Intervention de Valérie Masson-Delmotte

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 10 octobre 2018 à 9h30
Rapport spécial du giec relatif aux conséquences d'un réchauffement climatique de 1 5°c — Audition de Mme Valérie Masson-delmotte paléoclimatologue membre du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat giec

Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) :

Le rôle du GIEC est de fournir une analyse des connaissances pour éclairer les politiques. Les mesures qu'il préconise ne sont donc pas prescriptives. Il travaille à l'échelle mondiale tandis que d'autres instances sont impliquées à l'échelle nationale, à l'instar de la stratégie nationale bas carbone de la France.

Pourquoi indiquer qu'au rythme actuel, le réchauffement climatique atteindrait 1,5°C à l'horizon 2030-2052 ; la valeur médiane étant située en 2040. À l'aune des changements mensuels de la température terrestre, l'augmentation anthropique du réchauffement est de l'ordre de 0,1°C tous les dix ans. En suivant un tel rythme, nous devrions atteindre 1,5°C- 2°C de réchauffement climatique entre 2030 et 2052. Notre démarche est ainsi précise.

Je suis également frappée de vous entendre parler d'impuissance. J'ai 47 ans et le GIEC existe depuis 30 ans. Vous avez dû prendre connaissance de ses précédents rapports qui ont été approuvés par l'ensemble des gouvernements, dont le Gouvernement français. Chacun de ces rapports recommandaient des mesures pour l'adaptation et l'atténuation. Or, le territoire français comporte des acteurs du changement qu'il importe de mettre en lumière pour susciter le changement. À mes yeux de citoyenne, votre responsabilité est immense et vous êtes loin d'être démunis de moyens.

Les émissions de gaz à effet de serre en France sont de l'ordre de six tonnes annuelles de dioxyde de carbone par habitant, et douze en y incluant les importations. Comment améliorer le niveau de nos émissions de gaz à effet de serre, compte tenu de ce que nous produisons et consommons ?

Sur la difficulté d'être vertueux de manière isolée, les émissions de dioxyde de carbone diminuent clairement aux États-Unis depuis 2005, du fait de la transition du charbon vers le gaz, indépendante de la politique fédérale actuelle.

En Chine, ces émissions ont fortement augmenté au début des années 2000 du fait de la révolution industrielle ; leur ralentissement s'expliquant avant tout par une stagnation au niveau mondial. En outre, l'évolution de l'Inde constitue désormais un enjeu majeur : la révolution industrielle indienne va-t-elle être conduite en recourant au charbon ou en se tournant vers les énergies renouvelables, notamment solaire, pour assurer l'électrification des zones rurales et lutter contre la pollution de l'air, liée à l'utilisation du charbon, dans les grandes villes ?

Jouer sur l'efficacité énergétique ou agricole profiterait à la France qui dispose de sérieux avantages comparatifs au niveau international pour répondre efficacement aux nouveaux choix de consommation qui se dessinent.

Les territoires à énergie positive font écho aux préconisations du rapport du GIEC : les politiques publiques concertées entre le Gouvernement et l'échelon territorial sont nécessaires à l'accélération des transitions, à la condition que des initiatives comme celles-là soient relayées dans l'opinion.

Vous avez un rôle à jouer pour la diffusion des conclusions du rapport du GIEC. Le fait que les comportements humains agissent sur l'évolution climatique est bel et bien reconnu ! L'approbation de ce rapport par l'ensemble des représentants des pays, y compris ceux dont l'économie repose entièrement sur l'utilisation des énergies fossiles, démontre le poids des faits scientifiques ! Il est essentiel de partager ces connaissances scientifiques dans un monde où les « fake News » prolifèrent !

Sur le numérique, comme sur les véhicules électriques, il faut analyser les produits en terme de cycle de vie, allant de la production au recyclage, afin d'éclairer le choix des consommateurs. Le travail formidable de l'ADEME en ce sens n'est pas forcément visible dans la vie quotidienne.

La question de l'évolution littorale est globale et affecte tout particulièrement les petits États insulaires, tout comme les régions de basse terre, qui doivent faire face à des risques croisés : la dégradation des récifs de coraux, l'augmentation des pluies diluviennes associées aux ouragans, même avec 1,5°C de réchauffement, la baisse des ressources halieutiques et le risque de rareté de l'eau, à la suite notamment de l'augmentation de la salinité des nappes. Tout l'enjeu est d'agir rapidement et de manière concertée pour gérer à présent le risque. Il s'agit d'anticiper pour se préparer. Faute d'une telle démarche, la gestion de crise s'imposera en permanence chez nous comme ailleurs.

L'innovation de ce rapport réside dans l'examen des conséquences de l'atteinte d'1,5°C supplémentaire qui est imminente. Les risques sont ainsi immédiats ; tout dépassement de cette température générera autant de risques supplémentaires, voire irréversibles. Nous sommes ainsi à la croisée de trois risques : d'une part, les risques climatiques irréversibles et de déstabilisation des sociétés ; d'autre part, les risques liés à l'inaction d'aujourd'hui qui demanderont d'agir plus fortement demain, quitte à déployer des options risquées comme l'extraction, à grande échelle, du dioxyde de carbone de l'atmosphère et enfin, le risque d'une transition maîtrisée, dont on dispose des principaux leviers aujourd'hui. En définitive, quels risques êtes-vous prêts à prendre ?

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