Nous sommes très heureux de répondre à votre invitation et de pouvoir partager ainsi ce que nous avons vécu et notre réflexion sur le passage de l'ouragan Irma en 2017.
Nous avons dans les outre-mer une certaine « culture des cyclones ». Nous avons, sur nos antennes, l'habitude de gérer ces situations. Pour autant, Irma a été un choc. Si le cyclone Hugo de 1989 reste dans la mémoire collective, il est très rare d'être confronté à un cyclone de puissance 5. Irma a en quelque sorte créé une situation nouvelle ; nous avons pris conscience qu'avec cette puissance, un territoire peut être rayé de la carte en une journée.
Nous allons revenir sur ce sujet, mais je voudrais commencer par situer en quelques mots le pôle outre-mer de France Télévisions. Comme vous le savez, le réseau se compose de dix implantations réparties sur l'ensemble de la planète, dans l'océan Pacifique - à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie -, l'océan Indien - à Mayotte et à La Réunion -, l'océan Atlantique - à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Guyane, à la Martinique et en Guadeloupe - et bien évidemment Paris avec notamment France Ô. Nous sommes donc implantés dans des régions soumises à de hauts risques cycloniques et parfois même sismiques.
Chacune de nos stations d'outre-mer comprend la télévision, la radio et des offres numériques. On constate souvent un enracinement local très fort qui donne une audience et une présence très puissante de nos chaînes - je rappelle à titre d'exemple que le journal télévisé de Guadeloupe 1ère fait plus de 70 % d'audience. C'est une dimension difficile à percevoir de Paris : si l'on devait faire des comparaisons, ce serait bien supérieur à l'addition de l'audience du journal télévisé de TF1, France 2 et France 3, sans compter la radio et des offres numériques. Les « Première » (Guadeloupe 1ère, Martinique 1ère, ...) se positionnent ainsi comme des acteurs essentiels dans leur territoire.
Je l'indiquais plus tôt, nos équipes ont une certaine « culture des cyclones » : que ce soit dans le Pacifique, l'océan Indien ou aux Antilles, nous devons gérer chaque année au moins le passage d'une dépression tropicale ou d'un cyclone dans l'une de nos neuf stations. Avec le temps, nous avons donc mis en place des procédures qui sont relativement similaires dans l'ensemble des stations.
Tout d'abord, bien en amont, dès le début de la saison cyclonique, nous participons à la prévention en diffusant des spots télé et radio, des informations sur les niveaux d'alerte ou sur les comportements à adopter ; tout cela est organisé avec les pouvoirs publics et en particulier les services de l'État.
Dès le déclenchement d'une alerte, les chaînes « 1ère » accompagnent très fortement le dispositif « plan Orsec cyclone ». Nous relayons sur nos différents supports les informations de la cellule de crise et nous installons sur le ou les postes opérationnels des moyens de direct. Cela permet à un de nos journalistes ou encore à l'autorité - en général, le préfet mais cela peut être également le directeur de la sécurité civile - de prendre la parole à tout moment pour donner des informations ou pour rappeler les consignes nécessaires.
Pendant la crise, la télévision et, surtout, la radio deviennent les principaux moyens de communication avec la population avec des grilles de programmes spécifiques. En général, la radio est ouverte 24 heures sur 24.
Que s'est-il passé précisément pour Irma ? C'est tout simplement cette procédure que nos équipes ont essayé de suivre.
Je passe ici rapidement sur la prévention, même si cet effort est important. Dès l'approche de la saison cyclonique, nous avons diffusé des bandes annonces rappelant les consignes de sécurité et reprenant les messages de la préfecture.
Après les premières alertes, et donc dès la dernière semaine du mois d'août, nous avons choisi de pré-positionner à Saint-Barthélemy et Saint-Martin des équipes radio et télé. Celles-ci ont permis de couvrir l'attente - et je dirais la crainte - des populations et nous ont ensuite transmis, non sans difficultés j'y reviendrai, les images du cyclone, de ses dégâts puis le déploiement de l'aide et de la solidarité.
À partir du 5 septembre, la télévision et la radio ont diffusé des programmes spécifiques avec des éditions spéciales d'information régulières. La radio a joué un rôle très particulier et très important en donnant le plus possible la parole à nos auditeurs de Saint-Martin et Saint-Barthélemy et en relayant le mouvement de solidarité des familles et des amis aux Antilles et même au-delà, en particulier en métropole. Les interventions étaient en très grande majorité en créole.
Dans la nuit du 5 au 6 septembre, un dispositif spécial de radio filmée a permis de diffuser à la fois en radio et en télévision, et cela pendant toute la nuit.
Le numérique a également joué un rôle très important avec les sites des « 1ère », de France Ô et notre présence sur les principaux réseaux sociaux. Pour la seule journée du 6 septembre, nous avons enregistré plus de 600 000 visites sur les sites des « 1ère ». Sur le seul mois de septembre, nous avons eu sur le pôle outre-mer plus de 42 millions de vues sur les vidéos contre une moyenne mensuelle d'environ 10 millions ; c'est un chiffre exceptionnel. La mobilisation de nos équipes a été très forte.
Mais nous avons été confrontés également à de graves difficultés techniques. Le 6 septembre, le jour de passage du cyclone, tous les services radio et télé ont été interrompus sur Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Les émetteurs, à l'exception du pic Paradis, ont été détruits. Le vendredi 8, TDF a pu rétablir la diffusion de la télévision Guadeloupe 1ère à partir du pic Paradis. Le samedi 9, c'est la radio Guadeloupe 1ère qui a pu être rétablie à Saint-Martin. Le 10 septembre, le lendemain, la radio d'urgence de Radio France a été lancée, mes collègues vous en parleront. Pour la télévision, cela a été plus compliqué : ce n'est que le 14 septembre que la TNT a été rétablie partout, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Je voulais insister sur le fait que, dans une telle situation, les liaisons sont essentielles et nous avons eu des difficultés pour acheminer les équipes de TDF pour la réparation des pylônes de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Il a fallu attendre deux jours pour que les autorités acceptent de transporter une équipe de TDF ; les émissions TV et radio auraient pu reprendre dès le 7 septembre si l'équipe avait pu se déplacer. Il serait sans doute utile d'intégrer cet élément dans le plan ORSEC.
Pour conclure sur la couverture du cyclone Irma, je tiens à souligner qu'il y a eu à cette occasion une véritable mobilisation des antennes du groupe France Télévisions : France Ô, France Info, France 3 et France 2 ont chacune bousculé leurs programmes pour organiser, soit des éditions spéciales d'information, soit des soirées « Solidarité Antilles » comme France Ô et France 2, ou encore tout simplement la reprise en direct des journaux de Guadeloupe 1ère - c'était le cas de France Ô France Info. Toutes les chaînes ont diffusé les appels aux dons pour la Fondation de France ; la Fondation a ainsi pu récolter plus de 10 millions d'euros pour les victimes du cyclone, ce qui est un chiffre tout à fait exceptionnel. Il était important que le groupe France Télévisions s'engage pour que la communauté nationale soit sensibilisée.
Concernant la couverture du cyclone Irma par nos antennes, je précise qu'elle n'est pas close ; elle continue avec le suivi des énormes opérations de reconstruction.
Quelles leçons avons-nous tirées de ce cyclone ? Nous avons, sur le pôle outre-mer, essentiellement tiré deux leçons. Des leçons éditoriales d'abord : nous avons dû intégrer dans nos logiciels ces cyclones de puissance 5. Ce sont des situations qui peuvent ressembler à des situations de guerre, avec des capacités de destruction massive ; ces destructions peuvent atteindre nos propres capacités de production et de transmission or, même si nous sommes adossés à un groupe public important, sur place, nous restons de petites chaînes de télévision et de radio.
Dans cette situation, quel rôle doit jouer le service public ? Quelles offres de programmes ? Comment relayer plus fortement l'urgence ? Comment s'appuyer sur la puissance d'un groupe comme France Télévisions ? Nous avons ouvert une réflexion sur ce point avec l'ensemble de nos équipes.
Je tiens à indiquer également qu'après Irma nous avons diffusé pendant plusieurs semaines des émissions pédagogiques à destination des lycéens qui n'avaient pas accès à leur établissement scolaire ; cela a été organisé avec les équipes de Francetv Éducation et le ministère de l'éducation nationale.
Au-delà de cette première leçon éditoriale, nous avons ensuite noté nos faiblesses techniques. Nous avons dû repenser complètement nos process techniques en radio, en télévision, mais également dans le domaine numérique. Très concrètement, nous avons décidé de doter chacune de nos stations de deux téléphones satellitaires et de deux systèmes de transmission d'images type BGAN 2 : ce système permet aux équipes de transmettre des directs au plus fort de la crise avec l'assistance de groupes électrogènes légers. Nous souhaitons aller plus loin : nous testons actuellement un autre système de transmission, de toute dernière génération, encore plus robuste et plus simple à utiliser et qui nous permettrait, à tout moment, de transmettre des images mais également de bénéficier d'un accès internet. Ce nouveau système est actuellement testé en Guyane et en Martinique et nous souhaitons en équiper l'ensemble de notre réseau.
Enfin, nous développons à partir de notre station de Guadeloupe une plateforme numérique que nous avons dénommée : « Urgences 1ères ». Elle permettrait de regrouper toutes les informations, les expertises, les reportages et les études concernant les phénomènes climatiques, cyclones mais aussi tremblements de terre. Cette plateforme serait une fenêtre d'urgence et un espace de solidarité ; ce projet est développé par la Guadeloupe avec le soutien du pôle outre-mer et du groupe France Télévisions.
Je vous remercie une nouvelle fois de nous avoir conviés à revenir avec vous sur l'épisode Irma et à participer à vos travaux sur la prévention des risques naturels dans les outre-mer.