L'ENA est à la fois admirée et décriée. Elle a été créée par le Général de Gaulle en 1945. Il s'agit de la troisième tentative de création d'une école d'administration. La première avait été créée par Hippolyte Carnot en 1848, pendant le gouvernement provisoire précédant la Deuxième république. Elle a été dissoute un an plus tard. En 1936, Jean Zay, alors Ministre de l'Instruction publique, a proposé au gouvernement de Front Populaire de créer une nouvelle école d'administration. Ce projet de loi a créé un tollé au Sénat et l'affaire a ainsi été abandonnée.
En 1945, Michel Debré était conseiller du Général de Gaulle. Il avait tout particulièrement été marqué par Marc Bloch, qui dans « L'Étrange Défaite », disait que la défaite française était due à une absence de service d'information, mais également de services statistiques et de prévision. Bloch décriait des administrations se cooptant corps par corps, avec des fonctionnaires mis en poste par un de leurs parents. Michel Debré a donc souhaité construire la Fonction publique sur un modèle démocratique.
À compter de 1945, les hauts corps de l'état dépendant de l'exécutif sont donc recrutés par un concours unique. Dès la démission du Général de Gaulle en 1946, tous les corps ont tenté d'imposer des exceptions à l'ENA. Le gouvernement de la Quatrième république s'y est opposé et l'ENA a continué son cours.
Il existait à l'époque deux concours au mérite, le premier pour les étudiants de droit, d'économie, de sciences politiques, voire d'histoire et de lettres, et le second pour les fonctionnaires de Ministère, de préfecture ou de rectorat, ayant pour ambition d'atteindre la Haute Fonction publique. Il s'est agi de la première école mixte en France. L'ENA valorise l'expérience en alternance, avec des stages et des cours. Les élèves étrangers y sont également accueillis.
Tous ces principes sont retrouvés dans l'ENA d'aujourd'hui. Il me semble que ce sont de bons principes. Un troisième concours a toutefois été ajouté, réservé aux personnes témoignant de huit années d'activité professionnelle dans le secteur privé, politique ou associatif. J'ai demandé la création d'un quatrième concours, afin d'accueillir à compter de 2019, quelques Docteurs en sciences. Environ un tiers de nos élèves proviennent de l'étranger, ce qui assure à la France un rayonnement international.
Les programmes ont été améliorés, avec une emphase sur le numérique et la pratique, par exemple la gestion d'une négociation budgétaire ou d'un texte à Bruxelles. La formation en continu et l'alternance ont été développées.
Selon moi, les grands corps doivent être recrutés par la Haute Fonction publique, sans aucune hésitation. L'attractivité de l'ENA est notamment due aux débouchés qu'elle offre à sa sortie. Les corps d'inspection et de contrôle sont des phares de l'Administration française. Un certain nombre de jeunes ne se dirigeraient pas vers l'ENA si elle ne débouchait pas sur ces grands corps.
Il ne me semble pas opportun de recruter les élèves dans un seul et unique corps, pour ensuite les répartir par corps lors de concours organisés cinq ans plus tard. La moyenne d'âge d'entrée des élèves est de 29,7 ans. Les élèves sortent donc de l'ENA à 31,7 ans en moyenne. Il serait tardif d'organiser une deuxième sélection après autant d'années.
S'agit-il de refuser des opportunités d'évolution intéressante à la jeunesse ? Ce sont les jeunes, tels que Blum ou Friedman, qui ont fait la grandeur du droit administratif français et proposé des solutions juridiques.
Je ne pense donc pas qu'il soit négatif que les grands corps puissent étudier à l'ENA. Cependant, afin que les grands corps s'ouvrent, il est impératif que les Énarques aillent « voir ailleurs » de temps en temps afin que d'autres, qui n'ont pas eu autant de succès qu'eux au classement, puissent directement avoir accès aux grands corps.