Je voudrais tout d'abord remercier la Cour des comptes et particulièrement sa présidente, Mme de Kersauson, ainsi que son équipe de la deuxième chambre, pour la qualité de leur travail sur un sujet qui préoccupe de longue date, et à bien des titres, les rapporteurs spéciaux chargés de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et, compte tenu de ses enjeux pour nos finances publiques, l'ensemble de notre commission des finances. Permettez-moi d'associer à ces remerciements notre collègue Yannick Botrel, avec lequel je partage étroitement le suivi du budget agricole et les interrogations que suscite la gestion des concours publics versés à la Ferme France.
Je ne reviendrai que brièvement sur les constats exposés par la Cour des comptes sur le passé. Mais il convient de souligner que les dysfonctionnements relevés ne constituent pas une nouveauté, mais plutôt l'amplification de problèmes existant de longue date. En bref, je crois qu'on ne peut souscrire à la présentation selon laquelle tous nos problèmes seraient attribuables à la mise en oeuvre de la nouvelle PAC et au transfert aux régions des responsabilités liées à la qualité d'autorité de gestion. Certes, ces transitions appellent une capacité d'adaptation et d'accompagnement plus forte que celle qui a été mise en oeuvre, mais on ne saurait conclure d'erreurs antérieures à la régionalisation du Feader, à la préconisation d'une recentralisation de la gestion des aides européennes, comme l'a fait le comité action publique 2022 que nous avons récemment auditionné.
Par ailleurs, en décalage avec une présentation politique habituelle quelque peu lénifiante, faisant ressortir le poids de problèmes techniques, en particulier celui de la tenue de notre registre parcellaire graphique, j'insisterai sur les contradictions directement liées à des choix politiques. La Cour des comptes évoque la sophistication des interventions mises en oeuvre par le ministère de l'agriculture ; de mon côté, je relève que, parmi les motifs des corrections financières appliquées à la France, figurent très largement les carences reprochées à la France par la Commission européenne en matière de contrôles. Il en ressort l'impression que nous avons adopté une politique agricole caractérisée par un perfectionnisme dicté par une sorte d' « hubris » administratif confronté à des moyens de mendiants.
À ce stade, outre la gravité extrême des conséquences des punitions financières infligées à la France, je souligne que les errements rencontrés dans la gestion des paiements agricoles n'engagent pas seulement des responsabilités administratives, souvent recherchées dans les travaux de contrôle, mais bien une responsabilité politique. Hélas, les conditions dans lesquelles fonctionne la procédure d'apurement européen présentent quelques défauts parmi lesquels des délais si longs que, fréquemment, le ministre de l'agriculture responsable n'est plus en poste depuis longtemps quand la sanction européenne tombe !
Je voudrais désormais aborder les perspectives en commençant par l'apurement du passé. Pouvez-vous nous apporter toute garantie sur le comblement du retard des paiements des aides et nous confirmer que celui-ci ne sera pas réalisé au détriment de la consommation des enveloppes budgétaires normalement programmées ? On peut en effet être pris du soupçon que la contrainte budgétaire a joué son rôle dans le décalage des paiements et qu'elle continuera à s'exercer. À ce sujet, nous avons régulièrement exprimé notre sentiment d'une budgétisation des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » peu conforme à nos principes budgétaires. La réserve de précaution de 300 millions d'euros que la Cour des comptes estime de nature à apporter une solution à ce problème n'est déjà plus que de 200 millions d'euros dans le budget pour 2019.
Compte tenu des risques d'apurement pendants, telle une épée de Damoclès, sur lesquels je souhaiterais que vous nous fournissiez des informations, peut-on estimer que cette réserve qui, je le rappelle, est censée couvrir toutes les dépenses imprévisibles, en particulier celles liées aux crises climatiques, sera suffisante ? Par ailleurs, je voudrais connaître votre sentiment sur les moyens dont vous souhaiteriez disposer pour mettre à niveau notre infrastructure de paiement. Il faudra mettre à niveau notre infrastructure de gestion des paiements agricoles, à commencer par l'informatique, sachant que le fonds de roulement de l'ASP est à l'étiage, puis les contrôles dont les lacunes nous ont valu dans le passé de lourdes sanctions financières. Sur ce point, des divergences sont apparues entre les discours ministériels selon lesquels nous sommes en mesure de respecter nos obligations européennes et ceux qui sont plus inquiets sur ce point. Manifestement, la Commission européenne, avec ses sanctions, donne plutôt raison aux seconds qu'aux premiers. S'agissant de l'informatique, permettez-moi, incidemment, de vous interroger sur la responsabilité respective des donneurs d'ordre et des prestataires de services dans les difficultés rencontrées.
Au-delà de cet héritage du passé, il convient de se pencher sur les adaptations plus structurelles nécessaires pour éviter que ne se reproduisent à l'avenir les catastrophes que nous avons connues.
Premier point : la distribution des rôles. Si nous étions spectateurs d'une pièce de théâtre, nous assisterions à une représentation un peu étrange dans laquelle le jeune premier serait aussi le vieux barbon et la jeune amoureuse, la marâtre. De l'avant-garde, cela présenterait certains charmes, mais on sortirait de là avec le sentiment d'une certaine confusion. Comment qualifier autrement un circuit où le payeur n'a pas tous les moyens d'instruire les paiements et où le contrôlé se voit déléguer le contrôle par le contrôleur ? La Cour des comptes suggère que les emplois nécessaires à l'instruction des dossiers soient transférés du ministère à l'ASP. Quelle réaction cette proposition vous inspire-t-elle ? Quelles décisions ont été prises à la suite des critiques de la Commission européenne sur la délégation aux services de l'ASP des contrôles sur l'ASP dont est chargée la commission de certification des comptes des organismes payeurs, la fameuse CCCOP ?
Deuxième point : la coordination des intervenants et la clarification des responsabilités. À l'inverse de la perspective envisagée par « CAP 2022 », je vous déclare tout de go être favorable à la régionalisation du Feader. Être proche des agriculteurs me semble plus que jamais indispensable, et je remarque que cette proximité peut être une source de simplification. Mme Bernard ne me démentira sans doute pas. Cependant, tout cela doit se faire de façon ordonnée et mérite d'être accompagné. Je souhaiterais connaître les besoins encore non satisfaits pour que le transfert aux régions de la qualité d'autorité de gestion ne reste pas au milieu du gué. Par ailleurs, qui dit transfert de compétences dit aussi transfert de responsabilités. La Cour des comptes ne dit rien d'autre et le ministre de l'agriculture que nous avons auditionné le 21 juin dernier nous avait informés de l'existence de négociations avec les régions afin de clarifier le régime de responsabilité applicable en cas de mauvaise exécution des aides. Où en sommes-nous ? Enfin, comment mieux intégrer les observations de la CCCOP au fil du temps afin d'éviter des sanctions financières aussi massives que tardives ?
Troisième point, pour conclure : la question de la dynamique endogène au système des paiements agricoles des pathologies observées. Les méthodes employées pour déterminer les sanctions financières, qui sont contestées dans le rapport de la mission IGF-CGAAER, et qui d'ailleurs font l'objet d'un débat entre la Commission européenne et la Cour des comptes européenne, ne tendent-elles pas à grossir les factures que nous inflige la Commission européenne ? Comment expliquer que, au cours du contradictoire, on puisse passer d'un montant de redressement de plus d'un milliard d'euros aux 34,7 millions d'euros évoqués par le ministre lors de son audition ? En lien avec ce sujet, ne serait-il pas souhaitable d'accélérer les procédures d'apurement de sorte que, si corrections il doit y avoir, elles nous évitent des rattrapages massifs portant sur plusieurs exercices déjà anciens ? Deuxième élément, la Cour des comptes juge que la simplification est « la mère de toutes les batailles ». Cela apparaît assez crédible, et il est effrayant de savoir que l'éligibilité à telle ou telle aide se trouve conditionnée à des dizaines de points de contrôle, de sorte qu'une application stricte des règlements conduirait normalement à rejeter toutes les demandes. Pouvez-vous nous indiquer si, au niveau national, vous avez entrepris une revue de la « sophistication » évoquée par la Cour des comptes ? Et dans le cadre de la redéfinition de la PAC, qu'êtes-vous en train de défendre pour que les deniers publics puissent être effectivement distribués aux agriculteurs sans que l'on encoure les foudres des instances européennes ? Nous sommes mis en difficulté face à la complexification administrative et l'aporie politique. Il est temps d'entrer dans un nouveau monde.