Intervention de Valérie Masson-Delmotte

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 10 octobre 2018 à 9h30
Rapport spécial du giec relatif aux conséquences d'un réchauffement climatique de 1 5°c — Audition de Mme Valérie Masson-delmotte paléoclimatologue membre du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat giec

Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) :

Le GIEC dispose d'un secrétariat d'une dizaine de personnes basé à l'organisation météorologique mondiale à Genève. La préparation des rapports est faite par un groupe de 34 personnes - les membres élus du bureau du GIEC. Nous sommes élus par les délégués des différents gouvernements. La France a proposé ma candidature, comme présidente du groupe 1 du GIEC. J'ai été élue et la France met à ma disposition les moyens pour avoir une unité d'appui technique d'une dizaine de personnes basée à l'université de Paris-Saclay. Cette unité, embauchée en contrat à durée déterminée, existe grâce au financement de trois ministères. Elle prépare toutes les réunions et la mise en forme du rapport. Les membres élus du bureau du GIEC interagissent avec les délégués des différents gouvernements en session plénière, laquelle prend toutes les décisions, en particulier la décision de préparer les rapports. Les nominations sont faites par les délégués des différents gouvernements, ils déterminent également les points sur lesquels les rapports vont se focaliser. Les organisations observatrices - par exemple de grands programmes mondiaux de recherche - proposent également des nominations. Nous avons des candidatures pour rédiger les rapports. La sélection de ces auteurs se fait au consensus par les co-présidents et les vice-présidents des groupes de travail concernés par les rapports. C'est la première fois que nous travaillons, à travers les trois groupes de travail du GIEC, sur les bases physiques d'adaptation et d'atténuation du réchauffement climatique. Nous avons sélectionné 91 auteurs, sur la base de quasiment cent nominations. C'est une pression extrêmement forte et cela montre à quel point de nombreux chercheurs souhaitaient participer à la rédaction de ce rapport. Ce dernier est également nouveau en ce sens où nous avons des chercheurs de disciplines différentes qui travaillent ensemble sur un même chapitre. Les six chercheurs qui travaillent en France et ont participé à la rédaction sont aussi bien des spécialistes de la biodiversité et du climat que des interactions climat/cycle du carbone, des sciences politiques, des sciences économiques ou des sciences sociales. Cela reflète la diversité des expertises qui étaient nécessaires pour répondre à l'invitation de la COP21. En effet, je rappelle que nous n'avons pas choisi de faire ce rapport, mais c'est une commande de la COP21, qui en session plénière a également commandé deux autres rapports : l'un portant sur le changement climatique et l'usage des terres, abordant des sujets comme la désertification, la dégradation des terres, la sécurité alimentaire et nutritionnelle, la gestion durable des terres, et devant être remis en août 2019 ; l'autre portant sur le changement climatique, les océans et la cryosphère, c'est-à-dire la neige, la glace et les sols gelés, et devant être remis en septembre 2019, certainement à Monaco. Ce rapport est une commande des gouvernements, et nous les mettons face à leurs responsabilités. Ils ont approuvé ce rapport ; c'est un point extrêmement important.

Je n'ai pas répondu à la question sur les océans. Nous avons une conclusion principale et quatre points sur ce sujet. Je tiens à souligner que nous ne donnons pas d'échéance. Toutefois, avec une augmentation d'1,5 degré, donc à horizon 2040 au rythme actuel, les risques augmentent pour les pêcheries et l'aquaculture à travers les effets du réchauffement des eaux, de l'acidification, du manque d'oxygène et des conséquences sur la survie, l'habitat, la reproduction, les maladies des espèces et le risque d'espèces invasives.

Une simulation montre une chute du rendement des pêcheries de 1,5 million de tonnes dans le monde pour un réchauffement de 1,5 degré et de 3 millions de tonnes pour un réchauffement de 2 degrés. Le réchauffement climatique est à la fois un enjeu en termes de biodiversité marine, mais aussi pour les rendements des pêcheries, des communautés qui en vivent.

En ce qui concerne la démographie, cette question est abordée dans les rapports du GIEC dans les scénarios socio-économiques. Nous abordons l'évolution démographique à travers l'angle des risques climatiques qui sont le résultat de trois points : les aléas climatiques dans chaque région du monde ; l'exposition au risque, c'est-à-dire le nombre de personnes qui vivent dans les zones à risque ; les vulnérabilités qui dépendent des capacités d'adaptation, du niveau de développement économique et des solutions disponibles. Une population en croissance dans des zones exposées aux conséquences du réchauffement climatique augmente le risque. Par ailleurs, en ce qui concerne les gaz à effet de serre, l'équation la plus connue concernant le climat est l'équation de Kaya. Les émissions de gaz à effet de serre sont le produit de quatre termes : la population ; la richesse par habitant, soit le PIB par habitant ; l'énergie par unité de PIB - plus vous êtes efficaces, plus vous découplez la production de richesses de la consommation d'énergie -, le contenu CO2 du mix énergétique, soit la quantité de CO2 par unité d'énergie consommée. La démographie est donc un élément pris en compte, au même titre que le niveau de richesse ou l'efficacité énergétique nationale.

Dans les scénarios avec une forte augmentation de la population et une forte augmentation de la consommation, il est impossible de stabiliser le réchauffement climatique. Il existe des scénarios socio-économiques par région et par pays. Cette approche permet en toute transparence de formuler des hypothèses qui sont utilisées à la fois pour l'évaluation des risques, des dommages, mais aussi des options d'actions.

En ce qui concerne l'électricité, cela relève des stratégies nationales. Le rapport du GIEC montre très clairement que pour conserver des trajectoires compatibles avec la limite du réchauffement à 1,5 degré, les énergies renouvelables doivent fournir entre 70 et 85 % de l'électricité en 2050. En outre la fraction du nucléaire augmente dans la plupart des trajectoires à 1,5 degré. La fraction de production d'électricité avec des combustibles fossiles, nécessitant captage et stockage de dioxyde de carbone doit également être en augmentation.

Le GIEC a été présent dans les négociations internationales sur le climat. En effet, il n'y aurait pas eu d'accord à Paris si un rapport n'avait pas été confié au GIEC. C'était une demande des pays les moins avancés et des pays les plus vulnérables. Après, il revient à chaque pays de voir s'il veut utiliser ou non ce rapport. Je précise d'ailleurs que ce dernier est imparfait sur l'action des acteurs non étatiques, car il n'y a pas assez de littérature scientifique. Cela serait vraiment utile que le monde académique se penche sur cette question, notamment dans la perspective du prochain rapport. Le groupe de travail n°3 du GIEC sur l'atténuation a changé la structure de son rapport et va renforcer les analyses liées aux actions non étatiques. Il va également s'intéresser aux choix de comportements. Il y a une vraie attente de production de connaissances nouvelles. Les choix de financement de la recherche en France comme ailleurs, peuvent accélérer cette production de connaissances. Nous avons des chercheurs en sciences sociales qui ont contribué de manière sans précédent à ce rapport.

L'acceptabilité publique est importante. Elle peut freiner ou au contraire accélérer la mise en oeuvre des transitions. Ce qui compte, c'est l'évaluation que chacun fera de la perception de l'équité des procédures de décision et de la perception de la distribution des conséquences attendues des choix et des décisions politiques. C'est un point essentiel, peu évoqué, de notre rapport. Il comporte des dimensions sur l'éthique, l'équité, sur ce que peuvent être des transitions justes inscrites dans un cadre démocratique. Je vous invite par exemple à prendre connaissance de notre chapitre 5, qui est le plus abouti sur ces dimensions.

Je partage beaucoup de vos interventions notamment sur la nécessité d'être humble, sur l'ampleur du défi, et sur la nécessaire mobilisation, en particulier de la jeunesse. J'interviens beaucoup dans les écoles, les universités, les formations professionnelles. Il est très frappant de voir la mobilisation de la jeunesse. Beaucoup de jeunes cherchent à aligner leurs choix professionnels avec le fait d'être porteurs de solutions. Ils ont besoin pour cela d'être accompagnés par les pouvoirs publics. C'est quelque chose de fondamental que vous percevez peut-être chez vos proches.

Le pessimisme ou la dépression ne mènent à rien. Mais ce contre quoi il faut lutter, c'est l'indifférence ou le fatalisme. En visant 1,5 degré de réchauffement, on limite les risques. Si on laisse faire, on dépassera facilement les deux degrés d'augmentation, voire on atteindra les 3 degrés. L'atteinte de l'objectif fixé implique que les transitions se poursuivent au rythme attendu par les engagements à horizon 2030. Si on n'agit pas dans les décennies à venir, ces risques vont s'accélérer. Je pense que vous en êtes tous conscients.

Pour terminer, je vous félicite de cette initiative sur la mobilité moderne. Travaillant sur le plateau de Saclay, je dois dire que les progrès réalisés par le vélo électrique me permettent d'arriver sans transpirer sur mon lieu de travail, ce qui est une rupture formidable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion