Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui l'édition 2018 de notre rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Ce rapport est établi chaque année dans le cadre de la mission d'assistance de la Cour des comptes au Parlement et au Gouvernement. Il accompagne aujourd'hui le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, qui est présenté aujourd'hui en Conseil des ministres et sera examiné sous peu par votre commission.
Institution-clé sur laquelle reposent la solidarité et la cohésion nationales, la sécurité sociale connaît depuis de trop nombreuses années une situation financière fragilisée. Les travaux que nous publions nous conduisent année après année à analyser la trajectoire des comptes sociaux et à formuler des recommandations pour parvenir à un équilibre durable de la sécurité sociale. C'est à cet exercice que nous nous sommes livrés cette année encore.
Le rapport que nous vous présentons formule trois constats. Tout d'abord, la sécurité sociale renoue - ou va renouer - avec l'équilibre financier, mais sa trajectoire financière doit être pilotée fermement afin d'inscrire cet équilibre fragile dans la durée. Deuxièmement, pour que cet équilibre soit durable, il convient de mobiliser beaucoup plus activement les marges d'efficience que recèle notre système de santé. Notre rapport fournit à cet égard plusieurs illustrations. Enfin, l'organisation et le fonctionnement de la sécurité sociale comportent en eux-mêmes d'importantes marges de progrès. La Cour en a, cette année encore, identifié quelques-unes.
Au travers de ces trois constats, la Cour exprime un message simple : pour que le retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale soit durable, il est nécessaire de remédier aux fragilités qui perdurent dans notre système de protection sociale.
Je commencerai d'abord par l'appréciation que porte la Cour sur la situation financière de la sécurité sociale.
S'agissant du déficit de la sécurité sociale, la France revient de loin. Depuis les années 1990, la sécurité sociale a accumulé plus de 280 milliards d'euros de déficits. En 2010, au plus fort de la récession économique, le déficit de la sécurité sociale a atteint près de 30 milliards d'euros. Depuis 2011, il connaît une réduction continue.
L'année 2017 confirme cette tendance. Le déficit agrégé de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est ainsi établi à 4,8 milliards d'euros, contre 7 milliards d'euros en 2016.
La Cour salue cette évolution bienvenue. Elle met toutefois en lumière quatre points d'attention moins favorables. Tout d'abord, si le déficit de la sécurité sociale se réduit, sa résorption est très progressive. Ensuite, le déficit 2017 du régime général et du FSV, s'il est globalement conforme à la prévision actualisée de la loi de financement pour 2018, a dépassé de 1 milliard d'euros la prévision initiale de la loi de financement pour 2017. Troisième constat, il existe des écarts significatifs entre branches. Cette année encore, l'assurance maladie et les retraites ont enregistré des déficits, de 4,9 milliards d'euros pour l'assurance maladie et de 1,1 milliard d'euros pour la branche vieillesse et le FSV. Dernière préoccupation, et non la moindre : la baisse du déficit de la sécurité sociale en 2017 est essentiellement attribuable aux effets d'une conjoncture économique favorable sur les recettes.
Par conséquent, le déficit de la sécurité sociale pour 2017 conserve une part structurelle élevée, que la Cour évalue entre 3 et 4 milliards d'euros. Or, tant que la sécurité sociale n'aura pas atteint un équilibre à caractère structurel, elle ne connaîtra pas d'équilibre pérenne sur la durée des cycles économiques, dans lequel les déficits de certaines années provoqués par une dégradation de la conjoncture sont compensés par les excédents des années où celle-ci est plus faste. C'est le seul moyen d'éviter que ne se constitue une dette sociale durable.
Précisément, c'est ce que la France n'est pas parvenue à faire dans les années 2000 : les déficits structurels se sont accumulés en période de croissance et les prélèvements ont été accrus à la suite de la récession de 2009, ce qui a pesé sur la reprise de l'activité. En raison des déficits, la dette sociale a augmenté de façon ininterrompue jusqu'en 2014. En 2017, nos concitoyens ont acquitté plus de 15 milliards d'euros de prélèvements sociaux pour rembourser la dette sociale et en payer les intérêts.
J'en viens à 2018. Selon le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, présenté ce matin en conseil des ministres et dont les grandes lignes ont été annoncées le 25 septembre dernier, le déficit de la sécurité sociale atteindrait 1 milliard d'euros en 2018, soit une baisse de 1,2 milliard d'euros par rapport à la prévision de la loi de financement pour 2018. Cette nouvelle prévision prend en compte une accélération des dépenses sociales de 2,4 % et se fonde sur l'hypothèse d'une masse salariale aussi dynamique en 2018 qu'en 2017, c'est-à-dire en hausse de 3,5 %, malgré le ralentissement de la croissance économique.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit par ailleurs un retour à l'équilibre de la sécurité sociale en 2019, avec un léger excédent de 700 millions d'euros pour le régime général et le FSV.
On ne peut bien sûr que se réjouir de cette embellie, qui constitue une première depuis 2001. Mais, là-encore, elle doit être nuancée. L'assurance maladie conserverait en effet un déficit, certes ramené de 4,9 milliards d'euros en 2017 à 500 millions d'euros. Pour sa part, le déficit des retraites, FSV compris, se maintiendrait à 1,1 milliard d'euros.
Pour 2019 et les années suivantes, le Gouvernement indique vouloir réaliser trois objectifs concomitants : maintenir la sécurité sociale à l'équilibre, rééquilibrer ses relations avec l'État en faveur de ce dernier et éteindre la dette sociale maintenue à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).
Ces objectifs appellent deux remarques.
D'abord, s'agissant des relations financières entre l'État et la sécurité sociale, comme la Cour l'a relevé l'an dernier, le redressement financier de la sécurité sociale a été principalement assuré par des hausses de prélèvements, ainsi que par la surcompensation par l'État du coût des allègements généraux de cotisations. Selon le projet de loi de financement pour 2019, cette situation évoluerait. Ainsi, les nouvelles baisses de prélèvements - pour ceux qui sont affectés à la sécurité sociale - seraient supportées par celle-ci. En outre, le coût de la transformation du CICE en allègements généraux de cotisations serait partagé entre l'État et la sécurité sociale.
S'agissant de la dette sociale, la Cour ne peut que souscrire à l'objectif d'une extinction complète. Cette dette s'est accumulée du fait des déficits enregistrés depuis les années 1990. Depuis 2015, la réduction continue du déficit de la sécurité sociale et les excédents croissants de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) conduisent à la réduire chaque année de plus en plus, de près de 15 milliards d'euros en 2017.
Selon les prévisions, la Cades achèvera en 2024 de rembourser les 260,5 milliards d'euros de dette sociale qui lui ont été transférés depuis 1996.
Au-delà, le projet de loi de financement pour 2019 engage le remboursement des 23,4 milliards d'euros de dette financés par l'Acoss par des emprunts à court terme exposés au risque d'une remontée des taux d'intérêt. Il prévoit ainsi de réaffecter 5 milliards d'euros de recettes de CSG à la Cades entre 2020 et 2022 afin de lui permettre de reprendre au plus 15 milliards d'euros de dette. Les 8 milliards d'euros restants seraient amortis par les excédents du régime général et du FSV. Les transferts financiers vers la Cades et l'État viendraient contenir ces mêmes excédents aux alentours de 1 milliard d'euros à partir de 2020.
Vous l'aurez compris, la réalisation simultanée des trois objectifs annoncés par le Gouvernement est très tributaire de l'évolution de la conjoncture économique. Elle nécessitera un pilotage ferme de la trajectoire financière de la sécurité sociale et des efforts de maîtrise des dépenses dans la durée.
J'en viens à présent au second message formulé par la Cour : pour que le retour de la sécurité sociale à l'équilibre soit durable, il convient d'agir sur la situation dégradée de l'assurance maladie.
En dehors du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale que je vous présente aujourd'hui, la Cour a fréquemment l'occasion de travailler avec votre commission sur des questions de santé - comme sur beaucoup d'autres - et je m'en réjouis. En application de l'article LO. 132-3-1 du code des juridictions financières, elle lui communiquera ainsi à la fin de cette année un rapport sur les centres hospitaliers universitaires (CHU).
Pour la huitième année consécutive, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été respecté en 2017. Ces dépenses ont progressé de 2,3 %. Comme en 2015 et 2016, on observe toutefois un dépassement de l'enveloppe prévisionnelle de soins de ville, qui a atteint 600 millions d'euros.
À la différence des années précédentes, ce dépassement a été pour partie compensé par un fort ralentissement de l'activité hospitalière. Cette moindre activité, qui n'avait pas été anticipée, a contribué au respect de l'Ondam. Mais elle a un revers. En effet, les tarifs hospitaliers ont été fixés en fonction d'une prévision d'augmentation du volume d'activité des établissements de santé. Le fait que cette hausse ne se soit que partiellement produite a conduit à porter le déficit des hôpitaux publics de 439 millions d'euros en 2016 à 835 millions d'euros en 2017 pour leur budget principal.
Malgré le desserrement de l'Ondam à 2,3 % en 2018, puis à 2,5 % en 2019, afin d'accompagner le plan « Ma santé 2022 », l'objectif sera difficile à tenir. En effet, le cumul des augmentations de rémunérations accordées aux acteurs du système de santé - professionnels libéraux, établissements, fonctionnaires hospitaliers, fabricants de produits de santé - pèse sur l'évolution tendancielle des dépenses financées par l'assurance maladie.
Il résulte de ce que je viens de vous exposer qu'il est indispensable d'établir de manière plus rigoureuse les prévisions d'évolution tendancielle des dépenses et celles des économies nécessaires à la réalisation de l'objectif de dépenses. Ensuite, en cours d'année, il est nécessaire de mettre à contribution l'ensemble des secteurs de soins pour assurer la tenue de l'objectif de dépenses, y compris les soins de ville qui en ont été exemptés à ce jour. La Cour préconise ainsi d'instaurer une réserve prudentielle pour les dépenses de soins de ville, comme c'est déjà le cas pour les établissements de santé et les établissements médico-sociaux.
Au-delà du cadrage annuel des dépenses d'assurance maladie, c'est sur la structure même de notre système de santé qu'il faut agir. À cet égard, la Cour s'est livrée dans ce rapport à un exercice particulièrement riche de comparaison des évolutions récentes des systèmes de santé et de prise en charge des dépenses qui sont intervenues dans huit pays européens.
Plusieurs d'entre ces pays, tout particulièrement ceux affectés par la crise des dettes souveraines, ont été contraints de réduire la prise en charge publique des dépenses de santé. Malgré une conjoncture dégradée, la France ne s'est pas engagée dans cette voie : la part des dépenses de santé socialisée par l'assurance maladie équivaut aujourd'hui globalement à celle de 2008.
Ce qui retient en revanche l'attention pour notre pays, c'est le fait que nos voisins ont réformé beaucoup plus en profondeur l'organisation des soins que nous ne l'avons fait. Ainsi, ils régulent plus fortement la médecine de ville en fonction d'objectifs de santé publique. Les médecins y prescrivent beaucoup plus souvent des médicaments génériques que chez nous. Souvent, le secteur hospitalier y a été restructuré plus en profondeur, qu'il s'agisse du nombre de lits ou de la hiérarchisation des missions des hôpitaux à l'échelle des territoires. Enfin, les données numériques de santé y sont souvent utilisées à grande échelle. En France, à l'inverse, la prescription électronique par les médecins en est encore à un stade expérimental et la généralisation du dossier médical partagé s'engage à peine.
En fait, ces comparaisons soulignent la nécessité d'améliorer l'efficience de notre système de santé afin d'assurer sa soutenabilité sur le long terme. Pour cela, plusieurs leviers doivent être activement mobilisés. Je vais en présenter quatre.
À l'évidence, la prévention est le tout premier levier d'efficience de notre système de santé. Notre rapport développe ainsi le cas des maladies cardio-neurovasculaires. Ce sont des maladies qui s'étendent : 4,5 millions de malades chroniques aujourd'hui, 8 % de la population française en 2020. Pourtant, cette situation n'a rien d'inéluctable puisqu'il est possible d'agir sur leurs principaux déterminants : le tabac, l'alcool, la mauvaise alimentation et la sédentarité.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a ainsi programmé une forte augmentation du prix du tabac, portant de 6,80 € à 10 € le prix moyen du paquet de cigarettes entre 2017 et 2020. La première augmentation d'un euro, intervenue en mars 2018, a entraîné une forte baisse de la consommation de tabac : le signal-prix a eu des conséquences heureuses.
Il importe de mener à terme ces hausses de prix et d'agir avec la même détermination sur les autres habitudes de vie qui favorisent les maladies cardio-neurovasculaires. À cette fin, la Cour préconise notamment un relèvement des impôts sur les alcools et les boissons sucrées.
Le deuxième levier qu'il convient d'actionner est celui de la qualité et de la sécurité des soins. Il s'agit de privilégier le mode de prise en charge le plus adapté à la situation des patients.
À cet égard, le mode ambulatoire, quand il est médicalement justifié, a des bénéfices démontrés. Pourtant, le virage ambulatoire de notre système de santé est inégalement engagé. À l'hôpital, les prises en charge de jour, sans nuitées, ont beaucoup progressé en chirurgie, tout en conservant un important potentiel de développement. Faute d'incitations tarifaires en ce sens, elles stagnent en revanche en médecine. Par ailleurs, les conséquences du virage ambulatoire sur les capacités hospitalières en lits tardent à se manifester.
Quant au basculement des prises en charge de l'hôpital vers la ville, il achoppe sur l'atomisation des professionnels libéraux de santé. La croissance continue du recours aux urgences - plus de 21 millions de passages en 2016, + 4 % chaque année environ - témoigne de l'ampleur de l'effort d'organisation des soins de ville à accomplir. Ce sujet est bien connu de votre commission.
Comme le montre le cas des maladies cardio-neurovasculaires, améliorer la qualité des prises en charge à l'hôpital, c'est aussi remédier à la fragmentation de l'offre de soins. La Cour recommande à ce titre d'unifier le régime des autorisations sanitaires, aujourd'hui dispersées, de fixer des seuils d'activité pour les nombreuses activités qui n'en ont pas encore, de relever les seuils quand ils sont trop bas et d'appliquer effectivement les autorisations et seuils fixés.
Le troisième levier d'évolution de notre système de santé est une structuration mieux assurée du premier recours aux soins. Le rapport examine cette année la situation de plus en plus problématique que présentent les soins visuels.
Dès à présent, la répartition inégale des ophtalmologues sur le territoire pénalise nombre de nos concitoyens pour obtenir une consultation dans un délai raisonnable. A organisation inchangée, ces difficultés d'accès aux soins vont s'accentuer.
Du fait des décisions de resserrement du numerus clausus et du nombre de places à l'internat qui ont été prises de la fin des années 1980 à 2010, le nombre d'ophtalmologues va beaucoup diminuer jusqu'en 2030. Avec l'augmentation de la population, la densité d'ophtalmologues va baisser encore davantage, de l'ordre de 20 % en moyenne. Le temps médical disponible par patient chutera encore plus.
Or, les réponses apportées à ce jour à cette pénurie croissante sont insuffisantes. La Cour préconise qu'à l'instar de ce qu'on voit dans d'autres pays, et notamment au Royaume-Uni, les orthoptistes et les opticiens, dont la démographie est dynamique, prennent davantage en charge une partie des tâches aujourd'hui assumées par les ophtalmologues.
Les orthoptistes pourraient ainsi assurer en toute autonomie les soins de premier recours, notamment les bilans visuels et les prescriptions d'équipements d'optique médicale. Les opticiens-lunetiers prescriraient des équipements d'optique en première intention, et non pas uniquement au titre de renouvellements.
Ces évolutions supposent bien entendu des garanties et des encadrements, notamment un approfondissement de la formation des professionnels concernés. Elles sont cependant capitales.
Le quatrième et dernier levier de modernisation de l'assurance maladie que présente ce rapport concerne la tarification de certains actes et biens de santé.
Pour s'en tenir aux soins visuels, la Cour relève un ensemble de surcoûts à remettre en cause, par exemple le niveau des prix des médicaments utilisés pour le traitement d'une pathologie répandue, la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) humide. Il est non moins impératif de réviser rapidement la nomenclature médicale des actes d'ophtalmologie pour prendre en compte les gains de productivité permis par le progrès des techniques.
Avant d'aborder la troisième et dernière partie de mon propos, je me permettrai une remarque supplémentaire s'agissant de l'avenir de notre système de santé. La plupart des orientations du plan « Ma santé 2022 », annoncé par la ministre des solidarités et de la santé, rejoignent des recommandations que la Cour a formulées dans de précédentes publications ou dans son rapport d'aujourd'hui. La Cour suivra avec attention la mise en oeuvre de ce plan - car, plus que le diagnostic, ce sont les actes qui comptent !
De manière générale, les faiblesses de notre système de santé et les évolutions qui permettraient d'y remédier font l'objet d'analyses convergentes. Vous les avez, pour beaucoup d'entre elles, également formulées dans vos travaux parlementaires. Et pourtant, les actes tardent depuis longtemps à venir.
Dans ses travaux - et ce rapport ne fait pas exception - la Cour souhaite ainsi exprimer une conviction forte : avant qu'il ne soit questions de moyens supplémentaires, c'est d'une refonte en profondeur de son organisation dont notre système de santé a besoin, au bénéfice de la prévention des accidents et des pathologies de santé et de la qualité des prises en charge.
J'achèverai mon propos sur un troisième et dernier constat, celui des marges de progrès qui demeurent dans l'organisation et le fonctionnement mêmes de la sécurité sociale. J'évoquerai successivement trois leviers qui sont présentés dans ce rapport : la réforme de la tarification des risques professionnels, l'utilisation de l'ensemble des apports de la déclaration sociale nominative et la réorganisation des missions des caisses de sécurité sociale de trois départements d'outre-mer.
S'agissant de l'amélioration de la santé au travail, la Cour a souhaité apporter sa contribution à la réflexion engagée par le Gouvernement et par le Parlement. Dans son rapport, elle s'est ainsi penchée sur la tarification des risques professionnels, c'est-à-dire la fixation annuelle des taux de cotisation d'accidents du travail et de maladies professionnelles que doivent appliquer les employeurs.
Les règles juridiques qui président à la fixation de ces taux de cotisation sont très complexes, et les processus de gestion qui concourent à les calculer et à les appliquer, particulièrement lourds. Pour autant, le mode de calcul des taux mutualise trop le financement des prestations imputables à des accidents du travail et à des maladies professionnelles, au détriment de leur prévention. La Cour invite par conséquent les pouvoirs publics à s'affranchir du statu quo et à fixer un cap clair en faveur de la prévention. Entre autres recommandations, elle préconise ainsi de relever fortement les taux de cotisation des entreprises dont la sinistralité est anormalement élevée dans leur propre secteur d'activité, de mutualiser le financement des maladies professionnelles différées au niveau des domaines d'activité concernés - et non plus dans le cadre interprofessionnel national - et de mettre fin aux avantages particuliers dont bénéficient certains secteurs.
Autre voie de progrès identifiée dans le cadre de ce rapport : la déclaration sociale nominative. La conception technique de cette déclaration mensuelle extraite des fichiers de paie et sa généralisation à l'ensemble des entreprises entre 2015 et 2017 ont été réalisées avec succès. Néanmoins, cet outil n'a pas encore tenu toutes ses promesses.
La Cour appelle ainsi à donner une nouvelle impulsion à ce chantier essentiel de modernisation. Il s'agit tout d'abord de rendre la DSN universelle, en lui intégrant les trois fonctions publiques ainsi que les déclarations qui en sont pour le moment restées à l'écart : déclarations sociales bien entendu, mais aussi fiscales, comme celle de la taxe sur les salaires.
Il s'agit aussi d'utiliser à grande échelle les données nominatives déclarées chaque mois par les employeurs afin d'améliorer le recours aux droits, d'assurer le paiement à bon droit des prestations et de lutter contre la fraude aux prélèvements et aux prestations.
J'aborderai en dernier lieu l'exercice de leurs missions par les caisses de sécurité sociale dans trois départements d'outre-mer : la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique.
Le contexte économique et social exigeant de ces trois départements pèse indéniablement sur les conditions d'exercice de leurs missions par les caisses générales de sécurité sociale (CGSS), spécifiques aux DOM, et par les caisses d'allocations familiales. Toutefois, au-delà de ce contexte, la Cour constate que les résultats de gestion ne sont pas au rendez-vous dans trois domaines clé : le recouvrement des prélèvements sociaux, la conformité des prestations versées aux règles de droit et, pour certaines caisses, les délais de paiement des prestations.
La Cour préconise non seulement la mise en oeuvre urgente de mesures de redressement, mais aussi une redéfinition des missions mêmes des caisses : recentrage des CGSS sur la gestion de prestations, création d'une Urssaf inter-régionale et mutualisations d'activités entre caisses, y compris avec les caisses métropolitaines. À l'évidence, une rationalisation des organisations internes s'impose également.
Pour conclure, je souhaite insister sur le fait que, si un retour prochain à l'équilibre financier de la sécurité sociale est désormais possible - pour la première fois depuis 2001 - ce redressement reste fragile et dépendant de la conjoncture économique. Il doit être un accélérateur de réformes et non l'inverse. Parvenir à un équilibre structurel et donc pérenne des finances sociales est indispensable pour éviter que ne se reconstitue une dette sociale au détriment des générations futures. Derrière l'aridité apparente des chiffres se cache en effet un enjeu essentiel dont vous êtes les garants : sauvegarder la fonction centrale de solidarité que remplissent les dépenses de sécurité sociale pour nos concitoyens.