Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 octobre 2018 à 9h15
Politique commerciale — Extraterritorialité des sanctions américaines : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de m. philippe bonnecarrère

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere, rapporteur :

La proposition de résolution comprend trois parties. Je qualifierai la première de réponse technique et juridique par rapport aux sanctions extraterritoriales.

Une deuxième partie concerne les décisions à même de renforcer le rôle international de l'euro. Il s'agit de tout ce que vous avez expliqué les uns les autres sur le fait qu'il existe en fin de compte un problème quant au rôle de l'euro.

La troisième partie est la partie purement politique, qui a fait l'objet de plusieurs interventions. Nous vous proposons de considérer que ce sujet politique doit faire partie des débats sur la gouvernance mondiale, lors des réunions du G20 ou du G7, et que l'on doit clairement aborder avec les États-Unis le fait qu'on est soit dans la catégorie des ennemis, des « foes », pour reprendre la formule de M. Trump, soit dans un partenariat commercial, équitable et équilibré.

Avec ces trois parties, nous avons en quelque sorte anticipé vos avis.

Je vous propose une première modification technique au point 17. Selon moi, la rédaction peut être précisée quant à la vocation de cette plateforme comptable, qui n'est pas d'assurer les transactions commerciales. Ce n'est pas une bourse d'échanges commerciaux, et les flux financiers ne vont pas passer par celle-ci.

Second élément : même si la question se pose aujourd'hui au sujet des sanctions à l'égard de l'Iran, malgré le JCPoA et l'accord avec l'Iran, cet outil doit pouvoir fonctionner pour d'autres pays avec, en arrière-plan, la question russe. On ne sait en effet pas de quoi l'avenir sera fait.

Je propose de rédiger les choses ainsi : « juge nécessaire de mettre en oeuvre rapidement, en concertation avec les pays intéressés, une plateforme autonome permettant de comptabiliser les produits d'échanges commerciaux avec l'Iran ou d'autres pays sous sanctions américaines ».

Arrêtons-nous quelques instants sur cette notion de comptabilisation et sur la rusticité du système. L'idée n'est pas de créer une banque, car on retomberait alors sur les problèmes de SWIFT - sanctions, etc. - ni même de disposer d'une plateforme d'échanges commerciaux qui serait immédiatement attaquée, mais d'enregistrer les plus et les moins. C'est là l'intérêt de l'idée.

Cette plateforme est un véhicule ad hoc d'enregistrement comptable des échanges : lorsque l'Iran vendra du pétrole à la Chine ou à l'Inde, des « plus » viendront s'inscrire au crédit de l'Iran. Lorsque des entreprises européennes fourniront des produits aux iraniens, des « moins » apparaîtront dans la partie européenne. La compensation in fine se fera entre la Chine - ou l'Inde et les opérateurs européens.

Très concrètement, pour reprendre l'exemple de l'entreprise alsacienne utilisé par M. Reichardt, il existe deux situations.

Première situation : cette entreprise alsacienne souhaite travailler avec l'Iran sur des secteurs non soumis à sanctions - médicaments, produits agricoles. Le problème de l'entreprise est de trouver une banque française qui accepte de réaliser les opérations. Juridiquement, rien n'interdit à une banque, pour des éléments qui ne sont pas sous sanctions américaines, d'assurer l'opération.

Toutefois, à un certain moment, la banque ne pourra matérialiser l'opération. Il faut un mouvement monétaire entre la banque française et la banque iranienne. Toutes les banques iraniennes sont aujourd'hui blacklistées et vont probablement être déconnectées de SWIFT. Pour que cela fonctionne, il faut qu'au moins une banque iranienne reste connectée à SWIFT, afin que la banque française, dans un domaine qui n'est pas sous sanctions américaines, puisse réaliser l'opération.

Ceci se traduit, pour ce premier volet, par un point 18 bis, que je vous propose d'ajouter, qui serait rédigé ainsi : « ... demande que, pour les secteurs à caractère humanitaire non soumis à sanctions, une banque iranienne reste connectée au système SWIFT ». Cette demande, monsieur Reichardt, répond bien à votre préoccupation, mais elle correspond à une situation qui a historiquement existé. En effet, lors de la mise en place des précédentes sanctions, une banque iranienne, dont j'ai oublié le nom, était restée connectée à SWIFT.

Second argument : politiquement, il faut tenir compte de la situation dans laquelle se placent les États-Unis. Imaginons que, demain, les produits agricoles ne puissent être livrés et que s'ensuivent des problèmes alimentaires en Iran. Il va être compliqué pour les États-Unis d'assumer des images télévisées de personnes frappées de malnutrition. Ce n'est pas ce qui va conduire les Iraniens à donner raison aux Américains : au contraire, ils vont se souder davantage encore. Imaginez une crise sanitaire en Iran : le résultat politique sera exactement inverse de celui qu'attendent les États-Unis.

Il peut y avoir, sans être angélique, un intérêt à conserver une banque iranienne dans le dispositif pour permettre à ce canal humanitaire de fonctionner.

En outre, selon l'argumentation américaine, la corruption serait partout présente en Iran. Ne plus permettre aux opérations d'emprunter un circuit bancaire favorise la clandestinité et vient accroître les problèmes financiers. L'idée d'un canal humanitaire est donc assez adaptée.

Pour en revenir à l'entreprise alsacienne qui produit des équipements qui, hors canal humanitaire, vont servir à la fabrication de vannes pour le gaz, de machines-outils ou des tracteurs, nous proposons deux éléments de réponse. En premier lieu, je proposerai une légère modification du point 18 : « ... demande le renforcement de certaines dispositions du règlement ». En clair, il s'agit de savoir comment traiter la question du responsable, puisqu'on prévoit la possibilité de demander des dommages et intérêts, mais sans préciser les conditions dans lesquelles cela pourrait se faire et à l'égard de qui.

Enfin, dans ce dernier cas, la rusticité de la plateforme constitue une réponse : l'entreprise qui va par exemple livrer des machines-outils en Iran ne sera pas payée par les Iraniens. Il s'agira d'une transaction avec une livraison en Iran, mais la transaction commerciale et financière sera réalisée avec, par exemple, les Chinois. L'opération financière se fera sous forme d'un mouvement d'une banque chinoise vers une banque française, en euros ou autres, ce qui est parfaitement régulier.

L'opération se soldera au bout du compte par un plus pour l'un et un moins pour l'autre, sur le compte ouvert sur cette plateforme pour l'Iran. C'est l'Iran qui dira à l'entreprise chinoise qu'elle a besoin de machines-outils alsaciennes avec les crédits ouverts sur la plateforme. L'entreprise sera donc payée par une entreprise chinoise.

On déconnecte les flux financiers de notre opération. On a en commun une ardoise sur laquelle on met les plus et les moins, où les flux financiers passent normalement.

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