Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 octobre 2018 à 8h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes sur le rapport annuel de la cour sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Le Gouvernement poursuit trois objectifs dans le PLFSS : maintenir la sécurité sociale à l'équilibre retrouvé, éteindre la dette sociale restée à l'Acoss, rééquilibrer les relations entre l'État et la sécurité sociale dans un sens plus favorable au premier. Dans le rapport de 2017 que vous avez cité, nous observions que les augmentations de prélèvements obligatoires depuis 2011 avaient été ciblées sur la sécurité sociale : 27 milliards d'euros entre 2011 et 2016. À cela s'ajoutaient une surcompensation d'allègements généraux de cotisations, 3 milliards à fin 2016. Car le gouvernement d'alors faisait du retour à l'équilibre de la sécurité sociale une priorité. Que la suite soit aujourd'hui un rééquilibrage des relations entre les deux peut se justifier - ce choix relève des politiques.

Le respect des objectifs est tributaire de la réalisation des prévisions de masse salariale et de croissance ; il exige un pilotage financier ferme et une maîtrise des dépenses en proportion des objectifs définis. En 2018, les deux derniers trimestres de 2018 devraient être meilleurs que les deux premiers et une croissance de 1,6 % est réalisable. Mais les incertitudes conjoncturelles, notamment au plan international, sont aujourd'hui plus élevées que dans le passé. Une réflexion s'impose donc sur les outils de pilotage financier de la sécurité sociale, afin que l'équilibre soit durable, au-delà des aléas de conjoncture et des réformes de structure. Nous avons recommandé de compléter le cadre rénové des relations financières État-sécurité sociale, en élaborant des modalités de traitement des variations conjoncturelles, et en renforçant l'encadrement des possibilités d'endettement de l'Acoss.

Soit l'État compense les variations de recettes en modulant ses transferts ; soit des fonds internes sont créés pour y loger les excédents conjoncturels dans le but de lisser les variations de cycles. Quelle que soit l'approche, nous estimons prudent de prévoir un mécanisme de lissage.

La taxe sur les salaires, soit 14 milliards d'euros de recettes, fait l'objet de trois préconisations de la Cour. Nous proposons de réviser le mode de calcul, soit en maintenant le barème progressif, mais au-delà du Smic, et avec un taux proportionnel au temps de travail ; soit en optant pour un taux unique. Nous proposons aussi de revoir l'assujettissement des établissements publics nationaux sans activité lucrative et des organismes de sécurité sociale, sous réserve d'une stricte neutralité financière, afin de remédier à la circularité de la taxe, car elle est en grande partie acquittée par des entités financées sur des fonds publics. Et nous proposons d'utiliser exclusivement la déclaration sociale nominative pour déclarer et payer la taxe. Le Gouvernement a annoncé qu'il répondrait sur ces points : je vous transmettrai ses conclusions.

L'endettement de l'Acoss s'établira à fin 2018 à 23,4 milliards d'euros. Lui faire porter une part si importante de l'endettement social crée une situation de risque, s'agissant d'emprunts à court terme, donc à forte exposition à la remontée des taux - et celle-ci est à présent entamée.

Le PLFSS interrompt l'augmentation de la dette sociale à l'Acoss, ce qui va plutôt dans le bon sens, et favorise le retour à l'équilibre des branches pour la première fois depuis 2001. Il réaffecte à la Cades des recettes de CSG, pour financer la reprise de 15 milliards de dette sans allonger la durée de vie de la caisse d'amortissement. Restent donc au sein de l'Acoss 8,4 milliards d'euros non transférés qui seront remboursés grâce aux excédents. Cela est gérable en conjoncture économique favorable. En cas de retournement, il faudrait sans doute revoir le dispositif.

M. Denis Morin, président de la 2ème chambre, Cour des comptes. - Sur la régulation infra-annuelle de l'Ondam, je veux indiquer qu'il y a eu différentes phases depuis 1996. L'objectif a été respecté en 1997, puis systématiquement dépassé en cours d'année, rebasé, dépassé à nouveau l'année suivante, et ce, jusqu'en 2010. Puis les gouvernements successifs ont considéré indispensable de respecter l'Ondam en cours d'exercice, pour la crédibilité financière du pays. Cependant, lorsque des dépassements ont été constatés sur la médecine de ville, ce sont les dotations au secteur hospitalier qui ont été gelées. Et la fixation des tarifs de la T2A a compris un coefficient prudentiel. Dans le rapport 2017, nous estimions nécessaire de modifier cette régulation, les déficits hospitaliers ayant atteint un record ; et d'inclure dans chaque sous-objectif des mécanismes de régulation. C'est évidemment plus difficile dans la médecine de ville, mais pas impossible ; il faut procéder profession de santé par profession de santé, par la négociation conventionnelle, avec des accords prix-volume. Il en existe déjà un pour les biologistes, il fonctionne bien et porte tout de même sur 25 milliards d'euros. Pour les généralistes, on pourrait parvenir à un résultat similaire en modulant la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) en fonction du respect du sous-objectif annuel de dépense. Il faudrait être capable de distinguer, au sein des soins de ville, une provision à débloquer lorsque le comité d'alerte se manifeste. Aux partenaires de négocier...

La trajectoire de la sécurité sociale dans les prochaines années dépendra bien sûr de la conjoncture. Passer d'un déficit de 8 milliards à un déficit de 30 milliards a pris deux ans ; mais il a fallu six ans pour faire le chemin inverse. C'est le jeu normal des stabilisateurs automatiques, dira-t-on : mais cela crée tout de même de la dette... Après 2024 et la fin de la Cades, comment gérera-t-on une éventuelle réapparition de déficits ? Pour l'instant, les relations entre l'État et la sécurité sociale ont fait l'objet d'une approche paramétrique. L'an dernier, le premier a apporté à la seconde un montant supérieur au déficit, et il préempte par une clause de retour à meilleure fortune une partie des excédents futurs potentiels (1,5 puis 3 puis 5 milliards). L'approche systémique a été employée une seule fois, dans la loi pour 1994, lorsqu'a été voté le principe de la compensation par l'État de tous les allègements de cotisations. Notons que la performance française s'apprécie en prenant en compte le budget de toutes les administrations publiques, et les vrais enjeux se situent dans le niveau global de déficit (plus ou moins 3 % de PIB), et de dette (plus ou moins 60 % du PIB).

M. Cardoux a évoqué un possible relèvement de la CRDS. Augmenter l'impôt est-il une bonne ou une mauvaise chose ? Il ne m'appartient pas de le dire. Le Gouvernement a déjà fait le choix d'un transfert à la Cades, et d'une affectation de CSG vers la caisse d'amortissement. Les 8 milliards qui restent à l'Acoss seront financés par les excédents, lesquels dépendent de la conjoncture. Il n'est pas prévu d'imposition supplémentaire pour absorber la dette résiduelle.

La présentation du plan « Ma santé 2022 » comprend une note sur les mises en réserve au titre de la gestion prudentielle. Diverses approches sont possibles, la nôtre et celle développée dans la présentation du plan sont convergentes. Au Gouvernement et à la Cnam de décider les modalités de mise en oeuvre...

Le panier de soins a subi l'impact de la crise depuis 2008 et nombre de pays ont eu plus de difficultés à se financer sur les marchés. Quant à l'Allemagne, elle a réduit le panier de soins et diminué la rémunération des acteurs de santé de 10 à 20 %, avec retour à meilleure fortune dans certains cas. La France a fait un choix différent, étendant le panier : peut-être la socialisation des dépenses de santé est-elle partie intégrante de notre pacte social ? La dépense a cependant cru de 700 millions d'euros, cela n'est pas négligeable pour l'assurance maladie.

Dans le rapport, nous évoquons l'insuffisance du nombre des ophtalmologues, elle a un impact sur l'accès aux soins, y compris de premier recours. « Ma santé 2022 » énonce la nécessité d'organiser la gradation des soins, la délégation de tâches, au-delà du traitement des pathologies oculaires, afin de dégager du temps de consultation pour les médecins. Dans certaines zones, les défaillances affectent jusqu'aux prises en charge d'urgence. Les disparités territoriales sont considérables.

Nous n'avons pas étudié dans ce rapport la politique familiale, mais nous y avions effectivement consacré l'an dernier deux chapitres très riches, avec des comparaisons internationales - nous en incluons de plus en plus fréquemment dans nos travaux, car elles sont éclairantes. Nous avons souligné combien les mesures de 2013, 2014, avaient resserré certaines prestations, renforçant l'équité de la redistribution. Nous analyserons dans l'avenir les mesures prises par l'actuelle ministre.

Nous aurons l'occasion d'y revenir avec un plus grand recul.

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