Intervention de Olivier Henno

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 octobre 2018 à 8h30
Proposition de loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Olivier HennoOlivier Henno, rapporteur :

C'est avec une fierté particulière que je présente le rapport sur la proposition de loi de Mme Jocelyne Guidez, fruit de son rapport de janvier dernier sur un texte ouvrant le don de jours de congés payés entre salariés, en faveur de proches aidants.

Un récent sondage le montre, cette question est une préoccupation largement partagée dans l'opinion publique : 40 % des Français ont entendu parler de la notion de proche aidant, en progression de quinze points par rapport à 2015 ; 23 % des sondés se disent aidants eux-mêmes, en hausse de six points ; 57 % des aidants déclarent s'occuper de proches en situation de dépendance due à la vieillesse, une augmentation de huit points ; et 31 % des aidants négligent leur propre santé et sont victimes de stress, de manque de sommeil, de douleurs physiques.

Le texte que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans la lignée d'un engagement parlementaire constant et indifférent aux clivages politiques. Il succède à la proposition de loi de notre collègue député Paul Christophe, devenue la loi du 13 février 2018, et à la proposition de loi de notre collègue député Pierre Dharréville. Ces textes ont pour préoccupation principale l'amélioration des conditions de vie des personnes dites proches aidants qui consacrent une partie de leur temps au soutien d'un proche, dont la perte d'autonomie rend nécessaire un accompagnement de tous les instants.

Il s'agit d'un public divers, discret et difficile à répartir en catégories nettes : c'est autant l'époux âgé qui soutient son conjoint, l'enfant qui accompagne son parent vieillissant dans la perte d'autonomie que le parent contraint de suspendre son activité pour s'occuper d'un enfant en situation de handicap.

On a d'autant plus de mal à les saisir qu'eux-mêmes mettent un point d'honneur à échapper à nos regards. Apportant à leurs proches le soutien sans faille que commande la simple solidarité du foyer, ils ne demandent pas de statut, de revenu ou de droits. Seulement que la société reconnaisse que, même si elle leur est naturelle, leur action ne va pas sans sacrifice.

Le rapport de Jocelyne Guidez avait dressé le panorama de la reconnaissance sociale de l'aidant, grande oeuvre inachevée, et la présente proposition de loi, au terme d'un long travail de préparation et d'auditions, s'emploie à combler les nombreuses lacunes de cette reconnaissance.

Le principal apport concerne l'indemnisation du congé de proche aidant. Cette mesure bienvenue ne pouvait plus attendre : une avancée sociale qui autorise le salarié à interrompre son activité professionnelle pour s'occuper à plein temps d'un proche sans aucune indemnité est évidemment insuffisante... Du reste, le taux de recours à ce dispositif est très faible.

La proposition de loi prévoit par ailleurs une réaffirmation des droits sociaux des proches aidants, en harmonisant les règles de majoration de durée d'assurance et d'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général. Il s'agit surtout de corriger les iniquités et disparités entre aidants, selon que la personne aidée est atteinte d'une perte d'autonomie liée à l'âge ou à un handicap.

Le texte comporte aussi une avancée importante en matière d'information et de reconnaissance de l'aidant comme un acteur majeur de l'accompagnement de la dépendance.

Les modifications que je propose touchent essentiellement la mesure principale : la création de l'indemnité du congé de proche aidant.

Voilà maintenant près de trois ans que le congé de proche aidant a été créé par la loi portant adaptation de la société au vieillissement, distinguant pour la première fois les droits ouverts aux aidants du régime juridique applicable aux personnes accompagnant des proches en fin de vie. Le congé de proche aidant a donc rejoint le congé de présence parentale et le congé de solidarité familiale au rang des congés sociaux. Contrairement aux deux derniers, il n'ouvrait cependant aucun droit à indemnité, diminuant fortement l'incitation à y prétendre.

L'article 2 de la proposition de loi prévoit l'instauration d'une indemnité, dont le financement repose sur un principe original et innovant : le droit de tirage de l'employeur sur un fonds spécifique alimenté par une surcote portée à un niveau maximal de 1,7 % sur les primes de produits assurantiels. Nous en attendons un produit d'environ 200 millions d'euros, largement susceptible d'absorber le recours escompté.

Voilà qui, en première analyse, peut paraître incongru. Mais, à bien y réfléchir, nous examinons là un précurseur de ce que la réforme de la dépendance annonce sans le dire clairement, à savoir la mobilisation de ressources privées pour le financement du grand âge. Pour ma part, j'y souscris pleinement.

Les modifications que je vous propose d'apporter à ce dispositif sont de plusieurs ordres. Premièrement, il me semble préférable de calquer le financement de l'indemnité de proche aidant sur celui de l'allocation journalière de présence parentale, essentiellement dans un but de clarification et de simplification. Les publics de ces deux indemnités n'étant pas confondus, le risque de doublon se trouve donc écarté. Par ailleurs, je vous propose de circonscrire précisément la source du financement de cette indemnité, en la limitant aux encours des contrats de retraite professionnelle supplémentaire.

Un point me paraît capital. L'indemnité de proche aidant créée par cette proposition de loi ne doit pas se limiter au dédommagement d'une interruption d'activité professionnelle. Elle est symptomatique d'un véritable changement dans l'accompagnement de la dépendance.

Alors que les pouvoirs publics font la promotion active du virage inclusif, de la désinstitutionalisation de l'accompagnement et d'un maintien à domicile prolongé le plus longtemps possible, les financements indemnisant ces nouvelles formes de soutien à la dépendance ont pleinement vocation à se substituer à long terme au suivi médicalisé en établissement médico-social, dont il nous faut dépasser le modèle. C'est vers ces financements indemnitaires, concentrés sur l'aide humaine, qu'il nous faut aller, et non plus vers les financements forfaitaires de structures hyper-médicales, où la forme que prend l'aidant n'est plus que celle du soignant.

D'autres modifications vous seront proposées. J'en cite trois : à l'article 1er, la précision du champ obligatoire de la négociation collective en entreprise, qui devra intégrer la conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle de l'aidant ; à l'article 4, les modalités d'harmonisation d'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général de tous les proches aidants, quelle que soit la personne qu'ils accompagnent ou leur statut professionnel lorsqu'ils ont choisi d'interrompre leur activité ; enfin, à l'article 6, j'apporterai d'importantes modifications à l'information et à la reconnaissance de l'aidant par les traitements et systèmes d'informations de santé existants.

Aujourd'hui, l'autre grande difficulté, à laquelle les proches aidants se trouvent confrontés, concerne leur prise en considération par les professionnels de santé qui interviennent auprès de la personne aidée dans le cadre de son parcours de soins et de vie. L'article 6, enrichi des modifications que je vous propose, a vocation à permettre ce dialogue, tout en garantissant à l'aidant comme à l'aidé l'exercice de leur consentement mutuel. Je propose notamment qu'à titre dérogatoire la carte vitale de la personne aidée puisse contenir des informations nominatives relatives à son aidant. Par ailleurs, je propose de faciliter pour la personne aidée les modalités selon lesquelles elle peut nommer une personne de confiance, sans avoir à être hospitalisée ou accueillie en structure médico-sociale.

Vous le voyez, ce texte fait preuve d'une grande ambition.

Pour autant, malgré les indéniables avancées qu'il annonce, rien ne nous assure de sa prospérité. Permettez-moi à cet égard de vous faire part du profond étonnement que j'ai ressenti au fur et à mesure que se déroulaient mes auditions. Les principaux acteurs publics concernés par le sujet, dont les cabinets des deux ministres compétents, ont manifesté leur assentiment, voire leur enthousiasme, quant au contenu de la proposition de loi. Ils ont cependant réservé leur accord, au motif que sa potentielle adoption contrarierait le calendrier et le contenu des réformes d'ampleur annoncées par le Gouvernement pour l'année à venir et dont notre commission aura à connaître.

Nos intentions sont donc indéniablement partagées, mais nous sommes poliment invités à les contenir...

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