Au sein du groupe Suez, je suis en charge de tous les territoires, à l'exclusion de l'Île-de-France. 2017 a été une année chargée en crises liées à des événements climatiques extrêmes, et ce partout où nous intervenons en outre-mer.
Vous avez dans les documents que nous vous avons transmis les retours d'expérience sur ces différentes crises. Je vais aujourd'hui illustrer mon propos avec l'un de ces épisodes : la gestion de la crise liée à l'ouragan Maria par la société Martiniquaise des eaux. Pour vous donner une idée de l'ampleur de l'épisode, et même si la Martinique a été moins impactée par l'ouragan que la Guadeloupe, au plus fort de la crise, 20 % des usagers ont été privés d'eau courante.
La gestion d'une crise liée à des risques naturels n'est pas différente par nature en outre-mer qu'en métropole. Les principes que vous avez posés dans votre document de cadrage sont les mêmes. En revanche, des différences existent du fait de la violence potentielle des épisodes climatiques, de l'éloignement et de l'isolement de certains territoires, en particulier au plan logistique.
Des différences sont également à souligner dans la nature de nos interventions par rapport à celles d'autres opérateurs de réseaux. Comme pour l'électricité ou les télécommunications, nous organisons le rétablissement de la continuité de service, et donc la remise en état de fonctionnement des infrastructures, qui sont par nature essentiellement souterraines. À cela s'ajoute une autre composante, spécifique aux métiers de l'eau, celle de la santé publique et la qualité de l'eau distribuée. L'assainissement, quant à lui, constitue un sujet à part entière que nous n'aurons pas le temps d'aborder dans le détail. Après des pluies extrêmes, les ressources en eau sont en général turbides, c'est-à-dire que l'eau est trouble, chargée en matières en suspension et contaminée par des bactéries. Il faut donc, au-delà de la réparation des infrastructures, plusieurs jours, voire plusieurs semaines pour revenir à la normale et alimenter la population en eau potable. Pour faire écho aux propos de M. Christian Gosse, cela pourrait être considéré comme la phase de sécurisation.
En outre, nous partageons la responsabilité avec d'autres acteurs puisque nous intervenons pour le compte d'une collectivité. Notre domaine d'intervention varie en fonction de la nature de notre contrat. En règle générale, les collectivités conservent la maîtrise des investissements. Nous intervenons alors en exploitant pour remettre en service le réseau, mais nous ne finançons pas les investissements lourds pour réparer les infrastructures. Nous sommes donc en dialogue permanent avec la collectivité au moment de la crise, mais également pour penser l'après-crise, d'où l'importance des retours d'expérience construits avec notre partenaire.
Enfin, la continuité du service de l'eau est très largement dépendante des autres opérateurs, d'énergie bien sûr pour permettre le pompage et le remplissage des réservoirs et, dans une certaine mesure également, des télécommunications, à la fois pour communiquer avec nos équipes et pour télé-contrôler et télécommander les ouvrages. Cette dépendance rend nécessaire le dialogue avec les services en charge de l'énergie et des télécommunications en amont et pendant la crise. Je profite donc de cette intervention pour rendre hommage aux autres opérateurs qui mettent tout en oeuvre pour remettre le plus rapidement possible en état de marche leurs réseaux.
Chez Suez, la gestion de crise repose sur deux piliers essentiels sur lesquels il faut travailler et progresser en permanence : la préparation et la communication.
La préparation consiste à s'assurer que tous les moyens nécessaires, qu'ils soient humains, matériels ou logistiques, seront disponibles au moment où ils devront être mobilisés. Cela consiste également à acquérir les réflexes nécessaires aux interventions en urgence et en situation de crise. Des progrès sont à faire dans ce domaine.
La communication, qui n'a pas été abordée jusqu'ici, est une dimension essentielle qui doit être prise en compte avant, pendant et après la crise. Nous sommes en contact avec toutes les parties prenantes à chaque étape, c'est-à-dire avec les autorités publiques, mais aussi les autres opérateurs, nos salariés, les usagers qui veulent de plus en plus être informés en temps réel. Nous communiquons en permanence avec notre client, la collectivité, afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle d'autorité organisatrice.
J'aimerais revenir plus en détails sur ces deux piliers et, en premier lieu, la préparation. Préparer une crise, c'est tirer les enseignements des crises précédentes, d'où l'importance cruciale des retours d'expérience.
Le document que vous avez entre les mains est celui que la Société martiniquaise des eaux a remis à ses deux délégants : les communautés d'agglomération Espace Sud et Cap Nord à l'issue de l'ouragan Maria. À partir de ce type d'analyse, nous pouvons donc améliorer ensemble les dispositifs. Sur cet épisode particulier, la gestion de crise a été jugée performante, ce qui explique que peu de recommandations aient été formulées. Ce document nous permet de maintenir le dialogue et de progresser pour les crises suivantes.
La préparation de la crise passe également par la réalisation de l'ensemble des études et des plans nécessaires, qu'ils soient prévus par la réglementation ou conçus par nous pour que nous soyons pleinement opérationnels au moment critique. Le code de la santé publique prévoit la production de nombreux documents tels que les études de vulnérabilité. Le plan interne de crise est une exigence du code de la sécurité intérieure et le plan de continuité d'activité est prévu pour les opérateurs d'importance vitale au titre de la directive nationale de sécurité du secteur de l'eau. La réglementation dans ce domaine est donc large, touffue et complexe. Sous différents angles, ces plans permettent d'analyser les risques, de pallier les conséquences les plus graves de la défaillance des installations et d'assurer le plus rapidement possible une distribution adaptée permettant la satisfaction des besoins prioritaires définis par l'autorité organisatrice et de rétablir un fonctionnement normal du service. Tout ce travail doit donc être fait avec la collectivité, autorité délégante qui fixe ses priorités et ses objectifs, ce qui n'empêche pas l'opérateur de concevoir des plans secours. Ceux-ci définissent des modes opératoires détaillés pour un fonctionnement en mode dégradé, à l'image d'un dispositif ORSEC eau potable. Même si Suez a élaboré de nombreux plans, des progrès sont encore à faire car les plans internes de crise ne sont pas développés avec la même rigueur dans toutes les collectivités.
Toutefois, pour être efficace au bon moment, il est également nécessaire de s'entrainer, c'est-à-dire de faire des exercices de crise pour tester le fonctionnement des cellules de crise, en interne et avec tous les autres acteurs. De ce point de vue, les pratiques sont encore hétérogènes entre les différents départements ou collectivités. Le retour d'expérience à l'issue du passage de Maria, par exemple, a montré que des exercices plus récents en Guadeloupe, avec les collectivités et les opérateurs, auraient permis d'accélérer notre temps de réponse. Je ne saurais donc trop recommander de maintenir ces exercices de crise, non seulement en interne mais avec l'ensemble des acteurs concernés.
La communication avec l'ensemble des parties prenantes constitue le deuxième pilier de la gestion de crise. Je ne reviendrai pas sur la communication avec les acteurs publics au travers de la cellule de crise, décrite dans les documents qui vous ont été distribués. Dans le cas de Maria en Martinique, le système a bien fonctionné. Mais la communication, c'est aussi être capable de mobiliser les salariés qui doivent intervenir ainsi que les forces d'action rapide. L'information des salariés est donc primordiale car nous devons être en mesure de leur communiquer les consignes en temps réel.
La communication passe aussi par le fait de tenir informés les usagers des dysfonctionnements et du délai de retour à la normale, au travers de canaux traditionnels, téléphoniques, de la radio, très écoutée en période de crise, ou des canaux digitaux quand ils fonctionnent, sites internet ou réseaux sociaux. Cette communication doit évidemment être maintenue du début à la fin de la crise avec notre délégant qui pilote, contrôle et joue son rôle d'autorité organisatrice, y compris en décidant, après la crise, de réaliser les investissements nécessaires pour remettre en état le réseau.