Intervention de Lydie Bernard

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 octobre 2018 à 9h00
Chaîne de paiement des aides agricoles versées par l'agence de services et de paiement — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Lydie Bernard, membre de la commission agriculture, alimentation et forêt de Régions de France :

Merci de nous avoir conviés dans le cadre de cette mission de contrôle. C'est un dossier qui nous préoccupe tous en cet instant, et qui doit nous préoccuper pour l'avenir, à l'approche de la PAC 2020 : nous espérons, à Régions de France, que les leçons des dysfonctionnements actuels seront tirées d'ici là.

Quelques éléments de contexte d'abord. Les régions sont actrices sur le deuxième pilier de la PAC, c'est-à-dire le Feader. Pour gérer les ressources de ce fonds, chaque région est liée par contrat à l'Europe au moyen d'un programme de développement rural (PDR) pour la période 2014-2020. Cette enveloppe est scellée : son montant ne peut être modifié.

Le manque d'anticipation de la régionalisation de cette politique et de ses aspects techniques de la part du ministère a été total. En outre, la confiance et le dialogue entre l'État, l'ASP et les régions, ont grandement fait défaut. Songez qu'entre la fin 2014 et la fin 2016, aucun comité État-régions ne s'est tenu. Résultat : nous avons hérité d'un système complexe ne correspondant pas aux besoins d'un système régionalisé. L'État nous a imposé une architecture de programmation et un organisme de paiement, l'ASP - qui, au demeurant, a fait un travail honnête. Reste que le manque d'anticipation et de communication a été réel. Il nous a donc fallu nous approprier, nous les élus, la logique des échanges avec l'Europe. Souvenons-nous du manque de communication sur tous ces aspects.

En dépit de ce qu'écrit la Cour des comptes, nous considérons que les régions, elles, ont été au rendez-vous. Début 2018, pour les régions, le taux de programmation moyen était de 43 %, et le taux de paiement de 30 %, ce qui place la France parmi les pays régionalisés les plus avancés. Les régions ont su déployer les moyens humains nécessaires pour instruire les dossiers. En Pays de la Loire par exemple, depuis 2016, dix personnes ont grossi les rangs des petites mains des DDT traitant les dossiers, et quatre personnes supplémentaires encore tout récemment pour les dossiers Leader.

Nous nous focalisons beaucoup sur les retards de paiement, car cela met les agriculteurs en difficulté. Certains attendent encore 60 000 euros au titre des mesures agroenvironnementales et climatiques pour 2016, et autant au titre de 2017. Ce n'est pas une paille !

Il faut cependant dire que la régionalisation a eu des impacts positifs sur des mesures du deuxième pilier peu ou pas encadrées par un règlement national - je pense aux mesures du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles. L'absence de cadre national très ferme nous permet d'être beaucoup plus réactifs sur le terrain. À l'inverse, les enveloppes bio du Feader sont dans le deuxième pilier de la PAC, autrement dit gérées par les régions, mais obéissent à des règles fixées nationalement ; donc nous sommes au milieu du gué. Il faut revoir cet équilibre ; ça ne peut pas fonctionner.

Les régions ont aussi, pour la plupart, adapté leur gouvernance en mettant en place, pour la plupart, de nouveaux dispositifs, notamment un comité technique entre la région et la direction régionale de l'agriculture et de la forêt, qui fonctionne plutôt bien. À cela s'ajoutent des réunions régulières avec la profession agricole et les différents syndicats, ce qui permet d'être près du terrain, au plus près de notre agriculture et, j'ose le dire, au plus près de notre ruralité. Le deuxième pilier de la PAC est là pour servir le monde rural. C'est d'ailleurs explicite au niveau européen, puisque l'on parle de politique agricole commune et de développement durable. Cette dimension alimentaire et rurale est à mettre davantage en avant dans la PAC 2020 si nous voulons garder notre enveloppe pour notre agriculture.

Au niveau national en revanche, nous n'arrivons pas à discuter. J'ai de bonnes relations avec M. Le Moing, car je siège au conseil d'administration de l'ASP au nom de Régions de France, et j'ai fait connaissance avec Mme Metrich-Hecquet il y a quinze jours, mais les problèmes de communication que nous avons rencontrés à l'origine ne sont pas complètement réglés. Sur la question du transfert entre les deux piliers de la PAC, Régions de France a demandé à l'unanimité un comité État-régions, qui s'est tenu, et puis la décision a été prise sans concertation. De même sur les zones ICHN. Nous devons reprendre le dialogue. Au reste, son absence ne pénalise pas le Gouvernement, ni même les parlementaires ou les élus régionaux, mais les acteurs de terrain, les agriculteurs et le monde rural. Il est donc de notre responsabilité de recommencer à échanger pour construire et avancer ensemble.

La grande nouveauté instaurée par les programmes de développement rural (PDR), ce sont les relations bilatérales entre les régions et l'Europe. Tous les six mois, la Commission européenne vient dans nos régions - c'est ce que l'on appelle le comité régional de suivi - et, contente de voir le terrain, met les pieds dans les bottes. L'Europe est demandeuse de ces rencontres, de même que nos agriculteurs, nos entreprises et nos élus, qui peuvent ainsi discuter avec l'Europe. Tout cela permet de vivre l'Europe de façon plus concrète.

Je conclurai en tâchant d'être force de proposition pour la prochaine PAC. Le rattrapage du retard des aides est une priorité, surtout pour celles du deuxième pilier. Nous estimons que le mot d'ordre doit être une PAC 2020 réactive, agile, efficiente et répondant aux enjeux de nos territoires ruraux. Nous préférons un tel intitulé à une PAC exclusivement agricole. Il faut pour cela aller au bout de la décentralisation du deuxième pilier après 2020, car ce sont bien les lourdeurs liées à l'histoire et aux directives nationales imposées par l'État qui ont retardé les paiements. Il faudrait en conséquence remplacer le cadre national par un répertoire de mesures cohérentes entre elles, répertoire défini en fonction des besoins des régions, de manière ascendante, et non imposé d'en haut. Une concertation entre les régions et l'État, et que l'ascendant enrichisse le descendant, voilà ce que demandait l'atelier 14 des États généraux de l'alimentation.

Nous proposons encore de simplifier l'architecture des programmes et des mesures, en en diminuant le nombre - il faudra en discuter avec la profession agricole qui, soucieuse de justice, plaide plutôt pour multiplier les mesures. Il faudrait également donner aux régions la main sur la gestion du fonds après 2020. Posons enfin la question de l'organisme de paiement, en réfléchissant à sa régionalisation - pour l'heure, les régions sont trop loin de l'ASP - et celle de savoir qui pilote les petites mains dans les DDT.

Du côté de Bruxelles, il faut continuer à simplifier. Osons demander à Bruxelles la simplification des contrôles. Le taux d'erreurs admises, de 1 %, est passé à 2 % : nous pouvons oser demander davantage.

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