Intervention de Jérôme Bignon

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 10 octobre 2018 à 9h30
Rapport spécial du giec relatif aux conséquences d'un réchauffement climatique de 1 5°c — Audition de Mme Valérie Masson-delmotte paléoclimatologue membre du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat giec

Photo de Jérôme BignonJérôme Bignon, président du groupe de travail sur le suivi des négociations internationales sur le climat et l'environnement et de la mise en oeuvre des objectifs de développement durable :

Je remercie le président et le bureau d'avoir pris l'initiative de me confier le soin de vous présenter en quelques mots les objectifs de développement durable et les moyens qui sont à notre disposition, en tant que parlementaires, pour nous les approprier et accélérer leur mise en oeuvre, notamment par le biais de l'exercice annuel de l'examen budgétaire.

Un bref rappel, tout d'abord, de ce que sont les objectifs de développement durable. Ils ont été adoptés en septembre 2015 par l'Assemblée générale des Nations unies dans le cadre de l'Agenda 2030 pour le développement durable. Ils sont au nombre de 17 et se déclinent en 169 cibles et 232 indicateurs.

Ces objectifs couvrent tous les volets du développement durable : climat, biodiversité, eau, énergie, mais aussi pauvreté, faim, santé et bien-être, égalité des genres, prospérité économique, paix, éducation, ou encore agriculture, travail, industrie. Ils ont remplacé le processus des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), qui ont expiré en 2015. Par rapport à ces anciens objectifs, les objectifs de développement durable présentent 5 spécificités. Premièrement, ils sont universels - à la différence des OMD qui ne visaient que les pays en développement. Deuxièmement, ils intègrent l'environnement et le développement durable dans un même cadre d'objectifs. Troisièmement, ils associent à la lutte contre l'extrême pauvreté la préservation de la planète face aux changements climatiques. Quatrièmement, ils mettent en place une démarche de consultation inédite de la société civile. Cinquièmement, ils sont « indivisibles », c'est-à-dire qu'on ne peut répondre à un objectif de développement durable sans tenir compte de ces interactions avec les autres objectifs. Ils sont interconnectés.

Bien sûr, les objectifs de développement durable ne constituent pas un engagement juridiquement contraignant pour les États mais chaque année, se tient à New York ce qu'on appelle un Forum politique de haut niveau, chargé du suivi de leur mise en oeuvre. Dans le cadre de ce Forum, les États sont invités à rendre compte, dans le cadre de « revues nationales volontaires », de leurs progrès dans la mise en oeuvre de ces objectifs. Notre président a d'ailleurs pu s'y rendre cette année au sein de la délégation française et pourra peut-être nous en dire un mot. Il est à noter qu'en septembre 2019 cette réunion aura lieu devant l'Assemblée générale des nations unies au niveau des chefs d'État et de gouvernement.

Au niveau français, le suivi de ces objectifs de développement durable est assuré par la Déléguée interministérielle au développement durable - que nous avons reçue devant notre commission, Mme Monnoyer-Smith, mandatée par le Premier ministre et en partenariat avec le ministère des affaires étrangères.

Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) du 8 février 2018 a mis en place un comité de pilotage interministériel des ODD (à l'image de ce qui avait été fait pour la COP 21), qui a été réuni pour la première fois le 26 avril 2018 sous l'égide des secrétaires d'État Brune Poirson et Jean-Baptiste Lemoyne. Il s'agit en fait d'une instance de débat et d'échanges, regroupant les représentants de l'État et de toutes les parties prenantes (organismes de recherche, assemblées territoriales, ONG, associations, élus, entreprises, etc) et qui a pour mission de construire collectivement la feuille de route sur la mise en oeuvre par la France des 17 objectifs de développement durable.

Vous l'aurez compris, si on veut que la société civile et les territoires s'emparent des objectifs de développement durable et donc faire des progrès dans leur mise en oeuvre en mobilisant tout le monde, l'enjeu est désormais de passer en quelque sorte d'un « objet technocratique non identifié » à des objectifs partagés par tous et mis en oeuvre à tous les niveaux.

Je suis de ceux qui préfèrent voir le verre à moitié plein qu'à moitié vide, vous le savez. Et il y a de quoi, car du chemin a déjà été fait. Je pense notamment à deux avancées importantes : tout d'abord l'Insee a déjà sélectionné 98 indicateurs (parmi les 232 suivis au niveau mondial) adaptés au contexte français et qui serviront de référence pour mesurer la mise en oeuvre des objectifs du développement durable par la France. C'est un premier pas institutionnel important. Ensuite, le dernier comité interministériel de la coopération internationale et du développement dont je vous parlais tout à l'heure mentionne explicitement que le Gouvernement s'engage à « rendre, lorsque cela est pertinent et possible, ses indicateurs de performance budgétaire (PAP/RAP) plus cohérents avec les objectifs de développement durable, tout en conservant des indicateurs d'efficacité et d'efficience dédiés ». Cette mention a été, je crois, très difficile à obtenir. C'est un pas important. Et depuis, les équipes du CGDD, en lien avec Bercy, réfléchissent à comment intégrer les objectifs de développement durable dans notre processus budgétaire national.

Cette question est très importante car le budget, nous le savons bien, est la principale expression politique et économique de la politique gouvernementale. L'intégration des objectifs de développement durable dans le budget permettrait d'améliorer la cohérence des politiques publiques, de renforcer la responsabilité des acteurs et de faciliter les comparaisons internationales. Plusieurs pays se sont d'ailleurs déjà engagés sur cette voie, comme le montre une note de l'Iddri de juillet dernier, que je vous invite à lire.

Cette note identifie différentes manières dont ces pays ont choisi d'intégrer les objectifs de développement durable dans leurs processus budgétaires. Une première manière est d'évaluer l'ensemble des dépenses effectuées par objectif de développement durable et d'en faire une cartographie permettant de voir quels objectifs de développement durable ont prioritairement bénéficié des crédits d'un budget (c'est la voie choisi par l'Inde et par le Bénin il me semble). Mais cette solution présente la difficulté d'être complexe à mettre en oeuvre pour une plus-value discutable et surtout d'être postérieure à l'adoption du budget.

Une deuxième manière est d'inclure un rapport sur les politiques contribuant à la mise en oeuvre des objectifs de développement durable dans le principal document budgétaire : c'est le cas de la Norvège par exemple. Cela se traduit en fait par un chapitre qualitatif sur l'état de mise en oeuvre des objectifs de développement durable. L'avantage est que ce chapitre peut permettre à une coalition d'ONG d'établir un contre-rapport et donc permet à la société civile de s'en saisir. En revanche, je crois que cette option présente un très gros inconvénient, c'est qu'elle permet de se « débarrasser » du sujet « objectifs de développement durable » par la publication d'un énième document budgétaire « à part » que peu de monde lira, non connecté aux documents budgétaires par mission et par programme et donc peu opérationnel.

Une troisième manière, plus rare, consiste en une utilisation des objectifs de développement durable pour améliorer le système d'évaluation de performance budgétaire : c'est cette solution, à mon sens, que nous devons pousser, si l'on veut que les objectifs de développement durable intègrent notre processus budgétaire de manière efficace et concrète.

Au-delà de ces options identifiées par l'Iddri dans sa note comparative, et étant donné les spécificités de la discussion budgétaire française, quelques pistes ont été lancées lors de l'atelier de travail organisé par le CGDD auquel j'ai pu participer il y a dix jours : créer un tableau de bord budgétaire des objectifs de développement durable à partir des indicateurs financiers des objectifs de développement durable ; faire un rapport sur les objectifs de développement durable dans le cadre de la proposition budgétaire - comme je vous l'ai dit cela ne me semble pas la meilleure solution - ; évaluer l'impact des impôts et subventions sur un certain nombre d'objectifs de développement durable (c'est par exemple ce que la Finlande a prévu de faire). Cette dernière piste me semble également très intéressante et je crois que l'on pourrait utiliser la possibilité qui va très prochainement nous être offerte au Sénat de commander des études afin d'en commander une sur les taxes et subventions néfastes sur un certain nombre d'objectifs de développement durable ciblés. Il est en effet absurde d'accorder une aide financière à des actions contreproductives pour l'environnement, alors que l'on a fixé ces ODD.

Quelle que soit la solution ou la combinaison de solutions qui sera finalement retenue par le Gouvernement pour faire évaluer sa proposition budgétaire, cela ne pourra être concret au mieux qu'à partir du budget de l'année prochaine. En outre, un des enseignements de cet atelier, où la représentante de l'administration finlandaise nous a exposé le cas de son pays, c'est l'importance, d'une part d'identifier les priorités nationales, et d'autre part d'avoir un soutien et même un engagement du ministère des finances. Lors de cet atelier, nous avons eu une contribution remarquable et motivée d'un fonctionnaire de la Direction générale du Trésor. Il pourrait être intéressant de l'auditionner, dans le cadre du groupe de travail.

Or, l'un des enjeux sur l'appropriation des objectifs de développement durable est également comment le Parlement se saisit de cette question.

Nous nous sommes mobilisés au Sénat, et plus particulièrement au sein de notre commission, depuis déjà plus d'un an. Nous avons par exemple organisé une table ronde et publié un rapport d'information sur ce sujet en juillet 2017. Dans ce rapport, nous recommandions d'ailleurs une plus grande implication du Parlement sur le suivi de la mise en oeuvre des objectifs de développement durable, notamment au moment de la discussion budgétaire. Plus récemment, nous avons élargi les compétences de notre groupe de travail sur le suivi des négociations climatiques internationales, que j'ai l'honneur de présider, au suivi des objectifs de développement durable. Les deux sont en effet liés. Notre groupe comporte à ce jour 15 personnes. Il est bien sûr ouvert à tous les membres de cette commission. Il pourrait être également important qu'il y ait des collègues d'autres commissions. J'ai pris le soin de commencer à en parler à quelques collègues de la commission des finances, pour que celle-ci soit plus sensible à ces questions, notamment lors de l'examen du budget.

Je crois qu'il est important que nous soyons exemplaires en la matière. Et c'est pour cette raison que le bureau a décidé d'essayer d'intégrer, dès cette année, dans chacun de nos avis budgétaires, la question des objectifs de développement durable. Et ce sont nos rapporteurs budgétaires qui feront ce travail de sensibilisation. Je pense aux Agenda 21 qui ont vu le jour dans les collectivités territoriales. Cela a été pour beaucoup d'entre nous une première sensibilisation à ces questions et à ces méthodes de travail. La territorialisation des objectifs de développement durable dans le cadre du budget des collectivités serait une bonne chose. En effet, aucun relai n'a été pris à la suite des Agendas 21.

L'atelier de travail auquel j'ai participé était conclu par un représentant du ministère des affaires étrangères et du développement international qui indiquait qu'ils avaient déjà fait l'effort d'intégrer les objectifs de développement durable au sein du document budgétaire du programme 209 sur l'aide au développement, notamment en repensant certains de leurs objectifs et indicateurs. Nous pourrions peut-être nous en inspirer.

Voici en quelques mots, mes chers collègues, ce que je tenais à vous dire sur ce sujet, sur lequel nous devons je pense, à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, être proactifs et prosélytes.

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