

Le sursaut doit être accompagné, soutenu et attisé. En effet, notre industrie est à la fois notre héritage et ce qui construira notre futur. C’est à la fois la conquête de marchés étrangers et la vitalité économique de centaines de territoires français, notamment ruraux. C’est à la fois notre compétitivité et ce qui garantit notre souveraineté.

Cet horizon est vraiment ce qui nous a conduits à engager une transformation en profondeur de notre économie depuis le premier jour du quinquennat, avec un travail en profondeur sur la compétitivité de nos entreprises. Vous le savez, une refonte complète de la fiscalité a été menée l’année dernière, avec la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, la transformation en baisse de charges du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la suppression de l’ISF et le prélèvement forfaitaire unique.

À cela se sont ajoutées les dispositions de la loi Travail pour constituer les deux piliers très puissants de notre politique visant à restaurer la compétitivité de notre économie et de notre appareil productif. Nous continuerons évidemment ces efforts dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, car la stabilité et la visibilité sont nécessaires à nos entreprises pour prévoir, investir et prendre des risques.

Après la compétitivité, le deuxième objectif est de faire de la France la première nation en matière d’innovation en Europe. Cela passe par un investissement massif dans les compétences, dans la recherche et dans notre appareil productif. Notre ambition en la matière se traduit par une politique d’innovation ambitieuse, d’une dimension nouvelle, couplée avec une réforme sans précédent de la formation professionnelle et de l’apprentissage.

Outre la sanctuarisation du crédit d’impôt recherche, le CIR, que vous avez citée, l’État entend jouer pleinement son rôle de stratège et de catalyseur, par des choix d’investissements sur les technologies de rupture avec la création du fonds pour l’innovation et l’industrie, doté de 10 milliards d’euros. Ce fonds a commencé à fonctionner, avec deux premiers défis qui portent sur l’amélioration des diagnostics médicaux par l’intelligence artificielle et la sécurisation des systèmes ayant recours à l’intelligence artificielle.

Le rôle de l’État n’est pas d’immobiliser des capitaux dans des entreprises lorsqu’il dispose d’autres leviers suffisamment puissants. Il n’a donc pas besoin du contrôle actionnarial pour garantir la préservation des intérêts nationaux. Son rôle est de préparer l’avenir du pays et non pas d’agir en gestionnaire financier.

C’est pour cette raison que nous ne donnerons pas un avis favorable à la proposition n° 31 de votre mission d’information.

Le deuxième levier pour mettre l’industrie française à la pointe est un travail partenarial conduit entre le Gouvernement et seize filières structurantes pour notre industrie.

Je prendrai l’exemple de la filière automobile, qui mobilise l’ensemble des acteurs pour accélérer le développement des véhicules hybrides, électriques et autonomes, ainsi que des nouveaux usages de la mobilité. L’association entre les pouvoirs publics et l’industrie automobile est incontournable si nous voulons le meilleur cadre fiscal, réglementaire et territorial pour mettre notre industrie à la pointe.

Je citerai également l’exemple de la filière santé, avec laquelle nous avons bâti un plan d’action complet en juillet dernier, pour réduire les délais d’autorisation des essais cliniques et d’autorisation de mise sur le marché des médicaments et pour préparer les innovations de demain, via la création d’une plateforme de partage des données de santé qui sera sans doute l’une des plus riches du monde.

Enfin, nous voulons ancrer nos outils de soutien à l’innovation dans les territoires. J’ai ainsi lancé en juillet dernier un appel à candidatures pour « relabelliser » les pôles de compétitivité et lancer une phase 4 d’ambition européenne.

Toutefois, nous ne sommes pas naïfs : la préservation de notre autonomie dans certaines technologies stratégiques est indispensable pour garantir notre souveraineté économique. Nous devons pouvoir rester maîtres de nos innovations. Car à quoi bon investir dans les technologies de rupture si c’est pour se faire piller ses investissements quelques années plus tard ?

Dans la loi PACTE, nous renforçons le régime de contrôle des investissements étrangers en France, en élargissant le champ du contrôle à de nouveaux domaines, notamment l’espace, le stockage de données, l’intelligence artificielle et les semi-conducteurs. Sur ce point, les propositions de votre mission sont pleinement en accord avec notre vision.

Sur ce sujet de la souveraineté économique, j’aimerais évoquer la fusion entre Alstom et Siemens. C’est pour préserver une souveraineté économique européenne face à un géant industriel chinois que cette fusion a été décidée. Le rapport de votre mission a conclu que la fusion actuelle était la meilleure option pour faire naître un géant européen du ferroviaire, même si j’ai bien entendu que vous en contestiez les modalités financières et capitalistiques. Mais il était vital d’aboutir sur ce rapprochement et tout aussi crucial de défendre les intérêts français.

Une série d’engagements ont été pris pour fixer le siège de la nouvelle société et sa cotation en bourse en France, ainsi que pour assurer l’équilibre de sa gouvernance. Siemens s’est également engagé à préserver le niveau d’emplois pendant quatre années. Il s’agit ainsi d’un mariage entre égaux, mais avec une situation actionnariale asymétrique que vous avez déplorée. L’État veillera à ce que l’équilibre entre la France et l’Allemagne perdure.

Vous avez également évoqué dans le rapport de votre mission des points de vigilance, en particulier sur la sous-traitance et l’animation de la filière. Je vous rejoins sur ces points et serai attentive à ce que les engagements pris soient tenus. La nouvelle entreprise devra continuer à développer un socle de fournisseurs solide en France et en Allemagne. S’agissant des commandes pour les marchés français et allemand, elle devra recourir préférentiellement aux fournisseurs du pays.

Plus généralement, notre politique industrielle ne peut rester cantonnée aux grands groupes et aux grandes métropoles. Une bonne politique d’innovation dans l’industrie doit entraîner toutes les PME, dans tous les territoires. C’est pourquoi nous faisons porter l’effort principalement sur les PME, avec une nouvelle grande étape de réformes structurelles, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises.

Notre premier défi est de consolider l’ensemble de notre appareil productif, car notre tissu économique est trop fragile. Nos entreprises rencontrent des obstacles accumulés dans des strates réglementaires et fiscales qui les freinent à toutes les étapes de leur développement. Elles sont donc trop petites et mal financées ; elles n’innovent et n’exportent pas assez. Nous allons faciliter la création, le financement, la transmission et le rebond des entreprises.

Le deuxième défi est celui de la transformation numérique de notre industrie : le Gouvernement est pleinement engagé pour combler le retard qu’a pris la France dans la digitalisation et la robotisation de son industrie.

Les annonces faites par le Premier ministre il y a quelques jours concernant l’industrie du futur et l’ensemble des mesures de soutien à la modernisation et à la numérisation de nos entreprises sont absolument cruciales : mise en place de briques numériques de base dans les petites entreprises, avec le plan France Num ; instauration d’un soutien à l’investissement dans la robotisation et la numérisation des PME industrielles sous la forme d’un suramortissement ; création, dans chacune des filières du Conseil national de l’industrie, d’une plateforme numérique pour accompagner à la numérisation, filière par filière. Enfin, une mission sur les plateformes d’accélération de l’industrie du futur a été lancée.

Le troisième défi consiste à ancrer notre politique industrielle dans chaque territoire. C’est ce que nous faisons au travers de l’initiative « Territoires d’industrie », portée par les ministères de l’économie et de la cohésion des territoires. Le Premier ministre a lancé une réflexion pour préparer la mise en œuvre opérationnelle de cette initiative.

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