Intervention de Pierre-Yves Collombat

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 3 octobre 2018 à 9h15
Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice et projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions — Examen du rapport et des textes proposés par la commission

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

L'arrière-fond budgétaire reste une préoccupation essentielle dans ce débat. Nous sommes classés parmi les tout derniers en Europe en matière de budget de la justice par habitant et de nombre de juges par habitant. Comme d'autres avant lui, ce texte prétend répondre à la question sans changer en réalité la trajectoire sur laquelle nous sommes.

Autre dérive de long terme, mais moins visible, nous sommes en train de perdre le sens de ce qu'est la justice, à savoir le rétablissement de l'ordre public qui permet à une société de fonctionner. C'était la conception des Grecs, c'était aussi celle de l'ordre du ciel des Chinois. Désormais, la justice est vouée à être une sorte de transport en commun, un service social parmi d'autres. Et pour le rendre efficace, il faut viser d'abord et essentiellement le meilleur rapport qualité-prix, en insistant surtout sur le prix, seul critère que l'on sait mesurer. D'où les évolutions auxquelles nous assistons, avec un parquet qui prend de plus en plus de place et des juges du siège qui en occupent de moins en moins. On réduit la place des jurys populaires alors qu'ils rattachaient la justice à ce qui fonde sa légitimité. Mais bien sûr, ils coûtaient trop cher. Automatisation, médiation, dématérialisation, privatisation... Tout cela vise à multiplier les jugements en se dispensant de la présence des juges. La dérive est calamiteuse. Sur le fond, personne ne s'y retrouve.

Il faudrait aussi parler de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). J'y étais initialement opposé, mais le système ne fonctionne pas si mal, sur des délits ciblés correspondant à des peines légères sans contestation sur l'effectivité du délit ni du coupable. Or on décide de le changer, aux seules fins de donner des pouvoirs nouveaux au procureur et de régler les problèmes par la médiation et le bargaining.

Autre point important, l'idée de spécialisation, qui n'est rien d'autre qu'une sournoiserie. Le premier président de la cour d'appel et le procureur général pourront décider de spécialiser les tribunaux de grande instance, là où il y en aura plusieurs. Devinez ce qui se passera : mystérieusement, on découvrira que les spécialités les plus intéressantes seront là où il y a le plus de monde...

Quant aux tribunaux d'instance, on nous dit que tout restera en place, mais il y aura quand même des spécialisations. Ce n'est pas clair.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion