Intervention de François Lalaurette

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 9 mars 2018 : 1ère réunion
Risques naturels majeurs en outre-mer — Visite de météo france

François Lalaurette, directeur des opérations pour la prévision :

Notre implantation outre-mer est réalisée sous la forme de quatre directions interrégionales : Antilles-Guyane, Polynésie française, Réunion-océan Indien, Nouvelle-Calédonie. Saint-Pierre-et-Miquelon, directement rattaché à la direction générale, a un statut à part. J'ai résumé les missions de Météo France en quatre chapitres : observer, comprendre, prévoir et décider.

L'observation est la base de nos missions. On ne peut rien faire si on ne sait pas le temps qu'il fait. Observer est devenu un métier à plein temps parce qu'il ne suffit plus d'avoir une station de météorologie dans son jardin. Si nous disposons de moyens in situ, si nous continuons à envoyer des ballons, nous avons de plus en plus de données acquises par télédétection, grâce aux radars, aux satellites qui sont des composantes essentielles de notre système. Nous avons également des données d'opportunité : nous bénéficions de plus en plus de mesures extérieures, notamment déployées pour l'aviation commerciale.

Les investissements sont importants. Notre réseau en métropole est constitué de 28 radars. Nous en avons déployé 8 dans les outre-mer : trois dans le secteur Antilles-Guyane - à Kourou le radar est géré en collaboration avec le CNES -, deux à La Réunion et trois en Nouvelle-Calédonie.

Ensuite, la priorité est de comprendre la physique et la dynamique des différents phénomènes. Météo France est un acteur de la recherche : nous travaillons avec les instituts académiques, les universités, dans le cadre de grands consortiums internationaux, mais nous avons nos propres capacités de recherche, ce qui est un élément important pour assurer la liaison entre la compréhension des phénomènes et leur modélisation de façon à pouvoir les prévoir et les interpréter lorsqu'ils se produisent. On est loin d'avoir compris tout ce qui se passe dans un cyclone et c'est un enjeu très important.

Nous disposons des résultats d'un certain nombre de campagnes de mesures, notamment dans le cadre du projet européen Hydrological cycle in Mediterranean Experiment (HyMeX) qui a pour objectif d'améliorer la compréhension et la modélisation du cycle de l'eau en Méditerranée. En effet, les eaux chaudes de la Méditerranée sont propices au développement des phénomènes cévenols qui ont des effets dévastateurs, notamment en termes de crues. Nous cherchons à mieux comprendre ces phénomènes pour mieux les modéliser et mieux les interpréter. Nous déployons également des moyens - y compris aéroportés - en collaboration avec d'autres partenaires et des stations dans les zones polaires.

Prévoir le temps est un vieux rêve que la science moderne commence à appréhender de manière concrète. C'est devenu un problème scientifique bien posé depuis le début du 19e siècle : on connaît les causes, ce qui met les phénomènes en marche, on sait pourquoi la vapeur se transforme en pluie, on peut mettre tous ces phénomènes en équations et on améliore sans cesse les capacités de résolution des problèmes. La précision est bien meilleure et s'améliore tous les jours. Cependant, et comme Poincaré avait eu le premier l'intuition d'un chaos déterministe, on peut affirmer que la connaissance fine des causes ne garantit pas une prévisibilité effective car, en matière de météorologie, de très petites incertitudes sur l'observation de l'état initial peuvent conduire à des situations complètement différentes. Cette intuition a été confirmée par un scientifique du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Edward Norton Lorenz : c'est « l'effet papillon ». Certains théoriciens considèrent ainsi qu'il n'y a pas d'espoir de pouvoir prévoir un cyclone sept jours à l'avance et à cinquante kilomètres de précision. La science évolue et la vérité d'aujourd'hui ne sera peut-être pas celle de demain.

Dans le bâtiment voisin nous disposons d'un centre de calcul dans lequel tournent de très gros calculateurs et nous disposons de modèles de prévisions qui nous permettent aujourd'hui une précision sur l'ensemble du globe correspondant à une grille de représentation de l'ordre de dix kilomètres. Lors des Jeux olympiques d'Albertville en 1992, cette même précision sur une zone de montagne correspondait à une performance pour la direction de la météorologie nationale. Notre modèle opérationnel de très fine échelle est désormais de l'ordre du kilomètre.

La prévision sur une échelle fine nécessite de faire tourner nos modèles une douzaine de fois et une cinquantaine de fois pour une prévision correspondant à un maillage plus large. Malgré ces outils, on voit les incertitudes qui demeurent pour définir la trajectoire du cyclone Hola qui a frappé la Nouvelle-Calédonie. Nos prévisionnistes représentent l'incertitude de prévision, qui existe même à 24 heures, par un panache. En matière d'organisation, c'est un paramètre dont il faut absolument tenir compte. On ne peut pas prévoir ce qui va se passer, à dix kilomètres près, dans les quelques heures qui suivent. Hola, par exemple, ne nous a pas surpris comme a pu le faire Maria : il s'est ralenti et son intensité a été légèrement différente de ce qui avait été prévu.

Je voudrais vous dire un mot sur les centres météorologiques régionaux spécialisés (CMRS) cyclones de l'Organisation météorologique mondiale. L'OMM n'est pas un gendarme mais l'organe de coopération de l'ensemble des services météorologiques mondiaux. Elle a mis en place une veille cyclonique mondiale. Les services météorologiques nationaux restent des maillons essentiels dans la chaîne de prévention et d'alerte des populations par rapport au risque cyclonique. Chaque pays garde la pleine responsabilité, ne serait-ce que parce que les services météorologiques nationaux sont directement en liaison avec les organismes de protection civile et de gestion des catastrophes naturelles. Les CMRS sont quant à eux chargés du suivi opérationnel et de la prévision de « premier niveau » des perturbations tropicales. Pour le sud de l'océan Indien, c'est La Réunion qui assure ce rôle ; pour le Pacifique sud, c'est Fidji ; pour l'Atlantique nord, c'est le NHC de Miami. Un plan d'opération révisé chaque année décrit le rôle du CMRS, les dispositifs de coordination et de soutien et réalise également le retour d'expérience en fin de saison cyclonique de façon à tirer les enseignements avec l'ensemble des services météorologiques nationaux de la région.

Depuis l'année dernière, nous avons développé des moyens de prévision de très fine échelle de l'ordre 2,5 kilomètres. Nous pouvons observer que les simulations réalisées pour l'ouragan Maria, qui a surpris par l'intensité et son passage soudain en catégorie 5, sont assez proches de la réalité observée. Les programmes en cours d'élaboration par Météo France nous font espérer une amélioration significative de la qualité de la prévision dans les années qui viennent sur les Antilles, la région de l'océan Indien, ainsi que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.

Les données du NHC sont mises à notre disposition. Dans le cas d'IRMA, on a vu des pylônes exploser ; on peut donc supposer que les vents ont atteint les 300 ou 350 kilomètres/heure, ce qui est tout à fait exceptionnel. Deux autres modélisations à une échelle fine permettent d'évaluer la surcote et le niveau des vagues de l'océan côtier. Le cyclone est en effet une sorte d'aspirateur qui élève le niveau de la mer et les vents très violents peuvent générer des houles très fortes.

Parmi nos autres missions, qui sont moins liées aux outre-mer, je rappelle que Météo France est un acteur des scénarios climatiques à l'échelle globale en tant que partenaire du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Nous contribuons aux différentes simulations, généralement considérées comme de très bonne qualité par les acteurs internationaux. Une fois les grands scénarios établis, nous effectuons un travail de régionalisation pour observer les impacts locaux : une simulation a ainsi été faite pour la canicule en métropole. Actuellement, nous enregistrons en moyenne trois jours de canicule chaque année.

Je rappelle l'importance de l'enjeu des investissements en termes de puissance de calcul : il faut suivre les évolutions technologiques pour pouvoir mettre à disposition des moyens de plus en plus performants et rester dans la course de la compétition mondiale.

Une fois que l'on a pu observer, comprendre et prévoir, la dernière étape est celle de la décision. Il faut informer nos concitoyens pour qu'ils adaptent leurs comportements en cas d'aléa météorologique. Sur ce plan, c'est la métropole qui apprend des outre-mer : les cyclones sont un phénomène dévastateur et il existe une culture du risque dans les outre-mer beaucoup plus développée qu'en métropole. Le système de vigilance mis en place en 2001 a cherché à se rapprocher des citoyens un peu de la même façon qu'en outre-mer.

Je voudrais signaler que nous avons un certain nombre de responsabilité en matière de support aux autorités en charge des risques chimiques et nucléaires : on a parlé de CMRS pour les cyclones, il en existe aussi pour les risques nucléaires et Toulouse en est un. Nous candidatons en ce moment pour les risques chimiques.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions, ainsi que ma collègue Mme Françoise Bénichou, particulièrement en charge de la problématique de la vigilance et de la diffusion des informations en direct sur internet, en outre-mer comme en métropole.

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