Intervention de Valérie Masson-Delmotte

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 10 octobre 2018 à 9h30
Rapport spécial du giec relatif aux conséquences d'un réchauffement climatique de 1 5°c — Audition de Mme Valérie Masson-delmotte paléoclimatologue membre du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat giec

Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) :

Vous avez souligné l'existence de polémiques sur les conclusions du GIEC et la possibilité de contenir le réchauffement climatique à moins de 1,5 degré.

Les chercheurs, pour réaliser ce rapport, ont passé en revue l'ensemble des publications scientifiques disponibles. En regardant les lois de la physique et de la chimie, il reste possible de limiter le réchauffement climatique. Toutefois, cela va dépendre des choix qui seront faits, du libre arbitre de chacun. C'est ce que reflète la conclusion du rapport.

Je suis paléoclimatologue. J'ai publié récemment des travaux sur l'activité des volcans et la variabilité de la température planétaire au cours des derniers millénaires. Je me tiens à votre disposition pour partager ces publications. Une éruption volcanique majeure, c'est concrètement la présence de particules dans l'atmosphère pendant un à deux ans. Cela va entraîner un léger refroidissement, mais qui va disparaître. Le climat continuera alors à se réchauffer, en raison de l'augmentation des rejets des gaz à effet de serre, s'ils se poursuivent. Au final, cette éruption est un épiphénomène par rapport à l'effet à long terme des gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone qui a une très longue durée de vie. Si « on a de la chance », si vous permettez cette expression, la survenue de quelques éruptions volcaniques va modérer, retarder le moment où on attendrait une augmentation de 1,5 degré. Mais en même temps, nous ne sommes pas prêts à faire face aux conséquences d'une éruption volcanique majeure, en termes de sécurité alimentaire par exemple. Il n'existe pas de préparation à l'échelle internationale pour faire face à des pénuries alimentaires si ce type de phénomène se produit. Des exemples historiques en témoignent.

En outre, la notion de cycle n'existe pas. Je le rappelle : nous augmentons la proportion de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Les conséquences physiques de ces derniers sont bien connues : ils empêchent le départ dans l'espace d'une partie du rayonnement de la Terre, ils sont responsables d'une accumulation d'énergie dans le système climatique et donc d'un réchauffement des basses couches de l'air au-dessus des continents ainsi que des océans en surface et en profondeur. 90% de cette énergie supplémentaire a été emmagasinée par les océans. Cela a pour conséquence que l'on ne peut pas revenir en arrière : cet accumulateur est là et nous piège dans un climat plus chaud quoi que l'on fasse. Cette proportion plus élevée de gaz à effet de serre est également responsable de la fonte des glaces, des neiges, des sols gelés, de la banquise Arctique.

En outre, en raison d'une atmosphère plus chaude, cette dernière contient plus d'humidité, ce qui fait que la même tempête donnera aujourd'hui des pluies plus importantes qu'il y a 50 ans. Par ailleurs, les événements extrêmes comme les vagues de chaleur seront plus importants. Par exemple, on estime qu'avec un réchauffement climatique de 1,5 degré en moyenne planétaire, les vagues de chaleur augmenteront de 3 degrés, et encore plus dans les villes. Pour un réchauffement moyen de 2 degrés, elles augmenteront de 4 degrés. Il y a ainsi des effets amplificateurs importants à prendre en compte.

Certaines de vos questions relèvent du droit, ce qui est hors de mon champ de compétence. J'observe par exemple que les tribunaux américains ont laissé avancer une action menée par des enfants dans différentes régions relative au droit fondamental prévu par la Constitution américaine de « public trust ». Il s'agit de rôle des pouvoirs publics et de la confiance que l'on peut légitimement attendre de ceux-ci pour permettre à chacun d'avoir un environnement sain, de profiter de son héritage culturel. Le procès devrait avoir lieu prochainement.

Beaucoup de discussions portent sur l'action citoyenne, la vie démocratique locale. La communauté scientifique peut aider les acteurs de la transformation. Une belle réussite d'initiative est le Train du climat. J'ai eu la chance d'y participer en France et au Maroc. C'est formidable, car c'est un moment d'échanges entre les acteurs du monde de la recherche académique, les acteurs de terrain et les citoyens curieux qui cherchent à comprendre, à trouver des pistes d'action. Ce train va reprendre en Aquitaine. Il permet des échanges entre des personnes qui se côtoient, mais ne discutent pas suffisamment ensemble.

La question de la rupture technologique a été évoquée. Dans notre rapport, cela est très clair. Il y a un chapitre entier, écrit par des spécialistes de la transformation, qui ont travaillé sur des transformations historiques et actuelles. Pour eux, nous sommes devant une rupture, qu'ils appellent disruptive sur la production d'électricité et les sources d'énergies renouvelables dans le monde, grâce au progrès technique, à la réduction des coûts, mais également au progrès réalisé en matière de stockage de l'électricité. Dans certaines parties du monde, des discussions sont en cours sur un charbon propre, c'est-à-dire un captage et un stockage par enfouissement du dioxyde de carbone. L'analyse faite montre qu'il y a un surcoût par rapport aux énergies renouvelables : d'un point de vue de la faisabilité économique, cela coûte aujourd'hui moins cher de produire de l'électricité renouvelable et de la stocker que de produire de l'électricité avec du charbon, d'en extraire le dioxyde de carbone, de le capter, et de l'enfouir de manière durable.

Les villes ont un rôle important à jouer. Certes, nous parlons bien sûr des régions rurales, et notamment du rôle de l'agriculture porteuse de solutions. Mais, les villes pèsent lourd dans les émissions de gaz à effet de serre, sur l'empreinte environnementale à travers le commerce, la consommation. Elles sont autant de leviers d'action qui sont essentiels. Nous sommes dans un mouvement d'urbanisation sans précédent dans le monde, en particulier dans les pays en développement. La France est bien positionnée parmi les acteurs de la conception des villes, de l'aménagement de ces dernières, des services environnementaux à proposer. C'est une opportunité formidable. Le GIEC a organisé en mars dernier au Canada, à Edmonton, une conférence internationale sur les villes et les sciences du changement climatique. 700 participants du monde entier, des acteurs de terrain du monde des collectivités territoriales, de l'industrie ou du monde académique se sont retrouvés. Nous avons proposé un agenda de recherches et d'actions. Tout l'enjeu est de le mettre en oeuvre. Les villes ont besoin de connaissances pour agir, pour savoir les actions à mener qui maximalisent les bénéfices. Dans chaque grande ville, il y a des universités qui peuvent aider à produire des connaissances. La mise en relation des acteurs du monde académique et de terrain est essentielle pour définir ce que peut être concrètement un agenda d'actions.

Enfin, il est important de s'interroger sur ce que nous faisons concrètement chacun d'entre nous. Tous les leviers d'action sont formidables. Vous avez posé la question des « fanatiques » qui ne veulent plus manger de viande. Mais il y a énormément de bénéfices à substituer une partie des protéines animales par des protéines végétales. Il existe en France des filières extrêmement performantes, sans avoir besoin de recourir à des importations. Elles ne demandent qu'à être soutenues. En outre, il y a des bénéfices pour la santé publique, pour les coûts, par exemple dans les cantines scolaires. En résumé, de très nombreux leviers d'action existent qui peuvent être vertueux à la fois pour le climat, l'activité économique, la santé, les coûts pour les pouvoirs publics et les familles.

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