Merci de votre invitation, qui vient à un moment où l'on peut s'interroger sur l'émergence d'une diplomatie sportive océanienne des territoires français du Pacifique. Les événements sportifs font vibrer les sociétés, galvanisent les fiertés nationales, remplissent les hôtels et marquent les mémoires des participants. Le sport constitue un élément du rayonnement international et océanien de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et du Territoire des îles Wallis et Futuna. Il s'exprime dans des enceintes multilatérales et à l'occasion d'événements intra-régionaux - notamment mélanésiens - océaniens, ou au niveau de l'Asie-Pacifique ou du monde. Il est le fruit des politiques de chaque territoire, des soutiens récurrents de l'État et des mouvements sportifs nationaux ou internationaux.
Dès la fin des années 1950, les puissances tutélaires du Pacifique insulaire ont estimé que le sport pouvait être une voie de rapprochement entre les peuples océaniens et de leur politique de développement. Afin de développer les échanges et les infrastructures sportives du Pacifique, la Communauté du Pacifique, dont le siège est à Nouméa depuis 1947, décida d'instaurer des Jeux du Pacifique sud. Ils devinrent une réalité en 1963 à Fidji. Cette initiative portée par l'Australie, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et la France se tint pour la première fois alors qu'aucun des douze territoires concourant n'étaient encore indépendant.
À mesure que les États océaniens sont devenus indépendants dans la deuxième moitié du XXe siècle, les puissances tutélaires se sont retirées de l'espace des compétitions sportives. Celles-ci sont donc orchestrées selon les règles des États indépendants, y compris pour les territoires non souverains. Les délégations ont commencé à défiler derrière leurs drapeaux et à entonner leurs hymnes. Une affirmation nationale qui s'est imposée également aux territoires non souverains. Si les délégations néocalédoniennes défilent avec le drapeau français, l'hymne joué est « Soyons unis, devenons frères ». De même, la Polynésie française dispose de son drapeau et de son hymne propre, « Ia ora 'o Tahiti Nui ».
Depuis un demi-siècle, l'intégration régionale est incarnée par les Jeux du Pacifique. S'ils se sont succédé dans un premier temps à un rythme irrégulier, ils sont disputés depuis les Jeux de Papeete de 1971 sur un rythme quadriennal. D'abord connus sous le nom de Jeux du Pacifique sud, ils sont devenus depuis 2011 à Nouméa les Jeux du Pacifique. Ce changement de dénomination traduit aussi une lente reconfiguration géopolitique du Pacifique. Aujourd'hui, ce sont 22 États et territoires qui sont autorisés à participer à l'ensemble des épreuves.
À ce régionalisme océanien sont venus s'ajouter des événements ordonnancés au nom des micro-régionalismes. Les distances l'obligent mais aussi les identités politiques. Le Groupe du fer de lance mélanésien (GFLM) - qui a la caractéristique de compter dans ses membres un parti, le Front de libération nationale Kanak et socialiste (FLNKS), ce qui ne simplifie par les choses - a décidé en 2011 de coordonner les politiques sportives de ses membres, d'organiser des jeux mélanésiens et d'inscrire le sport dans sa politique de long terme, le plan de prospérité pour 2038. Les leaders voient dans les pratiques sportives un facteur d'unification communautaire, pour ne pas dire ethno-politique.
Ils le déclinent à travers des compétitions mais aussi par des instruments administratifs comme une charte des jeux de la Mélanésie, à laquelle le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a été associé. Mais ces ambitions peinent à prendre corps, tout comme les compétitions. Se pose notamment la question de la participation de la partie occidentale de la Papouasie occidentale, sous souveraineté indonésienne.
Une intégration sous-régionale fonctionne : les jeux micronésiens ou MicroGames, qui se tiennent depuis 1969 et sur une base quadriennale depuis 1990. Ils rassemblent des délégations d'États souverains comme Kiribati, Marshall, Nauru, Palaos, des territoires rattachés aux États-Unis comme Guam ou les Mariannes du Nord, mais aussi des athlètes concourant non pas au nom de leur pays mais des territoires constitutifs de celui-ci comme Chuuk, Pohnpei, Kosrae et Yap pour les États fédérés de Micronésie.
On notera par ailleurs que la géographie « compétitive » ainsi esquissée n'est pas juxtaposée à celle des institutions politiques micronésiennes. Non seulement les compétitions se multiplient, mais aussi les épreuves avec l'introduction de compétitions identitaires, qui valorisent les savoirs traditionnels comme aux MicroGames les jeux all around, comprenant la montée de cocotier, le décorticage de noix de coco, le jet de lance sur noix de coco, la pêche sous-marine ou la plongée - souvent les plus populaires et les moins onéreuses puisqu'elles ne nécessitent pas d'infrastructures spécifiques.
Avec la multiplication des compétitions et des épreuves et les coûts liés aux distances, les États ont eu de plus en plus besoin de soutiens extérieurs sous la forme de dons ou de financements - générant de la dette. Ces aides externes proviennent généralement d'un tout petit nombre de pays, la Chine et Taïwan pour l'essentiel, et malheureusement sans beaucoup se soucier du futur des infrastructures installées, en termes d'entretien ou d'usage. En dépit de ces appuis, les États océaniens peinent à tenir leurs engagements et renoncent de plus en plus souvent devant les échéances ; ainsi les îles Marshall ont-elles renoncé aux MicroGames ou Tonga aux Jeux du Pacifique de 2019. Ces ajustements sont d'autant plus problématiques que des solutions alternatives « immédiates » n'existent pas nécessairement, y compris dans les pays et territoires les plus développés. En juillet 2017 en faisant savoir son refus de se substituer aux Tonga pour les jeux du Pacifique de 2019, la Polynésie française a rappelé que, pour se préparer pour un tel événement, il fallait de quatre à sept ans pour être aux normes ou construire de nouvelles installations - dans son cas, il s'agissait d'augmenter le nombre de couloirs d'athlétisme, de construire un nouveau stade de foot et de rénover une piscine olympique. Au-delà des défaillances d'États, il y a des défaillances sportives ; aux MicroGames, une compétition de voile fut annulée faute de compétiteurs suffisamment nombreux pour remplir le quota.
Si les États et territoires peinent à être des organisateurs fiables, ils ne veulent pas renoncer, même pour les plus petits d'entre eux, à accueillir ces événements. Depuis 1981 de nouvelles compétitions ont vu le jour, tels les Mini-jeux, qui sont disputés tous les quatre ans et permettent aux États et territoires les moins développés d'être des lieux d'accueil - comme Wallis-et-Futuna. Au-delà de la fierté légitime d'accueillir de tels événements, il ne faut pas sous-estimer leur impact macroéconomique : à Wallis-et-Futuna, le secteur de la construction a profité de l'organisation en 2011 des Mini-jeux, et sa crise correspond à la fin de ces jeux.
Les grands événements semblent confisqués par un petit nombre d'acteurs, parmi lesquels nos territoires : 60 % des Jeux du Pacifique ont été organisés par Fidji, la Papouasie Nouvelle Guinée et la Nouvelle-Calédonie. En 55 ans, 46,6 % des épreuves ont été organisées sur les sols américain et français. Une statistique que nous devons garder en mémoire puisque un tiers des jeux organisés jusqu'ici l'ont été en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Un poids d'autant plus prégnant que les territoires français sont de très gros pourvoyeurs de médailles avec 39,4 % des podiums - 27,3 % pour la Nouvelle-Calédonie, 10,1 % pour la Polynésie française et 2 % pour Wallis-et-Futuna. Une domination encore plus perceptible lors des Mini-jeux. Sur les dix occurrences, la Nouvelle-Calédonie a terminé trois fois 1ère, quatre fois 2e, deux fois 3e et la Polynésie française a été trois fois 2e et quatre fois 3e en neuf participations.
Cette domination des territoires français et américains interroge. Certains États se demandent s'il ne faudrait pas adapter les compétitions. L'emprise calédonienne sur les jeux a même été un argument des Îles Salomon pour acquérir les jeux en 2011. Il n'y aura pas de remise en cause formelle de la participation de la Nouvelle-Calédonie, mais des demandes d'adaptation, comme cela a été fait pour l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Exclus jusqu'en 2015 ils peuvent aujourd'hui concourir, mais seulement dans des disciplines où les autres nations sont aptes à se mesurer à elles : haltérophilie, rugby à sept, Taekwondo et voile.
Le sport est aussi facteur institutionnel d'intégration. Le monde du Pacifique est issu des décolonisations britannique et française, ce qui implique des pratiques différentes selon les cas : dans les anciennes colonies britanniques, c'est le rugby à treize qui est structurant, dans les anciennes colonies françaises, c'est le football. Il existe aussi des points de rencontre parfois étonnants, tel que la pratique, notamment féminine, du cricket en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna. Les États participent ainsi à d'autres événements intercontinentaux comme les jeux du Commonwealth ou ceux de la Francophonie - ce sera le cas pour la Nouvelle-Calédonie qui vient d'y adhérer - ce qui, compte tenu de la distance, a un coût bien plus élevé.
Cela conduit à s'interroger sur les modèles d'organisation des jeux. Les territoires peuvent vouloir se concentrer sur quelques événements mondiaux plus occasionnels, comme les championnats du monde de pétanque ou de pirogue polynésienne en Polynésie française, la coupe du monde de beach soccer à Tahiti en 2013 - d'autant plus que les Tikis ont été deux fois finalistes en 2015 et 2017 - ou une étape de la coupe du monde de kitesurf freestyle en Nouvelle-Calédonie en décembre 2016.
Concernant les processus purement politiques, les territoires de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française participent aux réunions des ministres des sports du Pacifique, qui permettent de parler des compétitions, mais aussi de lutte contre le dopage - il faudra se pencher sur l'adhésion de la France à l'organisation antidopage océanienne. Il faudrait encourager la coopération entre nos territoires, et faire participer les fédérations de nos territoires dans les fédérations régionales. Or, il y a très peu de fédérations océaniennes ou l'on trouve les trois territoires représentés.
Il ne faut pas oublier la dimension entrepreneuriale : de très petites entreprises fournissent des capacités pour les événements sportifs, non seulement pour les infrastructures, mais aussi par exemple en Polynésie Française pour la construction de pirogues de compétition exportables par voie aérienne à des prix compétitifs. Or même des compétitions d'essence polynésienne, comme le va'a, ont été très largement diffusées au-delà de cet espace. Les derniers championnats du monde à Papeete ont ainsi réuni des équipes d'État océaniens comme le Maroc ou la Turquie... Ces pratiques cherchent leur place dans les fédérations internationales - il y a un certain malaise avec la fédération de canoë-kayak, mais elles sont à la source d'un potentiel non négligeable d'exportation à partir de nos territoires.