Intervention de Colette Mélot

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 octobre 2018 à 9:5
Économie finances et fiscalité — Relations entre les entreprises et les plateformes en ligne : proposition de résolution européenne et avis politique de m. andré gattolin et mme colette mélot

Photo de Colette MélotColette Mélot :

M. Gattolin est effectivement à Strasbourg aujourd'hui, vous voudrez bien l'excuser.

Le commerce en ligne ouvre de nouveaux marchés aux entreprises, en particulier aux PME-TPE, et offre aux consommateurs un éventail plus large de biens et services. Il a connu un essor considérable au cours des dernières années. Vous trouverez quelques chiffres marquants dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution. Le taux de croissance du commerce en ligne est de 14 % par an, le chiffre d'affaires annuel supérieur à 602 milliards d'euros en Europe, dont 80 milliards en France.

Les relations entre les plateformes en ligne, qui fournissent ce service d'intermédiation, et les entreprises qui y recourent pour vendre leurs biens et services sont caractérisées par un fort déséquilibre, qui favorise les pratiques abusives. La pérennité des entreprises et, au-delà, la concurrence risquent d'en être fortement affectées.

Pourtant, la Commission européenne a dû vaincre, avant de pouvoir proposer un règlement, bien des résistances, de la part des grandes plateformes (même si certaines d'entre elles sont en train d'évoluer), et de certains États membres qui estimaient, au vu de la faiblesse du contentieux, qu'il n'y avait pas matière à régulation.

Après deux ans de consultations, la Commission a finalement proposé un texte « léger », mais qui a le mérite de pouvoir être adopté avant les élections européennes. La présidence autrichienne espère désormais un accord au Conseil compétitivité du 29 novembre et le Parlement devrait examiner le texte début décembre.

Que prévoit le règlement ? Il vise à rééquilibrer les relations entre les entreprises et les plateformes par des obligations de transparence, dans les conditions et modalités initiales comme dans les paramètres de classement.

Il organise en outre le règlement des litiges. Les plateformes les plus importantes devront mettre en place un mécanisme interne à cet effet. Un dispositif extra-judiciaire de médiation est également prévu. Et des actions judiciaires collectives aux fins d'injonction de mise en conformité pourront être introduites.

Que proposons-nous ? Sans modifier la philosophie du texte, le Parlement européen pourrait en préciser et en renforcer certaines dispositions. Notre proposition de résolution s'inscrit dans la même logique. Elle appelle tout d'abord à un élargissement du champ d'application du règlement. Celui-ci devrait, à notre sens, s'appliquer plus largement aux moteurs de recherche et inclure les services de média sociaux qui agissent comme des plateformes techniques pour l'achat de publicité, les services d'assistance vocale et les applications mobiles, qui sont en plein essor, ainsi que les fournisseurs de services d'exploitation. Tous ces acteurs, qui tirent profit du commerce en ligne, doivent être soumis à des obligations de transparence minimales dans leurs relations avec les entreprises utilisatrices.

Il paraît en outre indispensable que le texte s'applique non seulement aux contrats d'adhésion mais également aux contrats négociés. Il serait trop facile pour les plateformes de s'affranchir de leurs obligations en prétendant négocier une clause marginale.

Enfin, dans la mesure où le droit français est d'ores et déjà plus protecteur, notamment en cas de modification unilatérale des conditions d'utilisation, il est proposé de laisser la possibilité aux législateurs nationaux de fixer des règles plus protectrices, en particulier en matière de délais de résiliation.

Concernant ensuite l'encadrement des relations entre les entreprises et les plateformes en ligne, au-delà de la transparence des modalités et conditions prévues par le texte, il nous paraît indispensable d'exiger que celles-ci soient, de manière générale, « équitables et proportionnées ». Une définition des pratiques abusives et l'adjonction en annexe d'une liste de pratiques d'ores et déjà identifiées par la jurisprudence renforceraient en outre utilement ce dispositif.

Plus spécifiquement, la portée des clauses dites de parité, qui interdisent à l'entreprise de proposer le même bien ou service à un prix inférieur, doit être encadrée. L'entreprise doit pouvoir proposer, sur son propre site, une prestation enrichie à un prix équivalent, voire à des prix inférieurs par d'autres canaux de vente, comme le téléphone ou en magasin.

Le classement des offres recèle un enjeu considérable. Or les algorithmes de classement, qui font apparaître des offres en première page, sont tout sauf transparents. Sans porter atteinte au secret des affaires, les entreprises et les consommateurs doivent être correctement informés des éléments susceptibles d'influencer l'ordre d'affichage. La proposition de règlement s'en tient à prévoir une information sur les principaux critères, mais sans indication de pondération. La concurrence est faussée par la priorité donnée aux entreprises liées à la plateforme ou au moteur de recherche, et par l'achat d'un meilleur rang par certaines entreprises.

Ces pratiques affaiblissent la concurrence et conduisent à une ponction substantielle sur les produits des ventes alors même que la plateforme ou le moteur de recherche ne prennent aucun risque en matière d'invendus.

Nous vous proposons également de demander que les configurations a priori par défaut, qui donnent la priorité aux entreprises liées à la plateforme, soient prohibées. Plus généralement, même si ce n'est pas l'objet du texte, nous vous proposons d'appeler à une amélioration de l'information et des droits des consommateurs en ligne. Le « paquet » consommateurs, présenté par la Commission le 25 mai dernier, doit être renforcé sur ce point.

Le commerce en ligne comporte également des enjeux de protection des données : protection des données personnelles des consommateurs d'abord, qui nous paraît devoir être mieux articulée avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et la directive e-privacy ; protection des données des entreprises, en particulier de leur stratégie commerciale. Les plateformes recueillent des données pour les céder à des tiers, voire concurrencer directement l'entreprise. Celle-ci devrait à tout le moins être informée de ces pratiques.

Venons-en maintenant au traitement des litiges. Les contentieux sont très peu nombreux : l'entreprise craint un déréférencement qui la conduirait mécaniquement à ne plus pouvoir vendre tout ou partie de ses produits ou services. Les coûts de procédure sont en outre trop élevés pour que des PME-TPE puissent affronter des plateformes puissantes.

La proposition de règlement, je l'ai indiqué, prévoit des mécanismes extra-judiciaires : ils pourraient être améliorés. Par exemple, le système interne de gestion des plaintes est obligatoire pour les plateformes employant plus de 50 salariés. Ce critère est inadapté et nous vous proposons de recommander un critère qui prenne en compte la spécificité du modèle économique des plateformes en ligne, par exemple le nombre de connexions, qui permet d'appréhender la présence numérique.

Quant au médiateur, il doit être indépendant, et sa désignation approuvée par l'entreprise. Pour éviter les abus, il doit pouvoir écarter la prise en charge d'au moins la moitié des coûts de la médiation par la plateforme dès lors qu'il constate la mauvaise foi du demandeur.

Dernier point, mais il est crucial : le suivi des pratiques et de la mise en oeuvre du règlement. Celui-ci constitue une première étape. Son adoption sans tarder, sous réserve des précisions et compléments proposés, doit donc être soutenue ; son entrée en vigueur doit être rapide.

L'étape suivante a été d'ores et déjà engagée par la Commission, avec la mise en place, initialement pour deux ans, d'un observatoire de l'économie des plateformes en ligne, composé d'experts. La Commission disposera ainsi des éléments utiles pour évaluer l'impact du dispositif et proposer des évolutions règlementaires.

Voilà pour l'essentiel nos observations et recommandations.

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