Intervention de Éric Backes

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 5 avril 2018 : 1ère réunion
Risques naturels majeurs dans les outre-mer — Visioconférence avec la nouvelle-calédonie

Éric Backes, directeur de la sécurité civile et de la gestion des risques (DSCGR) de la Nouvelle-Calédonie :

Le mode d'organisation de la sécurité civile en Nouvelle-Calédonie est comparable à celui de l'hexagone, même si le transfert de compétence de 2014 a introduit quelques particularités dans ce système.

L'État reste le garant de la cohérence nationale en matière de sécurité civile. Cette prérogative, héritée du code de sécurité intérieure, a été inscrite à l'article LO.200-1 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Elle garantit notamment au haut-commissaire un pouvoir de substitution au président du gouvernement qui peut s'exercer dans le cadre d'une gestion de crise après une mise en demeure restée sans effet et, le cas échéant, en cas de manquement de la part du président du gouvernement.

Le citoyen reste par ailleurs le premier acteur de la sécurité civile, en hexagone comme en Nouvelle-Calédonie, puisque l'efficacité de l'action des pouvoirs publics dépend en grande partie des comportements individuels des citoyens en cas de crise.

Au niveau institutionnel, les pouvoirs de police du maire confèrent à ce dernier une place centrale dans l'organisation de la sécurité civile. L'article 131-2 du code des communes de Nouvelle-Calédonie, qui reprend une disposition du code général des collectivités territoriales, dispose que « la police municipale a pour objet de prévenir par des précautions convenables et de faire cesser par la distribution des secours, les accidents, les fléaux calamiteux, les pollutions ».

Pour autant, le transfert de cette compétence à la Nouvelle-Calédonie, le 1er janvier 2014, a introduit des spécificités telles que la reconnaissance du président du gouvernement comme l'un des acteurs principaux de la sécurité civile. Celui-ci dispose de nouvelles compétences normatives, mais aussi d'une responsabilité opérationnelle importante puisqu'il prend la direction des opérations de secours dans le cadre de la gestion de crise. Cette responsabilité dans l'organisation des opérations de secours a nécessité le transfert de pouvoirs spéciaux jusqu'alors réservés aux préfets tels que la réquisition de tous moyens privés et publics et la substitution aux autorités communales.

L'organisation des secours s'inscrit donc dans le cadre des pouvoirs de police du président du gouvernement, sous le vocable d'« organisation de la réponse de sécurité civile » (ORSEC), également utilisé dans l'hexagone.

En ce qui concerne la répartition des rôles pendant la crise, le maire est responsable en première intention de la gestion d'un événement circonscrit au périmètre communal. Il s'appuie pour cela sur son centre de secours, le chef de corps ou le premier officier sapeur-pompier sur les lieux, qui devient alors le commandant des opérations de secours, ainsi que sur le poste de commandement communal dont la mission est de coordonner la réponse à la crise.

Si l'événement dépasse ce périmètre, le président du gouvernement prend la direction des opérations de secours en s'appuyant sur ses moyens propres mais aussi sur les moyens privés et communaux par réquisition et sur les moyens de l'État présents en Nouvelle-Calédonie par une demande de concours.

Si l'événement intéresse l'ensemble de la zone de défense, le haut-commissaire peut faire valoir son droit de substitution après mise en demeure afin de prendre la direction des opérations de secours. Le haut-commissaire gère alors l'ensemble des moyens locaux et des renforts nationaux nécessaires à la résolution de la crise.

Dans le domaine de la coordination des acteurs et des remontées d'informations, la Nouvelle-Calédonie s'est dotée, après le transfert de compétence, d'un organe opérationnel de coordination de crise sur le modèle du centre de veille, d'information et de gestion de crise (COGIC) du ministère de l'intérieur. Ce centre opérationnel de gestion de crise a pour vocation de rassembler l'ensemble des acteurs compétents issus des services de l'État et de la Nouvelle-Calédonie, civils et militaires. Le centre fait remonter les informations au président du gouvernement mais aussi au haut-commissariat par l'intermédiaire de l'état-major interministériel de zone de défense (EMIZ) et au ministère de l'intérieur via le COGIC. Dans cette perspective, nous avons obtenu la délégation pour pouvoir renseigner directement le portail ORSEC Synergie qui permet d'alimenter le COGIC. Lors du passage du cyclone Hola, par exemple, le COGIC nous a sollicités à plusieurs reprises afin d'obtenir des points de situation réguliers.

Je terminerai ma présentation en vous présentant le fonctionnement de notre schéma d'alerte. Lorsqu'un témoin signale un événement de sécurité civile, il compose les numéros des primo-intervenants que sont la police, les pompiers et le centre de communications maritimes (RMCC). Dans l'immense majorité des cas, ces acteurs résolvent la crise sans avoir besoin d'actionner le reste de la chaîne de secours. Dans l'hypothèse où l'événement nécessite des moyens supplémentaires, il existe un numéro unique de gestion des risques, le 119, qui permet de joindre la veille permanente du centre opérationnel de gestion de crise du gouvernement. Le dispositif de coordination interservices peut donc être activé à tout moment et monter en puissance en fonction de l'ampleur de la crise. Différents types d'organisation, détaillés dans le diaporama qui vous sera transmis, peuvent alors être déployés. L'objectif premier du centre opérationnel est de fiabiliser l'information qui remonte aux autorités. En fonction de l'évolution de la crise, des modules complémentaires peuvent être activés tels qu'une cellule d'information aux populations avec un numéro vert d'urgence, le 05 05 05, afin de désengorger les lignes des services de secours et de permettre aux acteurs de se focaliser sur la gestion de la crise. À titre d'exemple, nous pourrions mettre en place cette cellule en cas de crash aérien, hypothèse sur laquelle nous travaillons actuellement dans le cadre du plan ORSEC.

Il existe d'ailleurs de nombreux dispositifs ORSEC en Nouvelle-Calédonie puisque le corpus se décline à la fois en dispositions générales et en mesures spécifiques. La planification ORSEC permet ainsi d'anticiper sur les événements et d'adapter au mieux la gestion de crise à la situation sur le terrain. Le dispositif général ORSEC de 2012 est hérité des dispositions générales applicables avant le transfert de compétence. À ce schéma générique s'ajoutent des plans spécifiques tels que « centre d'accueil et de regroupement des victimes » (2012), « nombreuses victimes » (2012), « feux de forêt » (2012), « tsunami » (2012, en cours d'actualisation) ou « risques cycloniques » (actualisé en 2014 et en 2018). Le plan ORSEC « maritime » a également été actualisé en 2015 afin d'articuler les services de gestion de crise terrestres et maritimes. Enfin, le plan « événements météo dangereux » a été adopté en 2017 par le président du gouvernement et le plan « pollmar-terre » est en voie de finalisation. Enfin, des plans particuliers d'intervention (PPI) viennent compléter cette boîte à outils afin de répondre efficacement aux crises qui peuvent se produire sur des lieux stratégiques tels que les grands barrages et les sites industriels de Goro et de Doniambo. Le PPI « bassin industriel de Numbo » qui regroupe les dépôts de gaz, un dépôt pétrolier et une usine fournissant des gaz domestiques, vient également d'être adopté. Les PPI font l'objet d'actualisations régulières.

Même si certains événements ne sont toujours pas couverts par les dispositifs ORSEC, les risques de sécurité civile susceptibles d'affecter la Nouvelle-Calédonie sont bien appréhendés, d'autant que le plan ORSEC général est conçu pour pouvoir s'adapter à n'importe quelle crise.

Par ailleurs, il me paraît important de vous apporter des précisions supplémentaires sur le transfert de la compétence sécurité civile à la Nouvelle-Calédonie, événement inédit dans l'histoire de la Ve République puisqu'il s'agit d'une prérogative régalienne.

Nous sommes un laboratoire de la décentralisation.

En 2012, le Congrès de Nouvelle-Calédonie a adopté la loi de pays fixant le cadre et l'échéancier du transfert de compétence, initialement prévu pour le 1er janvier 2014. En août 2013, une direction de préfiguration a été créée pour accueillir le service et les moyens transférés. Le décret du 27 décembre acte le transfert et l'arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, publié quatre jours plus tard seulement, agrège la direction de la sécurité civile et la direction de la gestion des crises au sein d'une même entité. Cette nouvelle direction sera mise à contribution quelques semaines plus tard seulement avec les événements cycloniques de la saison 2014. Elle compte aujourd'hui 43 agents, répartis en 4 services. Le service de planification est responsable des dispositifs ORSEC et de la prévention des risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, mission qui incombait déjà à la Nouvelle-Calédonie avant le transfert. Le service opérations et gestion de crise et le service d'assistance technique aux acteurs de la sécurité civile assurent le bon déroulement des opérations en gérant respectivement les moyens et la coopération entre les différents interlocuteurs concernés. La direction compte également un service dédié à la formation.

Compte tenu de la distance qui sépare la Nouvelle-Calédonie de l'hexagone et de ses voisins, il est rapidement apparu que le territoire devait se doter des moyens pour faire face seul à une crise majeure de sécurité civile. L'État est bien sûr présent à nos côtés, mais les renforts nationaux ne peuvent arriver en moins de 48 ou 72 heures sur place. Nous devons donc être en capacité d'assurer un service minimum aux populations durant ce laps de temps. Pour cela, une unité d'intervention de la sécurité civile (UISCNC) a été créée. Contrairement à ses homologues métropolitaines, cette unité ne fonctionne pas sous statut militaire puisqu'elle est composée d'une centaine de sapeurs-pompiers civils volontaires formés à la gestion des risques. Or, puisqu'il s'agit de sapeurs-pompiers volontaires, le taux de mobilisation effective lors d'une intervention est de 30 % environ. Ces moyens modestes ont suffi à gérer les crises auxquelles nous avons étés confrontés depuis 4 ans. Cette unité est même intervenue sur des théâtres d'opération extérieure sur demande de l'État. Le risque principal auquel ces sapeurs-pompiers sont confrontés est l'incendie puisque les feux de forêts ravagent régulièrement la brousse calédonienne. La cellule est donc bien équipée pour faire face à ce type de crise et assister les communes qui conservent la responsabilité en première intention. Les sapeurs-pompiers sont également formés à des situations spécifiques telles que le secours en milieu périlleux et les feux d'hydrocarbures. Nous travaillons par ailleurs à fournir à l'UISCNC les moyens de faire face aux risques technologiques et de réaliser des opérations de sauvetage de type déblaiement. Les communes ont la charge d'organiser les opérations de secours lorsqu'il s'agit de risques courants, mais la Nouvelle-Calédonie a l'obligation de déployer les moyens adéquats pour faire face aux risques particuliers tels que les cyclones et les séismes.

Il convient à présent de vous apporter quelques précisions sur la prévention des risques. Avec le transfert de compétence, nous avons pris conscience de l'inadéquation de certains documents de sécurité civile aux risques présents en Nouvelle-Calédonie. Dans ce contexte, un dossier sur les risques majeurs (DRM), équivalent du dossier départemental sur les risques majeurs, a été réalisé avec le concours de toutes les directions de Nouvelle-Calédonie. Ce document, adopté en 2016 par le président du gouvernement et diffusé à tous les acteurs, vise à identifier les risques potentiels sur chaque commune et apparaît donc comme le premier échelon en matière de prévention. Il permet à la fois d'informer sur les risques mais aussi sur les conduites à tenir et l'organisation des secours. Le document d'information communale sur les risques majeurs (DICRIM), adopté dans le même temps, permet de décliner le DRM pour chaque commune. Celui-ci sera actualisé au moins tous les 5 ans.

En parallèle, la Nouvelle-Calédonie a mis en place plusieurs campagnes d'information à destination du grand public dans le but de sensibiliser la population à l'existence de ces risques majeurs et aux conduites à tenir en cas de crise. Des spots radiophoniques et télévisés ainsi que des plaquettes informatives ont ainsi été diffusés en ce qui concerne le risque cyclonique et les feux de brousse. En outre, en collaboration avec l'État, 70 jeunes de moins de 26 ans ont été recrutés en service civique en tant qu'auxiliaires de la sécurité. Mis à disposition des communes, ces jeunes sont formés et équipés pour se déplacer sur le terrain et sensibiliser la population à ces problématiques, en particulier durant la saison des feux.

En ce qui concerne le risque tsunami, l'État a transféré en 2007 une cinquantaine de sirènes d'alerte aux communes. En 2015, les conclusions de l'audit sur l'efficacité du dispositif ont incité les communes à transférer la propriété des sirènes à la Nouvelle-Calédonie afin de centraliser le système au sein de la direction de la sécurité civile. Le réseau d'alerte, qui compte 59 sirènes, peut donc être déclenché depuis Nouméa mais aussi depuis chaque commune, sur tout ou partie du territoire. La Nouvelle-Calédonie fait l'effort d'entretenir ce parc et de le compléter à raison de deux à trois sirènes par an en fonction des besoins du territoire. À l'heure actuelle, la moitié de la population concernée par le risque tsunami se situe dans une zone couverte par ce réseau d'alerte. Ce ratio devrait être amélioré progressivement. Nous organisons des exercices réguliers - le dernier datant d'hier - afin de vérifier la qualité du réseau, ce qui nous permet d'afficher un taux d'efficacité de l'ordre de 93%. Le Pacific Tsunami Warning Center (PTWC), centre régional situé à Hawaï, nous envoie les alertes sismiques et les prévisions de tsunamis. À partir de ces informations, la Nouvelle-Calédonie peut prendre la décision de déclencher l'évacuation préventive des populations.

Je conclurai mon intervention en vous donnant quelques informations sur le plan de prévention des risques naturels (PPRN). Cette démarche, initiée dans l'hexagone en 1995, reste au stade embryonnaire en Nouvelle-Calédonie en raison de la persistance d'une certaine ambiguïté sur la répartition des responsabilités entre les différents acteurs institutionnels. Le Conseil d'État, dans un avis du 31 octobre 2017, a rappelé la finalité de sécurité civile des PPRNP et précisé, en allant à l'encontre de ses avis précédents, qu'il revenait à la Nouvelle-Calédonie de définir le régime des PPRNP et les modalités de leur mise en oeuvre tout en respectant le partage des compétences spécifiques au territoire. En matière d'urbanisme, en effet, les provinces et les communes - lorsqu'elles disposent d'un plan d'urbanisme directeur (PUD) -, sont compétentes. Or, le document d'urbanisme est l'une des composantes principales du PPRNP. Différents groupes de travail ont donc été mis en place au niveau des services afin de définir une stratégie qui sera présentée aux autorités de la Nouvelle-Calédonie puis aux partenaires provinciaux et communaux.

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