Intervention de Marylise Lebranchu

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 20 juin 2018 à 14h00
Audition de Mme Marylise Lebranchu ancien ministre

Marylise Lebranchu :

Je ne suis plus en fonction depuis plusieurs mois, mais je vais vous faire part de quelques faits marquants observés pendant trois ans et demi passés au gouvernement.

Nous avons une très bonne fonction publique, je l'ai réappris en étant ministre, mais celle-ci est extrêmement pyramidale. Ceux qui proposent les décisions aux politiques sont aussi ceux qui sont le plus loin des réalités de contact des citoyens et usagers des services publics. On avait fait le même constat pour les groupes privés : là aussi, celui qui prenait la direction était sans doute le plus éloigné du produit final sur le terrain. Cette fonction publique ne s'est par ailleurs pas située entre la décentralisation et l'Europe. Elle est également caractérisée par le poids prédominant de Bercy.

Nous avions décidé d'améliorer les règles applicables en matière de déontologie, de conflits d'intérêts ou de lanceurs d'alerte, avec des apports du Sénat.

On n'a pas réglé un problème quasi immatériel sur lequel il va falloir que vous trouviez des solutions matérielles, ce ne sera pas simple, surtout juridiquement parlant : c'est ce que j'appelle l'impossible réforme des grands corps.

Je peux vous livrer une anecdote, pour situer ce sujet. Faisant le tour des grands services, grandes directions, grandes administrations centrales, on constate que dans certaines administrations centrales, on manque de personnes pour prendre des postes de responsabilité : chef de service, directeur, etc. Je propose au président de la République, au cours d'un conseil des ministres, d'enlever deux sorties de l'ENA, une au Conseil d'État, l'autre à la Cour des comptes, une année, pour flécher, en particulier sur le ministère de l'environnement qui a besoin de structurer des équipes.

Ça n'a jamais été fait, parce que, lorsque vous touchez aux grands corps, et en particulier ceux-là, vous recevez des coups de fil du directeur de cabinet, du secrétaire général de l'Élysée, de Matignon, disant : « ce n'est pas possible, nous, on a besoin de ces jeunes-là, on a besoin de se renouveler ». Un mot d'ailleurs m'est resté gravé dans la mémoire : « on a besoin de formater les jeunes ». On n'a jamais enlevé ces 2 postes donc.

Il faut que ceux qui vont être inspecteur des finances, rentrer dans un grand corps, peu importe lequel, mais je mets les inspecteurs généraux des finances en premier, eh bien, ils doivent d'abord exercer quelques années, 4-5 ans peut-être, sur des territoires, soit en déconcentré - et pas dans le cabinet du préfet seulement -, si possible dans une collectivité territoriale, peut-être dans des entreprises, même si c'était beaucoup plus difficile et à mon avis moins utile.

J'ai fait cette proposition, et demandé à un groupe d'universitaires, ainsi qu'à un ancien directeur de l'ENA, de travailler cette question. J'ai vu alors là aussi le mur se lever, le secrétaire général du gouvernement, le Conseil d'État, la Cour des comptes et tous les chefs de corps. Je les ai d'ailleurs réunis une fois, et au cours de cette réunion, la seule personne qui se sentait intruse, c'était moi.

Dans les noms des principaux responsables de banques ou de grands groupes, on retrouve des énarques. C'est un concours formidable, mais la scolarité ne dure que deux ans, on ne peut pas tout y apprendre ! Je me souviens qu'une proposition que j'ai faite comme secrétaire d'État aux PME a mis vingt ans à être mise en oeuvre. Le directeur de cabinet de mon ministre de l'époque m'avait demandé de recevoir le président de l'Association française des banques pour qu'il m'explique pourquoi il ne fallait pas faire cette réforme.

Je m'interroge sur la facilité pour eux d'exercer ces fonctions. On pourra prévenir les conflits d'intérêts, mais il est plus difficile de lutter contre ce que Raymond Barre appelait le microcosme.

Ce que l'on dit de la mobilité des fonctionnaires vers le privé est faux : celle-ci n'enrichit pas la fonction publique. Il y a par ailleurs une pensée unique sur la dépense publique.

La haute fonction publique connaît des inégalités énormes de rémunération en raison des primes. Progressivement, les rémunérations dans les établissements publics ont beaucoup monté.

Derrière les arbitrages interministériels, on reconnaît souvent la main de la direction du budget. Pour cette direction, la réduction de la dépense publique se réalise par des ETP en moins, alors que l'ensemble des évaluations de politiques publiques que nous avons réalisées ont permis de dégager 5 milliards d'euros d'économies.

Je n'ai présenté ici que l'aspect négatif des choses et la grande majorité de la fonction publique n'est pas concernée par ces observations.

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