Intervention de Mathieu Darnaud

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 24 juillet 2018 : 1ère réunion
Risques naturels majeurs dans les outre-mer — Présentation du rapport d'information

Photo de Mathieu DarnaudMathieu Darnaud, rapporteur :

Je voudrais remercier notre président, Michel Magras, et vous, monsieur le rapporteur coordinateur, ainsi que ma collègue co-rapporteure. Ce travail a permis de montrer que nous entrions dans une nouvelle ère en matière de prévention des risques ; les événements climatiques douloureux de l'an dernier l'ont rappelé et ce rapport arrive à point nommé.

Comme l'a annoncé Guillaume Arnell, je m'attacherai ici principalement à la connaissance et à la prévention des risques.

Nous avons été attentifs à la diversité des risques et à l'ensemble des territoires : cyclones, tsunamis, séismes, éruptions volcaniques mais aussi feux de forêt par exemple. Nous avons aussi intégré les « nouveaux » risques naturels, comme les sargasses, pour lesquelles nous demandons la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle (recommandation n° 1).

Ce panorama est large ; il a montré une chose : la connaissance des risques et leur reconnaissance est primordiale, nous l'avons constaté lors de nos déplacements à Toulouse, à Orléans, et surtout lors de notre mission aux Antilles : il faut soutenir la recherche sur les risques naturels, et les marges de progrès sont parfois importantes - je pense à un risque émergent comme les sargasses ou aux causes de l'érosion du trait de côte. Assurer à Météo France, au BRGM et aux observatoires les moyens de leurs missions est à cet effet primordial (recommandations n° 2 et 24).

Aussi, la connaissance scientifique des risques naturels est un préalable à leur cartographie dans les territoires.

Une bonne identification et cartographie des risques est la première étape dans la démarche de prévention : elle doit être menée avec rigueur et précision. L'outil dédié est le plan de prévention des risques naturels, « PPRN ». Le droit commun les prévoit dans les départements et régions d'outre-mer, Saint-Barthélemy et la Polynésie ont des dispositifs équivalents. Des territoires comme la Martinique et la Guadeloupe sont en pointe, d'autres moins avancés. Il faut que ces plans soient aboutis rapidement et actualisés : c'est le sens de notre recommandation n° 3. Malgré les complexités statutaires et la prégnance du droit coutumier, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna devraient aussi se doter de dispositifs comparables.

Une fois la connaissance et l'identification des risques mises en oeuvre, il reste à agir pour adapter nos territoires face aux aléas possibles.

S'adapter : c'est-à-dire reconstruire des écoles primaires trop fragiles face au risque sismique en Guadeloupe, conforter des digues pour protéger la côte à Wallis-et-Futuna, aménager les ravines pour prévenir des inondations à La Réunion, renforcer des talus pour prévenir des glissements de terrain en Nouvelle-Calédonie. Ces adaptations doivent être d'envergure et couvrir l'ensemble des éléments de vulnérabilité : il faut par exemple conforter le bâti de l'État aux Antilles face au risque sismique (recommandation n° 11).

Des outils de financement existent pour la prévention, cependant parfois mal connus mais surtout insuffisamment mobilisés, j'y reviendrai.

Le fonds Barnier est le principal outil du financement de la prévention des risques naturels, son champ couvre l'ensemble des territoires à l'exception du bassin Pacifique. Il faut pour cela des projets, il faut monter les dossiers et les financer. Vous le savez, je viens d'énoncer ici deux conditions qui sont en fait des obstacles majeurs pour les collectivités ultramarines.

Monter des dossiers, oui, mais avec quelle ingénierie ? Nous l'avons vu durant le déplacement, nos collectivités, particulièrement les communes, n'ont souvent pas les services juridiques et techniques suffisants. Nous proposons de soutenir les coopérations entre collectivités sur les appuis techniques et surtout d'accroître le rôle de l'Agence française de développement, tant dans le soutien technique et juridique que dans la gestion de projets : c'est le sens de nos recommandations n° 6 et 7.

Financer ces projets ? La part restante après l'apport du fonds Barnier est souvent encore trop élevée au regard des situations financières des collectivités locales outre-mer. Résultat : nos territoires sont encore loin d'être prêts et adaptés aux risques auxquels ils sont soumis et il est urgent de réaliser les aménagements permettant de réduire autant que possible leur vulnérabilité et l'impact des catastrophes futures. Il n'est plus possible d'attendre face à des situations parfois extrêmes : notre collègue Thani Mohammed Soilihi nous rappelait durant les auditions la fragilité des bangas à Mayotte par exemple.

Il faut aménager des dispositifs de financement pertinents en termes de calibrage, de lisibilité et de souplesse d'utilisation.

Il est urgent d'assouplir le fonds Barnier, de le « débloquer » : c'est la demande que nous formulons, point essentiel de cette mission. Cela passe notamment par la création d'une section propre aux outre-mer, avec des conditions d'éligibilité assouplies (recommandation n° 8). L'effort doit être d'ampleur. Aussi nous proposons de revenir sur le plafonnement des ressources du fonds Barnier voté l'an dernier (recommandation n° 10) et de procéder - à titre transitoire - à des engagements financiers par crédits budgétaires, sur sollicitation des préfets : il faut appuyer nos territoires, rapidement et massivement.

Le fonds exceptionnel d'investissement du ministère des outre-mer agit également en faveur de la prévention des risques, pouvant intervenir aussi dans le Pacifique : il faut mieux identifier et renforcer une enveloppe dédiée en son sein (recommandation n° 13)

Enfin, alors que les collectivités du Pacifique sont aussi très fortement impactées par les risques naturels, celles-ci n'ont pas accès au fonds Barnier et n'ont pas les moyens de faire face seules au défi majeur de leur adaptation : nous proposons de créer un fonds pérenne qui leur serait dédié, un réel équivalent « fonds vert » (recommandation n° 12).

Organiser la prévention des risques, c'est enfin se préparer à leur survenance.

C'est ainsi anticiper les équipements ou réactions qui seront nécessaires en cas d'aléa. Il faut généraliser les signalétiques d'évacuation en cas de tsunami et procéder à l'établissement de lieux sûrs face aux risques comme les tsunamis ou les cyclones, tels les abris de survie en Polynésie française (recommandations n° 4 et 5). De grandes inégalités ont été constatées à ce sujet entre les territoires.

La préparation, c'est aussi et surtout celle des acteurs de la gestion de crise, dans leur anticipation et la planification des réponses de sécurité civile à apporter.

Les maires sont en première ligne et il est primordial que les plans communaux de sauvegarde, qui sont obligatoires, soient effectivement rédigés et régulièrement actualisés (recommandation n° 15). La Martinique est exemplaire en la matière. Il faut aussi que nous allions plus largement vers des plans intercommunaux de sauvegarde.

Je pense encore aux plans ORSEC préparés par les services de l'État et qui sont fondamentaux pour anticiper la gestion de crise et organiser la réponse efficace des services : il faut que la direction de la sécurité civile puisse davantage conseiller et appuyer les services préfectoraux dans les territoires (recommandation n° 14).

Mais il faut aussi que ces plans soient maîtrisés par les décideurs, cela est primordial. La gestion d'Irma l'a montré : le renouvellement en moins d'un mois du préfet de la Guadeloupe et de deux membres majeurs de son équipe proche a nui à la gestion de crise, alors que d'autres personnels avaient quelques semaines avant réalisé l'exercice Richter et avaient en tête les réflexes de gestion des crises et un recul sur une expérience. Cette situation ne doit pas se reproduire : nous demandons que les préfets, les hauts-commissaires et les directeurs de cabinet des préfets outre-mer aient participé à des exercices de simulation de catastrophes naturelles avant leur nomination et que le renouvellement des équipes préfectorales soient échelonné (recommandation n° 16).

La préparation passe aussi par une culture du risque dans la population. Je le rappelle régulièrement, la loi de modernisation de la sécurité civile en 2004 consacrait le citoyen comme acteur majeur de la sécurité civile.

Nous formulons plusieurs recommandations pour amplifier la préparation des populations face aux risques :

- la bonne rédaction et diffusion des DICRIM et de documents synthétiques simples, accessibles et en plusieurs langues, locales et étrangères, notamment à destination des touristes (recommandations n° 17 et1 8) ;

- l'institutionnalisation dans l'ensemble des territoires d'une semaine dédiée aux risques naturels, sur le modèle des expériences antillaises « Réplik » et « Sismik », avec des campagnes d'information et événements organisés dans les écoles et entreprises ;

- l'organisation d'un exercice d'ampleur par an mobilisant la participation du public ;

- des messages réguliers de prévention dans les médias en partenariat avec les chaînes locales et la presse.

Je n'oublie pas, dans cette mission de prévention et d'établissement d'une culture du risque, l'engagement au quotidien des nombreuses associations de sécurité civile qui oeuvrent très en amont auprès de nos populations : Croix-Rouge, protection civile, mais aussi université populaire de la prévention à la Martinique, autant d'associations qu'il faut soutenir. Nous appelons d'ailleurs dans nos recommandations n° 20 et 21 à ce que des freins financiers soient levés en demandant une dispense d'octroi de mer sur leur matériel ainsi qu'une possible sollicitation directe du fonds Barnier pour leurs campagnes de prévention.

Il faut se préparer : nos territoires connaîtront d'autres catastrophes. À défaut de pouvoir les empêcher, il faut être prêt à y faire face.

Je cède maintenant la parole à ma collègue co-rapporteure Victoire Jasmin, pour justement aborder les questions de gestion des crises lorsque celles-ci surviennent.

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