Intervention de Nicolas de Saint Martin

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 7 mars 2018 : 1ère réunion
Risques naturels majeurs dans les outre-mer — Audition des opérateurs de réseaux

Nicolas de Saint Martin, chargé de mission auprès du secrétaire général de l'Eau France pour Veolia :

Pour illustrer notre propos, je souhaite évoquer plus en détails le retour d'expérience concernant Irma. Il convient d'abord de rappeler la spécificité de Saint-Martin, qui est une île sèche. Cela signifie qu'à l'état naturel, il est très difficile d'y trouver de l'eau douce. Ainsi, la seule manière de produire de l'eau potable consiste à désaliniser de l'eau de mer. Cela nécessite des capacités techniques particulières. Or, les unités mobiles compétentes et capables d'êtres projetées rapidement sont rares. Faute de personnel qualifié en France, nous sommes allés chercher des unités mobiles adéquates en Espagne. En outre, ayant anticipé l'ampleur du phénomène, nous avons, en amont de la crise, réfléchi aux moyens à envoyer sur place depuis la métropole.

J'ajouterai que nous nous sommes engagés dans un processus très graduel. À l'instar des autres opérateurs de réseaux, Veolia procède au rétablissement du service en plusieurs étapes, Après Irma, les pouvoirs publics et la protection civile ont assuré la distribution d'eau en bouteille. Or, ce dispositif nécessite une logistique lourde et ne peut donc pas être maintenu très longtemps, ce qui nous a fait travailler dans des délais restreints.

Chez Veolia, le processus de rétablissement du service commence par la réparation des moyens de production. Dans le cas d'espèce, ceux-ci avaient été ensevelis par un mur qui s'était effondré. Le fait que nos réseaux soient enfouis présente l'avantage d'une plus grande robustesse, mais cela implique également qu'il est plus difficile de mesurer l'ampleur des dégâts. Paradoxalement, nous ne pouvons identifier le sinistre qu'au moment où la distribution d'eau est rétablie. Nous sommes donc tributaires du rétablissement du courant électrique pour savoir si nos réseaux fonctionnent.

En parallèle de cette étape, qui peut prendre du temps, nous avons collaboré avec la Croix-Rouge et la fondation d'entreprises évoquée plus tôt pour mettre en place des mesures provisoires pour approvisionner la population en eau, en dehors de la distribution de bouteilles. Ainsi, 11 points de distribution avec des réservoirs ont été installés sur l'île. Ces réservoirs ont été alimentés, dans un premier temps, par des camions citernes, avant d'être progressivement reliés au réseau, au fur et à mesure des réparations. Je note que les fuites sur notre réseau étaient 4 fois plus nombreuses qu'en temps normal, ce qui indique que nous avons fait face à un événement exceptionnel. Il s'agit donc d'un processus long.

En outre, les métiers de l'eau sont dotés d'une forte dimension sanitaire. Ainsi, il convient de ne pas oublier la phase essentielle de l'assainissement de l'eau. Notre priorité, après le passage d'Irma, a été d'éviter que des poches d'eau stagnante se forment en raison de la submersion d'installations électriques et l'obstruction des réseaux d'assainissement. Il a donc fallu mettre en place dans l'urgence des systèmes d'évacuation des eaux usées afin d'éviter la prolifération des moustiques et des épidémies.

Quelles leçons a-t-on tiré de cette crise ? D'abord, dans ce genre d'épisodes majeurs, la sécurité des biens et des personnes est une dimension à prendre en considération. Nous avons été fortement pénalisés par les vols de nos groupes électrogènes et de nos stocks de chlore. J'ajouterai qu'en Guadeloupe, pendant la phase violette de confinement qui a suivi le passage de Maria, nos véhicules ont été volés. Nous considérons qu'avec l'évolution des mentalités et de la société, illustrée par les pillages aux États-Unis après Katrina, une gestion de crise de cette ampleur doit pleinement intégrer ce volet sécurité. Ceci est particulièrement important pour les opérateurs d'eau, car les fuites ne sont repérables que la nuit par nos équipes. Nous avons donc dû faire appel à des vigiles d'une société privée pour accompagner nos agents dans leur mission.

Nous partageons également la préoccupation sur la communication et saluons à ce titre le système de radio d'urgence lancé par Radio France, même si nous avons eu quelques difficultés à trouver des interlocuteurs pour faire passer nos messages. Compte tenu des circonstances exceptionnelles, nous n'avons pas eu d'autre solution que de distribuer des flyers pour informer la population. Cette communication doit évidemment être bâtie avec les autorités, c'est-à-dire la préfecture et la collectivité.

J'abonde également dans le sens de ce qui a été dit sur les relations entre les opérateurs et les collectivités. Nous intervenons en tant que fermiers, ce qui signifie que nous ne sommes pas maîtres d'ouvrages. Pour Irma, nous n'avions donc pas la responsabilité d'assurer les ouvrages, les décisions devant être prises par les autorités habilitées à les prendre, en particulier en temps de crise. De même, seule l'ARS, en tant qu'autorité sanitaire, a le pouvoir de donner l'autorisation de consommer l'eau potable. Ces situations sont particulièrement difficiles à expliquer dans l'urgence, d'où l'intérêt d'insister sur le volet prévention en faisant cet effort de pédagogie pendant nos phases d'exercice.

Alors que nous sommes d'ordinaire plutôt bien associés aux cellules de crise, nous n'avons pas été spontanément conviés à la cellule de crise nationale, et tardivement associés à la cellule de crise locale. Cela tient peut-être au fait que nous sommes le plus petit opérateur sur ce territoire et une entreprise privée. Compte tenu de notre expertise, notre devoir est pourtant de porter conseil.

En conclusion, j'insisterai sur la nécessité de multiplier les exercices de crise afin de mieux cerner les responsabilités de chacun des acteurs. En outre, dans cette situation compliquée, nous avons fait en sorte de garantir des conditions de vie telles que nos salariés locaux soient sereins et donc plus efficaces au travail. Cela peut passer pour un passe-droit aux yeux du reste de la population. Or, nous considérons que les problèmes de logistique et d'approvisionnement de nos personnels sont prioritaires car nos agents doivent pouvoir travailler le plus sereinement possible. À titre d'exemple, notre chef d'exploitation, père de famille, a été victime d'une intrusion à son domicile. Il lui était très difficile de venir travailler le lendemain, en laissant sa femme et ses filles seules à la maison. Faciliter la vie de nos employés ne doit pas être considéré comme un passe-droit mais, au contraire, comme un moyen d'améliorer le service public.

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