Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 octobre 2018 à 9h15
Subsidiarité — Proposition de la task force « subsidiarité » : communication de m. jean bizet

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Mes chers collègues, la Commission européenne a présenté, le 10 juillet dernier, les conclusions de la task force « Subsidiarité et proportionnalité ». Ce groupe de travail, mis en place au début de l'année, était composé de six membres : trois représentants des parlements nationaux désignés par la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) et trois représentants du Comité des régions. Malgré les demandes du président du Sénat, on n'a pu « élargir » ce groupe de travail extrêmement restreint.

Il était présidé par M. Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne. Trois missions lui avaient été assignées :

- déterminer si les procédures mises en place en matière de subsidiarité fonctionnent et envisager d'éventuels aménagements ;

- définir les domaines où l'Union européenne doit intervenir et ceux où elle doit laisser la place à l'échelon national et régional ;

- mieux associer les autorités régionales et locales au processus législatif européen.

Les résultats de ses travaux seront intégrés dans la contribution de la Commission européenne au Conseil européen qui aura lieu en mai 2019 à Sibiu, en Roumanie.

Nous avions détaillé ici même, avec Philippe Bonnecarrère et Simon Sutour, en mars dernier, une contribution à ces travaux, que nous avions ensuite présentée à Frans Timmermans. Nous y appelions à la fois à un changement de méthode, en augmentant les délais d'examen des textes par les parlements nationaux par exemple, mais aussi à une nouvelle approche, plus pragmatique, de la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres.

Les conclusions de la task force rejoignent dans l'ensemble nos préconisations. L'Union européenne doit adopter une nouvelle méthode de travail destinée à mettre en oeuvre ce que la task force appelle une « subsidiarité active ». Neuf propositions sont déclinées en ce sens.

S'agissant de la méthode, la task force préconise une application souple du délai d'examen par les parlements nationaux, fixé à huit semaines par le traité de Lisbonne.

Il s'agit de mieux prendre en compte les périodes de suspension des travaux parlementaires. Dans le même temps, la Commission européenne est invitée à émettre ses observations aux avis motivés dans un délai de huit semaines. La task force appelle, à terme, à une révision des traités afin que le délai atteigne douze semaines. Ce changement peut néanmoins apparaître périlleux.

Les membres de la task force concluent, comme nous l'avions demandé, à la mise à disposition par la Commission européenne de manière exhaustive et en temps opportun des informations sur les textes pour lesquels un problème de subsidiarité a été soulevé. Ils insistent également sur la nécessité pour la Commission européenne de mieux justifier son intervention, en prenant notamment en compte l'impact pour les territoires. Nous avons régulièrement souligné ici, en particulier dans le domaine de la gestion des déchets, l'absence de réflexion sur les conséquences des propositions de la Commission européenne au niveau local. On a d'ailleurs vu ce que cela a donné.

Plus largement, la task force souhaite que le Conseil et le Parlement européen intègrent dans leur réflexion les avis émis au titre de la subsidiarité par les parlements nationaux et les autorités locales et régionales disposant de pouvoirs législatifs. Une telle évolution irait en effet incontestablement dans le bon sens et contribuerait à valoriser le travail des parlements nationaux, quand bien même le seuil d'un tiers des parlements nationaux n'est pas atteint.

La task force souhaite également que l'évaluation de la législation européenne existante, via la plateforme REFIT, intègre une dimension subsidiarité et proportionnalité. Nous ne pouvons qu'appuyer une telle orientation, tant elle participe de l'effort de simplification du droit européen que nous appelons régulièrement de nos voeux.

Je suis plus réservé sur le souhait de la task force de mettre en place une grille d'évaluation commune pour évaluer le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. L'analyse effectuée par les parlements nationaux ne saurait se limiter à une étude des objectifs poursuivis ni se fonder sur une liste de critères préalablement définis et communs à tous les États membres. Une telle grille limiterait notre capacité d'interprétation et ne permettrait sans doute pas de prendre pleinement en compte nos spécificités dans l'analyse d'une proposition de la Commission européenne.

En ce qui concerne la répartition des compétences au sein de l'Union européenne, la task force ne propose pas une vision figée et rejoint l'approche pragmatique que nous défendons ici. Elle appelle ainsi la prochaine Commission européenne à une réorientation de ses travaux dans certains domaines en vue de parvenir à une mise en oeuvre plus efficace de sa législation, en particulier dans les domaines du marché unique, des services financiers ou de l'environnement, au lieu d'élaborer de nouveaux actes législatifs. Je vous renvoie à ce qu'a fait Jean-Claude Juncker en accédant à ses fonctions, mettant environ 80 textes « de côté » - pour ne pas dire au panier.

Là encore, nous ne pouvons que souscrire à une rationalisation de l'action de l'Union européenne. Avec l'irruption du Brexit, on a vu l'importance de la réalité de la situation, le marché unique constituant le premier marché économique mondial. Je me réjouis du fait que l'unité des Vingt-Sept sur ce plan n'a fait défaut à aucun moment jusqu'à présent.

Je relève que la task force souhaite que l'Union européenne hiérarchise ses activités en fonction des priorités, ciblant notamment les questions de la sécurité, de la défense ou des migrations. Notre rapport concluait également à la nécessité pour l'Union européenne d'agir afin de donner corps au principe d'Europe puissance. Les Européens que nous sommes n'ont pas conscience de la puissance de l'Europe. Je remarque que de l'autre côté de l'Atlantique, ou du côté de Moscou, on ne cesse de prodiguer un certain nombre de conseils pour le fonctionnement de l'Europe, mais pas dans le sens que nous souhaitons.

Si les grandes lignes du rapport de la task force peuvent donc apparaître satisfaisantes, je regrette qu'elle n'ait pas pris position sur la question des actes délégués et d'exécution. Notre position en la matière est connue : il n'est pas logique que des actes qui constituent des compléments des actes législatifs ne soient pas transmis aux parlements nationaux aux fins de contrôle.

Le contrôle de subsidiarité opéré par les parlements nationaux n'est donc, in fine, que partiel. Il n'est, à l'heure actuelle, possible que sur les projets d'actes législatifs qui prévoient le recours à ce type d'acte. Il n'en demeure pas moins que le contrôle s'opère alors seulement sur l'intention de recourir à ces actes et non sur leur contenu, par essence non disponible.

En dehors de la question du délai d'examen, la task force a, par ailleurs, soigneusement évité toute relecture du protocole numéro 2 annexé au traité de Lisbonne qui encadre la procédure d'examen des textes au titre de la subsidiarité. La crainte d'en passer par une révision des traités semble avoir limité toute ambition. On peut le comprendre, mais une solution plus souple aurait pu être envisagée, comme nous l'avions indiqué dans notre rapport. Nous appelions ainsi de nos voeux l'élaboration d'une déclaration commune dans le cadre de la COSAC, aux termes de laquelle la Commission européenne s'engagerait à réexaminer les textes dès qu'un seuil minimal, plus réduit que celui fixé par le protocole numéro 2, serait atteint. Je me souviens que nous avons interpelé Frans Timmermans à ce sujet : il ne nous a pas entendus.

Ce texte prévoirait également une nouvelle transmission des textes dès lors qu'ils auraient fait l'objet de modifications substantielles lors des négociations. Ce type de procédure informelle ne constitue pas une nouveauté. Elle pourrait donner corps à des propositions abordées au cours des travaux de la task force, ce qui permettrait de donner encore plus de sens à l'examen par les parlements nationaux des textes au regard de la subsidiarité. J'ai en effet souvent constaté, lors de trilogues, que le texte de sortie est très différent du texte d'origine. C'est alors qu'il nous échappe.

Il est en effet possible de s'interroger sur l'efficacité d'un dispositif qui nécessite actuellement l'adoption d'avis motivés par un tiers des parlements nationaux pour généralement aboutir à un simple réexamen du texte. Ces avis motivés ne visent par ailleurs que les propositions de la Commission européenne et en aucune manière les compromis issus des négociations entre les colégislateurs.

Je vous rappelle qu'en octobre 2015, notre commission a ainsi été conduite à adopter un avis politique, transmis directement à la Commission européenne, pour relever que le projet de règlement relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne, présenté en avril 2014 et largement amendé ensuite au Conseil, ne respectait pas le principe de subsidiarité. Il aurait été pertinent que les parlements nationaux puissent coordonner leurs actions visant ce projet dans le cadre prévu pour la subsidiarité, dès lors que nos arguments relevaient d'un contrôle de cette nature.

J'ai adressé un courrier à Frans Timmermans rappelant tout ceci. On pourra vous le communiquer. Je suis assez déçu de l'attention qu'on a accordée au Sénat sur ce plan.

En second lieu, on tente, dans ce dossier, de mettre en relation les institutions européennes, les 41 parlements nationaux, les instances régionales et les 80 000 collectivités locales de l'Union européenne.

Je souhaiterais que le président du Sénat recueille, sur certains textes présentés par la Commission européenne, les commentaires du président des régions de France, voire des présidents de l'AMF et de l'ADF. C'est pourquoi le délai imparti de huit semaines me paraît un peu court.

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