Intervention de David Goutx

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 9 mars 2018 : 1ère réunion
Risques naturels majeurs en outre-mer — Visite de météo france

David Goutx, directeur interrégional pour l'océan Indien :

Ma présentation s'articulera autour de cinq points : l'exposition particulière de La Réunion aux risques météorologiques ; les principes locaux de vigilance météorologique et d'alerte cyclonique ; une illustration avec le cas de la forte tempête tropicale Berguitta du 10 au 19 janvier 2018 ; les productions hors événements et le rôle et les activités du centre météorologique régional spécialisé (CMRS) cyclones.

La direction interrégionale océan Indien a la compétence à la fois sur La Réunion et sur Mayotte. Les dispositifs en vigueur sont identiques sur les deux îles. Comme tous les outre-mer, La Réunion est confrontée à des aléas météorologiques mais la configuration propre de ce territoire amplifie un certain nombre de phénomènes et l'attention que l'on doit y porter.

La Réunion est exposée aux risques météorologiques classiques des tropiques : les cyclones et leurs manifestations physiques. À cela s'ajoute des périodes de fortes pluies hors cyclone - en été comme en hiver - qui peuvent provoquer des inondations assez violentes mais passent souvent inaperçus car on est trop concentrés sur les cyclones eux-mêmes. La Réunion est soumise également à des houles australes qui se forment à longue distance, soit à l'occasion d'un cyclone lointain, soit à l'occasion de tempêtes dans les basses latitudes qui provoquent des dégâts assez conséquents. Il y a enfin des systèmes orageux, les orages des tropiques étant notoirement violents et d'une grande intensité électrique.

Les cyclones se manifestent par :

- des vents cycloniques (rafales supérieures à 150 km/h) qui arrachent les branches, les panneaux de signalisation, les toits d'habitations précaires et les clôtures fragiles, couchent les camions, cassent les arbres, créent des débris et les transforment en projectiles volants mortels pour quiconque se trouve à l'extérieur d'un abri, ce qui conduit à imposer des mesures de confinement ;

- des pluies diluviennes (100 à 500 mm/j) qui submergent les radiers en fond de vallée - le relief est très escarpé à La Réunion - et coupent les routes dans les Hauts, provoquant les crues des ravines et des inondations soudaines - avec des temps de concentration de l'ordre de 15 à 45 minutes à peine - et, selon la topographie, transforment certaines routes en torrents. À cela s'ajoute le fait que La Réunion est un territoire volcanique. Le terrain, très friable, se déstabilise très facilement sous l'effet de la pluie, provoquant des éboulements de toute nature (coupures de route, glissements de terrains,...). Des portions de territoires peuvent glisser sur plusieurs centaines de mètres ;

- des houles cycloniques qui provoquent des risques de submersion marine des zones littorales, un recul du trait de côte et des destructions d'infrastructures littorales.

La saison cyclonique du sud-ouest de l'océan Indien s'étend de novembre à avril. 70 % des systèmes de l'année sont constatés entre décembre et mars, mais il peut y avoir des cyclones pendant toute l'année.

Les trajectoires sont de deux types : les trajectoires zonales, d'est en ouest, qui ont tendance plus directement à toucher Madagascar, et éventuellement Mayotte ou les Comores, et les trajectoires paraboliques. Le système, très classiquement, naît dans la bande intertropicale et dérive d'abord vers le sud-ouest en prenant de la vigueur puis adopte une trajectoire sud-est sous l'effet de la force de Coriolis et s'évacue en rejoignant des latitudes plus tempérées.

La petite taille de La Réunion par rapport aux phénomènes peut produire un effet « tout ou rien » en termes d'exposition aux vents cycloniques : si l'oeil du cyclone passe sur La Réunion, c'est un désastre ; s'il passe à 50 ou 100 kilomètres plus au large, l'île ne subit que des vents forts. L'effet « tout ou rien » rend les prévisions très difficiles car on considère qu'un cyclone peut se décaler de 50 kilomètres en 24 heures. Ce cas de figure peut amener à prendre des mesures de prévention ou de gestion de crise assez dures, de confinement de l'ensemble de la population, voire de suspension de l'activité. Les gens comprennent parfois difficilement que l'ensemble de l'activité de l'île ait été perturbée inutilement, mais on est dans le domaine de l'erreur raisonnable de prévision. La taille de La Réunion et la taille d'un oeil classique sont assez comparables.

Le relief très escarpé de La Réunion, avec deux massifs - et un point culminant à près de 3 000 mètres - et une plaine entre eux, amplifie les vents, avec un effet démultiplicateur du système en mer de 1,5 à 2. Concrètement, le système de dénomination des cyclones n'est pas le même aux Antilles ou en Nouvelle-Calédonie. Chaque bassin cyclonique a sa propre nomenclature qui correspond à l'expression d'une culture du risque régional. Les gens sont très à l'aise avec ça dans la région, même si cela pose des problèmes au niveau national pour comprendre un ouragan sur l'Atlantique et son équivalent dans le sud-ouest de l'océan Indien.

La classification des systèmes commence à être intéressante pour la thématique qui nous réunit à partir de la dénomination de « tempête tropicale modérée », correspondant à des vents sur mer de 63 à 88 km/h et à des rafales dans les hauts comprises entre 110 et 150 km/h. Une « tempête tropicale forte » correspond à des vents sur mer de 83 à 117 km/h et à des rafales entre 130 et 180 km/h. Or, il peut y avoir des vents cycloniques alors même que le système générateur de ces vents n'est pas officiellement un cyclone ! C'est une difficulté importante propre à La Réunion. De plus, les systèmes, avec leurs trajectoires paraboliques, ont évidemment tendance à approcher La Réunion avec un mouvement un peu tournant qui fait que les zones non exposées à un moment donné peuvent se retrouver une à trois heures plus tard soumises à des vents maximaux. Ainsi, quand le système est encore dans le nord-ouest de La Réunion, le nord, les plaines et le sud de l'île sont exposés à des vents très violents. Dans le même temps, le sud-ouest et le nord-est sont exposés à des vents quasi nuls. Les gens ne comprennent pas à ce moment-là qu'on parle de risque cyclonique. Trois heures plus tard, le système s'est positionné plutôt au sud-ouest ; les gens qui subissaient les vents les plus puissants voient ces derniers tomber, avec évidemment le réflexe de sortir pour aller constater les dégâts ou s'enquérir de la santé du voisin. Six ou douze heures plus tard, selon la cinétique du phénomène, le système se décale à nouveau vers le sud-est et, brutalement, les vents reviennent en sens contraire. Vous connaissez l'effet de l'oeil du cyclone qui est très dangereux : au moment du premier mur de l'oeil, les vents sont terriblement violents, personne n'a l'idée de sortir ; suit un temps calme quand on est dans l'oeil du cyclone, avec des vents de moins de 10 km/h puis, celui-ci se déplaçant, arrive le second mur de l'oeil avec des vents très violents dans l'autre sens. La Réunion est exposée à ce risque trompeur de grande accalmie. Pour l'avoir vécu sur Berguitta - un petit système qui n'a pas créé de vents destructeurs - je puis témoigner que c'est très spectaculaire.

Le relief très escarpé de La Réunion provoque également un effet amplificateur des pluies : l'île détient presque tous les records mondiaux de cumuls pluviométriques sur 12, 24 ou 72 heures, liés généralement aux passages de cyclones. Une masse d'air chaud et humide qui bute sur un relief escarpé se refroidit, ce qui provoque des précipitations. Dans une masse d'air humide instable tropicale, l'effet orographique est très puissant. Quand les cyclones butent sur le relief de La Réunion, ils ont tendance à provoquer des pluies nettement supérieures à ce qu'on connaît ailleurs. Les précipitations, d'ordinaire secondaires lors d'un cyclone, prennent à La Réunion un caractère cataclysmique.

Les derniers cyclones dont l'oeil a frôlé l'île sont Dina (2002) et Béjisa (2014), et les derniers à l'avoir frappée sont Clotilda (1987), Firinga (1989) et Colina (1993). En six ans, trois cyclones ont donc atteint directement La Réunion et ont provoqué des dégâts considérables. Depuis, il n'y en a pas eu et donc peu de réunionnais ont vraiment connu des conditions cycloniques totales et peuvent en témoigner. La majorité de la population de l'île a une perception du risque cyclonique liée aux pluies car tous les systèmes qui passent, même à 400 ou 500 kilomètres, amènent des pluies spectaculaires. Elle a tendance à assimiler risque cyclonique et risque de fortes pluies. Il faut lui faire comprendre que les vents sont nettement plus dangereux que les pluies.

Face à ces risques, nous avons un dispositif de vigilance météorologique et d'alerte cyclonique qui vise à donner les informations à la population et aux autorités gestionnaires de la crise pour anticiper ces phénomènes et prendre les mesures adaptées en pré-positionnant éventuellement un certain nombre de moyens. Quand une crise survient et que des routes sont coupées, il y a un très grand effet d'isolement dans les différentes portions de l'île. Si les moyens n'ont pas été pré-positionnés, il risque d'y avoir des problèmes d'acheminement.

Le dispositif de vigilance météorologique entraîne la communication aux autorités et au grand public d'un risque de survenance d'événements météorologiques dangereux dans les prochaines 24 heures (en pratique, 0 à 6 heures d'anticipation), indépendamment de la question d'un éventuel risque cyclonique. Il s'agit soit de fortes pluies, soit de vents forts, soit de fortes houles ou d'orages. Ce dispositif, très directement inspiré de celui qui est connu en métropole, est adapté à chaque outre-mer.

Il y a deux niveaux de vigilance, avec des codes couleur inspirés de ceux de la métropole : la vigilance (couleur orange) et la vigilance renforcée (couleur rouge). Il faut être honnête, les deux notions ne sont pas immédiatement compréhensibles pour tout le monde. Le code couleur a pour objectif de donner l'idée de la gravité de la situation que le simple terme de vigilance renforcée ne suffit peut-être pas à signaler. J'ai tendance à dire chaque année, lors de la sensibilisation des autorités et des services de l'État et des collectivités territoriales, qu'en situation de vigilance, compte tenu de l'habitude des réunionnais des expositions aux risques, ne sont en danger que les imprudents. Si les personnes prennent des précautions ordinaires de prudence, elles sont en sécurité. En revanche, en vigilance renforcée, une vigilance absolue s'impose, des phénomènes d'intensité exceptionnelle sont prévus et même des gens habitués à la météorologie tropicale peuvent être surpris par la virulence du phénomène.

Ce système est infra-départemental. Il distingue au sein de La Réunion 5 zones terrestres à peu près homogènes climatologiquement et 7 zones littorales pour moduler le passage en vigilance renforcée sur les 4 aléas mentionnés précédemment (fortes pluies, orages, vents forts et forte houle). Il est inutile d'inquiéter les gens du sud de l'île quand l'essentiel du phénomène concerne le nord.

La vigilance est multi-aléas et celui qui sévit avec le plus de virulence impose son niveau de vigilance sur la zone.

Ce dispositif est décliné par des mesures de gestion de crise prises à l'échelon communal par le maire ou à l'échelon départemental par le préfet, avec parfois des difficultés de compréhension par la population des mesures prises parce que la plupart des réunionnais connaissent mieux l'alerte cyclonique que la vigilance météorologique. C'est un défaut de la culture réunionnaise du risque.

Le dispositif de prévision cyclonique implique la communication à l'autorité préfectorale des éléments qui lui permettront de décider d'activer les paliers d'alerte cyclonique de son plan ORSEC « cyclones », égrainant une sorte de compte-à-rebours des préparatifs avant impact. L'information porte sur l'imminence de l'approche d'un système cyclonique et les conditions de vents cycloniques.

L'alerte cyclonique, plus simple, s'applique sur tout le département. Il n'y a pas d'alerte cyclonique infra-départementale car, à partir du moment où les bascules de vents sont telles qu'une région qui pourrait sembler préservée un moment est susceptible d'être exposée brutalement à un risque maximal, personne n'est capable de discerner au sein du département des zones qui pourraient être à l'abri pendant toute la durée de l'événement.

L'alerte cyclonique est exclusivement dédiée au risque de « vents cycloniques ». Elle est symbolisée par quatre couleurs :

- jaune clair pour l'état de « pré-alerte cyclonique » : il faut suivre les bulletins d'informations, ne pas entreprendre de longues sorties. Elle est mise en place en cas de menace potentielle dans les jours à venir, plus de 24 heures et usuellement 72 heures. Globalement, 3 jours avant un soupçon de risque cyclonique, nous proposons au préfet de déclencher la pré-alerte cyclonique ;

- orange pour l'alerte orange cyclonique : elle implique la fermeture des établissements scolaires, la suspension des transports scolaires, la mise à l'abri d'un certain nombre d'opérateurs électriques, des organismes qui ont un rôle important dans la vie collective et doivent résister au passage du cyclone mais l'activité économique continue. Elle est mise en place en cas de danger dans les 24 heures ;

- rouge pour l'alerte rouge cyclonique : il faut regagner son domicile, ne sortir en aucun cas de chez soi. Les services de secours ne doivent sortir qu'en cas d'extrême nécessité et si les conditions le permettent raisonnablement. Elle est mise en place en cas de danger imminent (préavis de 3 heures avant le dépassement du seuil de 150 km/h) ;

- bleue pour la phase de sauvegarde cyclonique : elle signifie que la menace cyclonique est écartée mais que des dangers subsistent. Cette phase permet de libérer progressivement la population et des portions du territoire après vérification.

Les deux dispositifs ont des logiques différentes et s'articulent de façon fluide. Ils s'accompagnent d'un grand nombre d'interactions entre Météo France, les autorités locales, les médias et d'autres acteurs de la gestion de crise.

Je vous propose d'illustrer ces propos par une description rapide de la densité croissante des interactions lors de la forte tempête tropicale Berguitta.

Berguitta nous a concernés du mercredi 10 au vendredi 19 janvier 2018. Le stade de cyclone tropical intense a été atteint loin de La Réunion. En s'approchant de La Réunion il est passé au stade de forte tempête tropicale, ce qui correspond à un cyclone de catégorie 2, capable de générer des vents supérieurs à 150 km/h.

Le mercredi 10 janvier, à J-8, nous avons perçu des signaux faibles qui nous ont permis d'anticiper. La préfecture a été informée de l'émergence d'un signal pouvant inquiéter La Réunion autour du 18 janvier. C'est exactement ce qu'il s'est passé et la préfecture, avec laquelle nous avons eu de nombreux échanges, partage notre satisfaction de la justesse de nos prévisions.

Dès le 12 janvier, nous sommes entrés dans la deuxième phase qui correspond au suivi de la perturbation. Nous avons publié la carte de la trajectoire sur notre site internet, avec un cône d'incertitude. Cette carte montre à la fois la position du centre de la dépression, les positions et les intensités futures prévues sur un scénario central expertisé. Le cône correspond à la position du système assorti d'une probabilité de 75 %. L'incertitude sur le centre du système n'est pas négligeable. Dès que La Réunion se trouve dans ce cône, cela signifie que nous avons 75 % de chances d'être concernés.

Le samedi 13 janvier, à J-5, nous étions toujours dans la phase de suivi mais nous devions aussi gérer la fébrilité de la population. Beaucoup de monde accède à beaucoup d'informations, croit détenir l'information qui met en défaut l'information institutionnelle, et la peur a tendance à se propager. Après avoir échangé avec la préfecture, l'aviation civile qui est fortement impactée par le risque cyclonique, et le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), notre rôle est de faire des points clairs et rassurants. Il faut gérer le temps. Il est inutile de se faire peur trop tôt. On a beau faire des prévisions à 5 ou 6 jours, le système ne dévoile sa véritable puissance et sa véritable trajectoire que lorsqu'il s'organise en système cyclonique. Nous sommes passés de quatre interventions en direct dans les médias locaux le samedi 13 janvier, à J-5, à neuf le dimanche 14 janvier, à J-4.

Le lundi 15 janvier, à J-3, nous avons conseillé au préfet de déclencher la pré-alerte cyclonique, ce qu'il a fait à midi. La forte dégradation des conditions météorologiques à partir du mercredi 17 janvier vers 22 heures, a été clairement indiquée. Le PC de l'aéroport a été prévenu afin qu'il soit en mesure de décider de suspendre ou non ses vols au moment des conditions météorologiques les plus dégradées. À partir de cette information, les autorités de l'aviation civile ont annoncé le jour même la suspension des vols à partir du mercredi à 22 heures et décidé d'avancer les départs des vols précédents.

Les jours suivants ont confirmé l'exactitude du scénario envisagé.

Le mardi 16 janvier, à J-2, un certain nombre de signaux de vigilance météorologiques ont été émis. On était encore en pré-alerte cyclonique mais on voyait arriver pour les 24 prochaines heures les fortes houles, premières manifestations des cyclones. Un message de vigilance « fortes pluies » a été lancé à partir de 17 heures puis un message de vigilance « vents forts » à partir de 22 heures.

Le mercredi 17 janvier, à J-1, on était toujours en vigilance sur les trois aléas classiques accompagnant les phénomènes cycloniques et, compte tenu du fait que les prévisions de trajectoire étaient toujours menaçantes, nous avons proposé au préfet de passer en alerte orange cyclonique, ce qu'il a fait à 8 heures. Nous continuions à dresser des points de situation avec le PC de l'aéroport pour confirmer l'exactitude de notre scénario. La suspension des vols fut confirmée. Météo France s'est organisée pour être disponible pour un certain nombre d'acteurs qui ne sont pas ses interlocuteurs privilégiés - le préfet et l'aviation civile - mais ont besoin de précisions. Je pense notamment à la direction des routes de La Réunion, au SAMU et aux pompiers. Chacun d'entre eux souhaitait avoir des clarifications pour éventuellement pré-positionner des moyens. Ces organismes ont également des relations avec le préfet via le centre de crise pour coordonner toutes choses mais l'information doit être, à un moment donné, délivrée dans des termes qui déclenchent une compréhension particulière en fonction de chaque métier.

Le jeudi 18 janvier, le paroxysme météorologique approchait. On est passé en vigilance renforcée fortes pluies dans la deuxième partie de journée. L'alerte orange cyclonique a été maintenue, sans passage en alerte rouge cyclonique car, à 24 heures, la trajectoire et la rétrogradation du cyclone au stade de forte tempête tropicale système étaient telles qu'il allait passer suffisamment loin et serait suffisamment faible, y compris dans les Hauts malgré les effets de relief. Une difficulté tient à ce que les gens s'attendent un passage presque mécanique en alerte rouge et au confinement de la population.

Nous nous sommes retrouvés dans un système pluvieux très intense sur le sud de La Réunion et un temps clair sur le nord. L'île n'est pas très grande mais les deux portions ont vécu des choses très différentes. Nous sommes alors dans la dernière phase, celle de la gestion de la crise et non plus dans l'anticipation. Il faut piloter, heure par heure, le déploiement des secours, constater qu'un certain nombre de choses ne sont plus possibles,...

Le vendredi 19 janvier, le lendemain de la crise, l'alerte orange cyclonique était levée. Elle aurait pu l'être la veille mais il est toujours compliqué d'agir au paroxysme d'un événement et de redescendre d'un niveau l'alerte cyclonique. Le préfet a agréé notre proposition de maintien car la rétrogradation aurait été incompréhensible pour la population. Toutes les alertes vigilance ont également été levées à 8 heures. Nous avons fait un point de situation avec l'aviation civile pour confirmer la possibilité de reprise des vols.

A alors commencé la phase d'identification du caractère exceptionnel des événements pour alimenter les dossiers de déclaration de catastrophe naturelle. C'est une habitude à La Réunion, à peine les événements terminés et parfois même pendant les événements, pour la cellule climatologie de Météo France océan Indien de commencer à préparer ces documents. Le préfet nous a fait savoir dès le lundi qu'il souhaitait disposer rapidement du rapport de pré-expertise pour une réunion publique le mardi, réunissant les maires et les présidents des communautés de communes du sud de l'île, afin d'adresser un signal fort sur l'activation légitime du dispositif CATNAT à la suite du dépassement des seuils de pluies.

Berguitta n'a finalement été qu'une forte tempête tropicale passée à 80 ou 100 kilomètres de La Réunion, soit à peine un ouragan de catégorie 2 dans l'Atlantique mais, compte tenu du relief de l'île, elle a provoqué des vents puissants sans être cycloniques et des pluies diluviennes qui ont battu des records à certains endroits.

En dehors des séquences d'événements météorologiques, Météo France océan Indien contribue à la prévention de plusieurs façons :

- Météo France veille sur les signaux d'activité cyclonique future et émet un bulletin quotidien d'activité cyclonique dans le bassin. En ce moment, nous sentons l'inquiétude monter à Mayotte car certains modèles déterministes laissent entendre qu'il y aurait un risque cyclonique dans les prochains jours. La peur commence à gagner les services de l'État et nous les renvoyons à notre carte quotidienne publiée sur le site internet qui indique que la probabilité à 5 jours d'émergence d'un cyclone ou d'un système dépressionnaire dans l'océan Indien est inexistante. Il faut garder son calme, ne pas perdre son énergie prématurément et la conserver pour le jour où cela se produira effectivement ;

- Météo France est en charge de la prévision saisonnière de l'activité cyclonique, avec une publication au début de la saison cyclonique en novembre et une actualisation à mi-parcours début février. Cette année, on avait considéré en début de saison cyclonique que l'activité serait plutôt inférieure à la normale sur le bassin sud-ouest de l'océan Indien et que le système se concentrerait probablement sur l'ouest du bassin. Finalement, l'activité a été plutôt inférieure à la normale jusqu'à récemment, mais tous les systèmes qui sont sortis de la zone ont menacé des terres habitées. La question principale ne porte donc pas sur le nombre de phénomènes mais sur le caractère habité ou pas des terres concernées ;

- Météo France dresse le bilan de la saison cyclonique en juin et prépare la saison cyclonique suivante avec un exercice de crise cyclonique ainsi qu'une sensibilisation des services de l'État et des collectivités en octobre et un lancement de la saison cyclonique par le préfet, avec notamment l'annonce des nouveautés des plans ORSEC à la mi-novembre ;

- Météo France mène enfin des actions d'information préventive au long cours en participant aux actions « Paré Pas Paré » de la Croix-Rouge, à la journée de la sécurité civile du mois d'octobre et en diffusant la plaquette Vigilances / Alertes cycloniques.

Je terminerai en vous présentant rapidement les activités d'un centre météorologique régional spécialisé (CMRS) cyclones.

Depuis 1993, Météo France océan Indien a l'honneur d'avoir été désigné par l'organisation météorologique mondiale (OMM) pour assurer la fonction de CMRS Cyclones pour tout le bassin sud-ouest océan Indien : cette mission, équivalente à celle assurée par le National Hurricane Center (NHC) de Miami, bénéficie aux quinze pays de la zone ; il s'agit d'une concentration de moyens particuliers - expertise humaine, ressources techniques et informations numériques - dédiés à la surveillance et la prévision des cyclones afin d'avoir une vision exhaustive de ce qu'on peut savoir et de ce qu'on peut avoir à connaître de la météorologie dans le secteur pour pouvoir poser un diagnostic et d'offrir des prévisions cycloniques de la meilleure qualité possible, comme un service de premier niveau pour l'ensemble des pays de la zone. Nous disposons, d'une part, de six ingénieurs prévisionnistes des cyclones et d'un expert de stature internationale et, d'autre part, de deux chercheurs, deux ingénieurs et un technicien mis à disposition de l'Unité Mixte de Recherche (conjointe avec l'Université de La Réunion et le CMRS) qui cherchent à comprendre et à améliorer la compréhension des phénomènes cycloniques et à la traduire en instruments opérationnels d'amélioration de la prévision.

Nous produisons des prévisions cycloniques de référence pour les quinze pays concernés dans la zone. Ils sont contraints de suivre notre analyse sur l'emplacement du centre du système, constaté les jours et les heures précédentes, mais ils restent libres de l'adopter ou de l'adapter. Nous produisons également des prévisions des surcotes marines dans tout le bassin. La plupart des pays de la zone n'ont pas la capacité de faire une modélisation des surcotes marines qui, sur les côtes mozambicaines ou malgache, peuvent être tout à fait meurtrières.

Notre approche des prévisions privilégie de plus en plus les impacts des phénomènes. Il n'est pas très intéressant pour les gens de savoir s'ils subissent un cyclone intense ou très intense. Ce qui intéresse les populations ou les services de gestion de crise, c'est de savoir si des submersions, des inondations ou des destructions vont avoir lieu.

Le CMRS a également comme mission le renforcement des capacités. L'objectif est de faire en sorte que nous ne soyons pas les seuls compétents dans un désert d'incompétence. Au contraire, nous avons intérêt à avoir des interlocuteurs dans les autres pays de mieux en mieux armés pour comprendre la prévision cyclonique et capables de l'adapter à leurs contraintes propres. Pour cela, sont prévus tous les deux ans des stages de formation à la prévision cyclonique de deux semaines des experts des quinze pays de la zone. Nous avons également réactivé depuis trois ans le tutorat d'experts de deux ou trois pays chaque année, pendant deux semaines en immersion au CMRS Cyclones, pour renforcer la compréhension des phénomènes, la façon de travailler au plus haut niveau d'expertise locale et pour créer des liens interpersonnels entre les prévisionnistes. Ces liens interpersonnels favorisent l'efficacité en temps de crise.

Nous avons une mission de capitalisation de l'information sur les événements passés avec une base de données sur les cyclones - accessible sur un site Internet dédié et dans OpenWIS - et une ré-analyse des cyclones passés pour garantir la validité des comparaisons entre différentes périodes d'activité cyclonique. En effet, les cyclones n'étaient pas analysés de la même manière il y a trente ans car les images satellites n'avaient pas la même résolution et il n'y avait pas les mêmes capteurs satellitaires. Sont publiées des monographies des saisons cycloniques. Il est très important de revisiter les chiffres anciens car des cyclones qui avaient été évalués à une certaine intensité peuvent faire l'objet d'une réévaluation. La question de l'impact du changement climatique sur le risque cyclonique se pose également. Si on prend les données brutes dans une base de données et qu'on trace un trait grossier de corrélation, on a l'impression que le risque cyclonique augmente. Or, ce n'est pas tout à fait la réalité. Quand on ré-analyse finement la situation en comparant ce qui est comparable, l'intensité des cyclones constatée depuis trente ans n'a pas varié à la hausse.

Nous avons enfin une mission d'études et d'innovations. Nous sommes loin de tout savoir sur les cyclones ; aussi, quand un cyclone déjoue nos capacités de prévisions, nous étudions les situations ayant déjoué les analyses et les prévisions opérationnelles en temps réel pour découvrir de nouveaux proxys : ainsi l'intensification et l'effondrement records en 48 heures du cyclone Hellen qui avait frôlé Mayotte en 2014 et que nous commençons à comprendre. Nous développons aussi des outils nouveaux répondant aux attentes des utilisateurs tels que les cônes de confiance dans les prévisions de trajectoire ou la carte de prévision de cyclogenèse à 5 jours.

Au-delà du CMRS cyclones qui est l'organe opérationnel de réalisation de la prévision, Météo France Océan Indien assure la présidence pour quatre ans du Comité des Cyclones Tropicaux du bassin sud-ouest de l'océan Indien depuis 2015. Ce mandat est délivré par le président du conseil régional I (Afrique) de l'Organisation météorologique mondiale. Météo France a plus un rôle d'animateur de la feuille de route, de relais d'expression collective des besoins, que de président exécutif. Ceci consiste à implémenter les orientations de l'OMM sur les cyclones et à s'assurer de la concordance entre les besoins des pays de la région et le service rendu par le CMRS Cyclones. Les pays les plus pauvres de la zone du sud-ouest de l'océan Indien cherchent des financements de la banque mondiale, du fonds vert pour le changement climatique et chacun joue un jeu personnel. Ce comité a pour objectif d'organiser la discussion pour que la coopération régionale tire son épingle du jeu et que le financement bénéficie à plusieurs pays, plutôt que de s'épuiser en saupoudrage. Ce comité se réunit tous les deux ans en instance plénière et favorise les initiatives régionales pour renforcer les capacités des pays à prévenir et faire face aux risques cycloniques.

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